Décision TB7-19851

Huis clos

Motifs et décision

Personne(s) en cause :
XXXX XXXX XXXX
XXXX XXXX

Appel instruit à :
Toronto (Ontario)

Date de la décision :
17 mai 2018

Tribunal :
L. Gamble

Conseil(s) du (de la/des) personne(s) en cause :
Johnson Babalola

Représentant(e)(s) désigné(e)(s):
S/O

Conseil du ministre :
S/O


Motifs de décision

[1] L’appelante, XXXX XXXX XXXX XXXX XXXX, interjette appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) par laquelle sa demande d’asile a été rejetée. Elle a présenté de nouveaux éléments de preuve à l’appui de son appel et elle demande la tenue d’une audience devant la Section d’appel des réfugiés (SAR). L’appelante demande à la SAR d’établir la conclusion selon laquelle elle a qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger. Subsidiairement, elle demande à la SAR de renvoyer l’affaire à la SPR devant un tribunal différemment constitué.

Décision

[2] Au titre du paragraphe 111(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), la SAR confirme la décision attaquée selon laquelle l’appelante n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. L’appel est rejeté.

Contexte

[3] L’appelante affirme qu’elle craint de retourner au Nigéria en raison du mariage forcé et de la mutilation génitale féminine (MGF). Elle affirme que son père insiste pour qu’elle épouse un homme beaucoup plus âgé, XXXX XXXX XXXX, à qui elle a été promise comme épouse depuis sa naissance par son père. L’appelante déclare que XXXX XXXX et son père souhaitent qu’elle subisse une MGF avant le mariage. Elle affirme qu’elle a été emmenée afin de subir une MGF contre son gré au Nigéria, mais que, en raison d’une blessure qu’elle a subie en se débattant, l’intervention a été reportée. Entre-temps, l’appelante s’est cachée chez une tante dans l’État de Kastina pendant que sa mère prenait des dispositions pour qu’elle parte au Canada, étant donné qu’elle avait déjà un visa d’étudiant valide. L’appelante a affirmé craindre son père, XXXX XXXX et la police si elle devait retourner au Nigéria.

[4] La demande d’asile a été instruite le 19 juillet 2017. Dans une décision datée du 30 août 2017, la SPR a conclu que l’appelante était crédible dans les principales allégations de sa demande d’asileNote de bas de page 1, mais pas en ce qui concerne son témoignage concernant les possibilités de refuge intérieur (PRI) proposées. La SPR a rejeté la demande d’asile en concluant que la ville d’Ibadan ou celle de Port Harcourt représentaient pour l’appelante des PRI viables.

[5] Dans le cadre de l’appel à la SAR, l’appelante soutient que la SPR a commis une erreur dans son analyse relative à la crédibilité à l’origine de sa conclusion selon laquelle la ville d’Ibadan ou celle de Port Harcourt représentaient pour l’appelante des PRI viables, et la SPR a donc commis une erreur en concluant que l’appelante n’avait pas qualité de réfugié ou de personne à protégerNote de bas de page 2. Je ne suis pas convaincue que la SPR a commis une erreur. La SPR a conclu à juste titre que la ville d’Ibadan ou celle de Port Harcourt représentaient pour l’appelante des PRI viables dans son pays, et après ma propre évaluation de la preuve, je souscris à cette conclusion. Il s’agit de la question déterminante en l’espèce.

[6] Étant donné que la demande d’asile de l’appelante est étroitement liée à son sexe, j’ai tenu compte des directives du président intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe pour évaluer les éléments de preuve dont je disposeNote de bas de page 3.

Admissibilité des éléments de preuve présentés en appel

[7] Le paragraphe 110(4) de la LIPR prévoit que l’appelante ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet. Ce paragraphe établit un critère disjonctif. Il incombe à l’appelante d’inclure dans son mémoire des observations complètes et détaillées concernant la façon dont les nouveaux éléments de preuve proposés sont conformes aux exigences du paragraphe 110(4) et la façon dont ils sont liés à l’appelante. Si les critères énoncés au paragraphe 110(4) ne sont pas respectés, la SAR n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’admettre ces éléments de preuve.

[8] Si les nouveaux éléments de preuve présentés sont conformes aux exigences du paragraphe 110(4), la SAR examinera les critères énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt SinghNote de bas de page 4. La Cour d’appel fédérale a statué que, outre le libellé clair de la loi, les conditions implicites pour l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve sont notamment : la crédibilité, la pertinence et la nouveauté.

[9] L’appelante a présenté un document en tant que nouvel élément de preuve proposé à l’appui du présent appel, soit un article électronique non daté intitulé « Police Tops List of Corrupt Public Officials » [la police est en tête de liste des fonctionnaires corrompus]. Elle soutient que cet article est présenté dans le cadre de la procédure d’appel en raison de sa crédibilité et de sa pertinenceNote de bas de page 5, mais elle ne présente pas d’observations sur sa nouveauté.

[10] Mes conclusions en ce qui concerne la nouveauté sont de trois ordres. Premièrement, l’article n’est pas daté à première vue, de sorte que l’appelante n’a pas établi que l’article est postérieur à la date de rejet de la demande d’asile ou qu’il ne lui était pas normalement accessible avant la demande d’asile. Deuxièmement, en plus d’être non daté, le contenu de l’article montre clairement que les renseignements qui s’y trouvent se rapportent aux résultats d’une enquête selon laquelle les Nigérians [traduction] « ont dépensé environ 400 milliards de nairas en pots-de-vin entre juin 2015 et juin 2016Note de bas de page 6». Il est manifeste que l’article porte sur les renseignements de 2015 2016, c’est-à-dire que les renseignements sont antérieurs au rejet de la demande d’asile de l’appelante. De plus, je note que cet article ne fournit aucun nouveau contenu en ce sens que ce contenu n’aurait pas déjà été présenté à la SPR; il reprend des renseignements sur la corruption au sein de la police nigériane dont disposait déjà la SPRNote de bas de page 7. Il s’agit d’un fait qui a été tenu expressément en compte et reconnu dans la décisionNote de bas de page 8. Par conséquent, l’article soumis ne répond pas aux critères énoncés au paragraphe 110(4) et il doit donc être rejeté.

[11] L’appelante a demandé la tenue d’une audience relativement aux nouveaux éléments de preuve présentés, suivant le paragraphe 110(6) de la LIPR. Lorsqu’ils sont interprétés ensemble, les paragraphes 110(3), 110(4) et 110(6) de la LIPR établissent que la SAR ne doit pas tenir d’audience dans le cadre d’un appel comme celui-ci, à moins qu’il n’y ait de nouveaux éléments de preuve admis conformément aux dispositions du paragraphe 110(4) qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de l’appelant, sont essentiels pour la prise de la décision de la SAR et qui, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas. Comme j’ai conclu que l’article soumis par l’appelante n’est pas admissible, en vertu de la LIPR, la SAR doit procéder sans tenir d’audience. La demande d’audience présentée par l’appelante est rejetée.

Analyse

Le rôle de la Section d’appel des réfugiés

[12] En ce qui concerne les questions de fait, les questions mixtes de fait et droit et les questions de droit, la SAR applique la norme de la décision correcte conformément à l’arrêt HuruglicaNote de bas de page 9. Lorsque la SAR doit apprécier des conclusions qui reposent sur la crédibilité des témoignages de vive voix, elle applique la version modifiée de la SAR de la norme de la décision raisonnable, quand la SAR établit que la SPR avait un avantage certain dans l’évaluation du témoignage de vive voixNote de bas de page 10.

Les fondements de l’appel

Préambule : Possibilité de refuge intérieur au Nigéria

[13] Bien que je note que la question déterminante en l’espèce est la conclusion selon laquelle des PRI s’offrent à l’appelante à Ibadan et à Port Harcourt en particulier, après avoir examiné le dossier, j’ajouterais qu’il y a plusieurs villes au Nigéria, où, selon les faits individuels, il existerait une PRI pour les personnes qui, comme l’appelante, fuient des acteurs non étatiques.

[14] Le critère pour évaluer une PRI comporte deux volets et est énoncé dans l’arrêt RasaratnamNote de bas de page 11 de la Cour d’appel fédérale.

1) La Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays, où, selon elle, il existe une possibilité de refuge [traduction] et/ou que le demandeur d’asile ne serait pas personnellement exposé soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumis à la torture dans la PRI.

2) En deuxième lieu, la situation dans [la] partie du pays [qui est vue comme étant une PRI] doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, compte tenu de toutes les circonstances, [dont celles qui sont particulières au demandeur] de s’y réfugier.

[15] Chacun des deux volets doit s’appliquer pour qu’il soit possible de conclure à l’existence d’une PRI. Une fois que la question de la PRI a été soulevée et que les PRI potentielles ont été désignées, il incombe à l’appelante de prouver qu’elle n’a pas de PRI. Trouver une PRI repose sur l’évaluation particulière de la région visée dans la perspective d’une PRI en tenant compte de la situation personnelle de l’appelante. Une PRI doit constituer une option réaliste et réalisable. Un appelant ne doit pas s’exposer à un risque important de préjudice physique ou de souffrance indue en se déplaçant vers ce refuge intérieur ou en y séjournantNote de bas de page 12.

[16] La PRI au Nigéria est souvent prise en considération par la SPR et la SAR. Après avoir examiné la documentation pertinente sur le pays et la jurisprudence, je note que la réinstallation à l’intérieur du Nigéria est généralement considérée comme viable pour les demandeurs d’asile et les appelants qui craignent des acteurs non étatiques. Étant consciente des circonstances particulières et des défis auxquels sont confrontées les demandeures d’asile et les appelantes, je me suis concentrée sur la situation de réinstallation des femmes célibataires au Nigéria, car il s’agit de l’analyse directement applicable dans le cas de l’appelante en l’espèce. Toutefois, à mon avis, le cadre d’analyse mentionné ici pourrait s’appliquer plus largement à de nombreux types de demandes provenant du Nigéria où la crainte déclarée est celle d’agents ne relevant pas de l’État. Par exemple, la Cour fédérale a récemment confirmé les conclusions déterminantes de PRI viables au Nigéria dans des cas où la crainte déclarée est liée à des allégations de sorcellerieNote de bas de page 13, aux MGF (ou le refus de soumettre son enfant aux MGF)Note de bas de page 14, à la participation forcée à des rituelsNote de bas de page 15, à Boko Haram, à des menaces de violence familiale de la part d’un ancien partenaire, à des bergers Fulani et à un enlèvementNote de bas de page 16, pour n’en nommer que quelques-uns.

[17] Selon le Country Information and Guidance [renseignements sur le pays et orientation] sur le Nigéria du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni, lorsque la personne craint d’être persécutée ou de subir un préjudice grave de la part d’agents ne relevant pas de l’État, [traduction] « la réinstallation dans une autre région du Nigéria est probablement viable en général, selon la nature de la menace proférée par des agents ne faisant pas partie de l’État et de la situation individuelle de la personne, et, aussi, tant qu’il ne serait pas trop exigeant de s’attendre à ce que le demandeur d’asile le fasseNote de bas de page 17. »

[18] De plus, selon le Country Information and Guidance sur le Nigéria du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni, pour les femmes craignant des préjudices ou des violences fondés sur le sexe, [traduction] « en règle générale, il n’est pas trop difficile pour une femme de se réinstaller ailleurs dans le pays pour échapper aux menaces localisées de membres de sa famille ou d’autres acteurs non étatiques, surtout si elle est célibataire et qu’elle n’a pas d’enfant à charge, mais les circonstances particulières de chaque cas devront être prises en considérationNote de bas de page 18. »

[19] Comme je le démontre dans mon analyse ci-dessous, la documentation rapporte qu’il existe plusieurs grandes villes multilingues et multiethniques dans le sud et le centre du Nigéria, comme Lagos (13,123 millions d’habitants), Kano (3,587 millions), Ibadan (3,16 millions), la capitale Abuja (2,44 millions), Port Harcourt (2,343 millions) et Benin City (1,496 million)Note de bas de page 19 où des personnes qui fuient des acteurs non étatiques peuvent s’établir en toute sécurité, en fonction de leur situation personnelle. Bien qu’il soit banal de dire que chaque appel dépend des arguments de l’appelant, des faits individuels et de l’évaluation du risque personnel de l’appelant, je note que, d’un point de vue objectif, fondé sur la jurisprudence et les renseignements sur le pays disponibles dans le cartable national de documentation (CND), il est probable que les possibilités de refuge intérieur dans ces grandes villes seront largement accessibles à de nombreuses personnes dont la crainte déclarée est celle d’acteurs non étatiques, y compris, sans s’y limiter, les femmes célibataires comme l’appelante.

[20] Bien qu’une analyse visant à décider si un appelant en particulier fait face à une possibilité sérieuse de persécution dans la PRI proposée d’après premier volet du critère établi dans l’arrêt Rasaratnam porte sur des faits spécifiques, je suis consciente du fait que, comme principe général, les tribunaux canadiens ont statué que les grandes régions urbaines ne peuvent être considérées comme une PRI du seul fait de la taille de leur populationNote de bas de page 20 et que la distance entre la PRI proposée et l’emplacement des persécuteurs ne permet pas en soi d’établir que la PRI proposée est viableNote de bas de page 21. Cela dit, la PRI n’a pas besoin d’être loin de l’endroit où l’appelante a déjà vécu : la notion de PRI ne requiert pas que l’asile soit dans une autre ville ou une autre province que le lieu d’origine, du moment qu’il s’agit réellement d’un endroit où l’appelante peut se protéger contre la persécution vécue dans son quartier d’origineNote de bas de page 22. En fin de compte, la question de savoir si l’appelante a démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle fait face à une possibilité sérieuse de persécution dans la PRI proposée s’appuiera sur sa preuve, en gardant en tête les principes généraux susmentionnés.

[21] Pour ce qui est d’analyser le caractère raisonnable d’une PRI proposée, il pourrait être utile de recourir à un cadre général d’analyse du caractère raisonnable dans les grands centres urbains au sud du Nigéria, qui sont généralement nommés comme PRI potentielles. Bien entendu, il faudrait toujours tenir compte de la situation et des allégations d’un appelant en particulier, comme nous le verrons plus loin. Comme point de départ, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il faut :

[…] placer la barre très haut lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable. Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie ou la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions. L’absence de parents à l’endroit sûr, prise en soi ou conjointement avec d’autres facteurs, ne peut correspondre à une telle condition que si cette absence a pour conséquence que la vie ou la sécurité du revendicateur est mise en cause. Cela est bien différent des épreuves indues que sont la perte d’emploi ou d’une situation, la diminution de la qualité de vie, le renoncement à des aspirations, la perte d’une personne chère et la frustration des attentes et des espoirs d’une personne.

La Cour a réitéré l’importance de ne pas abaisser cette barreNote de bas de page 23.

[22] Il y a un éventail de questions éclairant l’analyse du caractère raisonnable d’une PRI proposée à l’égard d’un appelant en particulier, les plus courantes et les plus importantes étant le transport et les déplacements, la langue, l’éducation et l’emploi, le logement, la religion, l’identité autochtone et la disponibilité des soins médicaux et des soins de santé mentale. En outre, les Directives du président concernant la persécution fondée sur le sexe prévoient expressément que les décideurs doivent « tenir compte, entre autres, de facteurs religieux, économiques et culturels et déterminer si ceux-ci influeront sur les femmes dans la PRI et de quelle façon », [22] Il y a un éventail de questions éclairant l’analyse du caractère raisonnable d’une PRI proposée à l’égard d’un appelant en particulier, les plus courantes et les plus importantes étant le transport et les déplacements, la langue, l’éducation et l’emploi, le logement, la religion, l’identité autochtone et la disponibilité des soins médicaux et des soins de santé mentale. En outre, les Directives du président concernant la persécution fondée sur le sexe prévoient expressément que les décideurs doivent « tenir compte, entre autres, de facteurs religieux, économiques et culturels et déterminer si ceux-ci influeront sur les femmes dans la PRI et de quelle façon24 », ce qui a été pris en compte dans mon évaluation ci-dessous. J’examinerai chaque facteur à tour de rôle, dans la mesure où ils se rapportent au Nigéria en général, avant de les appliquer à la situation particulière de l’appelante à Ibadan et à Port Harcourt.

[23] Transport et déplacements : Dans l’analyse de la viabilité d’une PRI proposée, il faut tenir compte des Directives du président concernant la persécution fondée sur le sexeNote de bas de page 25, lesquelles prévoient notamment ceci : « Pour déterminer s’il existe une possibilité de refuge intérieur (PRI) raisonnable, les décideurs doivent tenir compte de la capacité de la femme, en raison de son sexe, de se rendre dans cette partie du pays en toute sécurité et d’y rester sans difficultés excessives. » Le Nigéria est un vaste pays qui s’étale sur plus de 900 000 kilomètres, qui compte 36 États et dont la population s’élève à plus de 170 millions de personnes. Les Nigérians ont le droit de résider dans n’importe quelle partie du paysNote de bas de page 26. La preuve documentaire montre que tous les centres principaux sont reliés par route; en outre, bon nombre de ces grands centres urbains sont dotés d’aéroports internationauxNote de bas de page 27, ce qui joue en faveur de la viabilité de la PRI proposée en termes de transport et de déplacements pour un appelant donné sans qu’il subisse d’épreuves indues.

[24] Langue : L’anglais est la langue officielle du Nigéria, et une grande proportion de la population parle le hausa, le yoruba, l’igbo (Ibo) et le fulani dans les grands centres, auxquelles s’ajoutent plus de 500 langues indigènesNote de bas de page 28. Les documents montrent que, dans l’administration publique, l’anglais est la langue généralement acceptée par les organismes fédéraux, tant dans la correspondance que dans les communications écrites, en raison de la grande diversité linguistique du paysNote de bas de page 29. La maîtrise d’une ou de plusieurs de ces langues militera contre une conclusion de caractère déraisonnable en raison d’un obstacle linguistique dans une PRI lorsqu’un appelant parle l’anglais ou les langues régionales du hausa, du yoruba, de l’igbo (Ibo) ou du fulani, selon le cas.

[25] Éducation et emploi : La preuve documentaire montre qu’il y a un taux de chômage généralement élevé au Nigéria et que l’obtention d’un emploi peut être difficile. Cependant, le même document indique également qu’il y a plus de ménages dirigés par des femmes dans le Sud, et qu’il est généralement plus facile pour les femmes qui vivent dans le Sud d’obtenir un emploi que pour celles qui vivent dans le Nord, bien qu’elles finissent souvent par occuper des emplois difficilesNote de bas de page 30. Même si la preuve documentaire révèle que les femmes sont soumises à une grande discrimination sur le plan économique au Nigéria, elle montre également que les femmes qui sont instruites et qui ont un statut social plus élevé ont plus de chances d’obtenir un emploi, et que l’origine ethnique est un facteur moins important pour obtenir du travail dans le Sud que dans le Nord Note de bas de page 31. Il est à souligner que le nombre total d’années d’études complétées en moyenne pour les hommes nigérians est de neuf ans, alors que pour les femmes, il est de huit ansNote de bas de page 32. Ainsi, lorsqu’un appelant a fait des études postsecondaires ou possède une expérience de travail utile, il sera peut être mieux placé que le Nigérian moyen pour trouver un emploi, lorsque de telles possibilités existent.

[26] Logement : La preuve documentaire montre que le loyer peut être élevé dans des endroits comme Ibadan, Port Harcourt et Lagos, où le coût de la vie est élevé, ce qui augmente les défis pour les ménages dirigés par une femme, lesquels ne bénéficient pas du soutien d’un homme pour trouver un logementNote de bas de page 33. Un examen du CND montre que la situation des femmes vivant seules dans le Sud est inégale, bien qu’elle soit nettement plus favorable que dans le Nord, car le Sud offre plus de possibilités aux femmes qui ont un niveau de scolarité et un statut socioéconomique plus élevéNote de bas de page 34. Il convient aussi de signaler que, bien que les femmes puissent se heurter à des obstacles dans l’obtention de prêts pour l’achat de biens immobiliers, il n’existe pas de loi au Nigéria qui interdise aux femmes de posséder des terres Note de bas de page 35. La situation personnelle d’un appelant en particulier peut rendre plus ou moins viable le logement, par exemple, lorsqu’il est en mesure d’avoir accès au soutien de la famille immédiate ou élargie ou d’autres réseaux sociaux à l’intérieur ou à proximité de la PRI qui sympathisent avec la situation de l’appelant, tel qu’établi par la preuve dans un cas particulier. L’accès au logement n’est qu’un des nombreux facteurs dont les décideurs doivent tenir compte lorsqu’ils évaluent le caractère raisonnable d’une PRI proposée à la lumière de la situation particulière d’un appelant. Il incombe à l’appelante de démontrer que la PRI proposée est déraisonnable ou trop difficile en l’espèce.

[27] Religion : Les documents montrent que, au Nigéria, [traduction] « environ 50 p. 100 de la population est musulmane et 50 p. 100 chrétienne », et que ces populations résident en nombre à peu près égal dans le centre et le sud-ouest du NigériaNote de bas de page 36. En effet, une autre source note que [traduction] « les musulmans et les chrétiens “vivent partout au pays” et que lorsqu’il s’agit de la réinstallation des chrétiens du Nord vers les grandes villes comme Port Harcourt dans le Sud, “la langue et la culture seraient plus importantes que la religion Note de bas de page 37 ». Par conséquent, si un appelant a une affiliation significative avec l’une de ces religions et a accès aux lieux de culte et à d’autres personnes qui partagent ses valeurs religieuses, cela peut jouer en faveur d’une PRI en offrant un moyen d’établir ou d’élaborer une structure sociale liée aux croyances religieuses de l’appelant.

[28] Identité autochtone : Bien que la preuve soit partagée, il est manifeste que, en raison de l’importante migration vers les grands centres urbains, l’identité autochtone ne constitue pas un obstacle important à la réinstallation dans ces villes. Le point 13.1 fournit des renseignements sur le sujet et énonce ce qui suit :

[…] dans les grandes villes comme Lagos, Abuja, et Port Harcourt, l’identité autochtone est moins importante qu’elle ne l’est dans d’autres régions pour ce qui est de l’accès à des emplois dans la fonction publique et à la propriété des terres, parce que la population indigène dans ces villes a été [traduction] « envahie » par les migrants. Il a expliqué, par exemple, que la création du territoire de la capitale fédérale avait fait en sorte que les autochtones d’Abuja se retrouvent encore plus loin du [traduction] « centre d’influence ». Cependant, il a aussi précisé que les groupes ethniques qui constituent la population indigène de Lagos continuaient d’y dominer le marché des terres et que les autochtones dans la région du delta du Niger, y compris à Port Harcourt, demandaient que plus d’emplois leur soient donnés dans l’industrie pétrolière. Les allochtones font également l’objet de discrimination dans le domaine de la politique. Néanmoins, le professeur a fait observer qu’ils pouvaient généralement trouver un emploi au sein d’autres industries où il y a une demande Note de bas de page 38. [renvois omis]

La source a notamment montré que, dans d’autres industries, il existe une capacité générale de trouver du travail tant qu’il y a une demande, sans que l’origine ethnique ou l’identité autochtone n’entrave cet aspect de l’intégration. Par conséquent, il incombe à l’appelante de démontrer que toute discrimination qu’elle pourrait subir dans les grandes villes du sud du Nigéria en raison de son origine ethnique ou de son identité allochtone serait telle qu’elle rendrait les PRI proposées déraisonnables ou trop difficiles.

[29] Disponibilité des soins médicaux et des soins de santé mentale : Lorsqu’un appelant avance un argument au sujet de la disponibilité des soins médicaux et des soins de santé mentale, une attention particulière devra être accordée à la question de savoir si la disponibilité de ces soins et leur accès rendraient la PRI proposée déraisonnable ou trop difficile dans la situation particulière de l’appelant. Des documents du CND montrent que les citoyens doivent payer pour des services comme les soins de santé et l’éducation, bien que l’accès à ces services puisse être [traduction] « difficile pour tous », en ce sens que la difficulté peut être de se payer des soins de santé et l’éducation Note de bas de page 39. Toutefois, je tiens à souligner que ces difficultés semblent toucher tous les Nigérians et, encore une fois, il incombe à l’appelante de démontrer que ces facteurs, dans son cas, atteindraient un niveau qui rendrait la PRI proposée objectivement déraisonnable ou trop difficile dans sa situation particulière.

[30] Il est bien établi en droit que le concept de PRI fait partie intégrante de la définition de réfugié au sens de la Convention parce qu’un demandeur d’asile doit être un réfugié d’un pays et non d’une région particulière d’un pays Note de bas de page 40. Ainsi, l’existence d’une PRI est fatale à toute demande d’asile Note de bas de page 41. Par conséquent, je suis d’avis qu’une évaluation conforme au cadre décrit ci-dessus serait largement applicable et déterminante dans une variété de demandes d’asile nigérianes où la crainte vient d’acteurs non étatiques et, comme ci-dessous, qu’elle devrait être appliquée selon la situation particulière de chaque appelant.

La SPR n’a pas commis d’erreur dans son analyse ou sa conclusion concernant une possibilité de refuge intérieur viable pour l’appelante

[31] En l’espèce, l’appelante soutient que la SPR a commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité de son témoignage à propos de l’existence d’une PRI au Nigéria, de sorte que le tribunal n’a pas procédé à une analyse détaillée de la crainte subjective de l’appelante.

Premier volet de l’analyse de la possibilité de refuge intérieur : Aucune possibilité sérieuse de persécution dans les possibilités de refuge intérieur proposées

[32] L’appelante soutient que la SPR a omis d’examiner correctement son témoignage concernant la détection à Ibadan et à Port Harcourt, ce qui, selon elle, entraînerait une possibilité sérieuse de persécution dans l’une ou l’autre des PRI proposéesNote de bas de page 42. Plus précisément, elle affirme que la SPR a commis une erreur en n’acceptant pas son témoignage selon lequel son père et XXXX XXXX seraient en mesure de la retrouver si elle déménageait ailleurs au Nigéria. Elle a déclaré qu’Ibadan n’est qu’à XXXX XXXX de l’endroit où vivaient son père et XXXX XXXX et qu’ils pourraient donc facilement la retrouver. Quant à Port Harcourt ou ailleurs, elle a affirmé qu’elle pense que les agents de persécution pourraient la retrouver avec l’aide de la police en raison de la corruption généralisée et du fait que sa mère lui a dit que XXXX XXXX avait fait appel aux services de police pour la rechercher. L’appelante soutient que la SPR a commis une erreur en rejetant son témoignage en exigeant [traduction] « une preuve certaine » que les agents de persécution seraient en mesure de la retrouver dans les PRI proposées Note de bas de page 43.

[33] Je ne suis pas convaincue que la SPR a commis cette erreur. La SPR a tenu compte du témoignage de l’appelante sur la possibilité de persécution dans les PRI proposées, mais elle a conclu que l’appelante a donné très peu de détails sur les mécanismes par lesquels XXXX XXXX ou son père seraient capables de la chercher ou de la trouver, ce qui, selon le tribunal, constitue un fardeau pour l’appelante qui n’a pas été satisfait en l’espèce Note de bas de page 44. Je suis d’accord.

[34] L’appelante a déclaré, au sujet de la possibilité de persécution à Ibadan, qu’elle pourrait être retrouvée en raison de la proximité géographique de sa ville natale (et de celle des agents de persécution); elle a aussi exprimé sa crainte d’être reconnue par [traduction] « quiconque » pourrait connaître son père ou XXXX XXXX, mais qu’elle ne connaît personne qui vive à Ibadan. En ce qui concerne la possibilité de persécution ailleurs au Nigéria, l’appelante a affirmé dans son témoignage que sa mère lui a dit que XXXX XXXX avait [traduction] « dit à la police de me chercher », ce qui a été explicitement tenu en compte par la SPRNote de bas de page 45, mais elle n’a fourni aucun autre détail : Il n’y a aucune preuve au dossier sur la portée ou l’influence XXXX XXXX, si une telle influence existe, ou sur comment ou pourquoi la police dans d’autres régions – en particulier les grandes villes du Nigéria comme Ibadan ou Port Harcourt, serait obligée de chercher l’appelante. La simple affirmation selon laquelle il a été dit à l’appelante que XXXX XXXX avait dit à la police de la chercher, sans plus, ne satisfait pas au niveau de preuve requis pour démontrer qu’il existe une possibilité sérieuse que l’appelante soit persécutée dans tout le pays. Je conclus donc que l’appelante ne s’est pas déchargée du fardeau de prouver qu’elle ferait face à une possibilité sérieuse de persécution à Ibadan ou à Port Harcourt.

[35] La SPR s’est fondée sur la jurisprudence selon laquelle la taille géographique à elle seule ne montre pas qu’une PRI proposée est viable Note de bas de page 46, mais que la PRI n’a pas non plus à être éloignée géographiquement de l’endroit où le demandeur d’asile a déjà vécu, à condition qu’il s’agisse réellement d’un endroit où la personne peut se protéger de la persécution subie dans son quartier d’origine Note de bas de page 47. Je conclus que le témoignage de l’appelante selon lequel elle pense qu’elle serait vue et reconnue si elle déménageait ailleurs au Nigéria est hypothétique et qu’il n’est pas appuyé par des éléments de preuve objectifs, en particulier parce que l’appelante n’a pas un profil qui lui permettrait de se démarquer de la population générale, et compte tenu de la preuve documentaire sur la taille et la population du Nigéria, en particulier d’Ibadan et de Port Harcourt, qui sont toutes deux de grandes villes Note de bas de page 48, ce qui rend encore moins probable le fait que l’appelante serait vue par une personne qui la reconnaîtrait et signalerait son lieu de résidence aux agents de persécution. Le fait que l’appelante pense qu’elle pourrait être retrouvée par hasard en raison de la proximité de l’une des PRI proposées par rapport à sa région d’origine ou en raison de l’intérêt de policiers potentiellement corrompus à l’égard de son lieu de résidence ne rend pas cette possibilité plus probable et ne lui permet pas de s’acquitter du fardeau de démontrer avec des éléments de preuve crédibles et fiables qu’il y aurait plus qu’une simple possibilité qu’elle soit persécutée dans les PRI proposées.

[36] L’appelante soutient également que la SPR n’était pas consciente de la corruption policière lorsqu’elle a examiné son témoignage concernant sa crainte déclarée de la police. Cependant, mon examen de la décision démontre que ce n’est pas le cas, comme le tribunal l’a explicitement dit :

[…] que la corruption est omniprésente au sein des forces de police du Nigéria, que les agents peuvent agir de manière arbitraire […], mais la demandeure d’asile n’a présenté aucun élément de preuve crédible et fiable qui laisse supposer que son père ou XXXX XXXX ont l’influence ou les ressources nécessaires pour convaincre la police de chercher la demandeure d’asile dans la vaste étendue du Nigéria […] ou qu’il existe une possibilité raisonnable que la police soit en mesure de la trouver Note de bas de page 49.

L’appelante cite le point 10.1 du CND, selon lequel la police a arrêté des membres de la famille de personnes recherchées au Nigéria afin de les forcer à sortir de leur cachette Note de bas de page 50; toutefois, la preuve ne permet pas de conclure que l’appelante est recherchée ou que ses agents de persécution ont l’influence ou les ressources nécessaires pour lancer une recherche de l’appelante à l’échelle nationale en tant que personne recherchée. De même, l’argument de l’appelante selon lequel la police pourrait la retrouver au moyen du [traduction] « réseau informatique national Note de bas de page 51 » du Nigéria est une affirmation sans élément de preuve pour affirmer que son père ou XXXX XXXX ferait appel aux services de la police pour effectuer ces recherches, que la police entreprendrait une recherche sur le réseau national ou que l’appelante serait retrouvée à la suite de cette recherche. Comme l’a souligné la SPRNote de bas de page 52, la preuve documentaire montre que de nombreux Nigérians ne s’enregistrent pas auprès du gouvernement, et que ce défaut de s’enregistrer n’entraîne pas la privation de droits civiques comme l’éducation, les soins de santé, etc Note de bas de page 53. Il n’y a aucun élément de preuve objectif qui donne à penser que l’appelante serait ou pourrait être recherchée par le réseau informatique national, même en tenant compte de la possibilité que des policiers corrompus aient été soudoyés.

[37] L’appelante affirme également que la SPR n’a pas tenu compte du fait que son père l’a trouvée lorsqu’elle s’était réfugiée dans l’État de Kastina, au Nigéria, et que la SPR a donc commis une erreur en concluant qu’elle ne serait pas retrouvée, selon la prépondérance des probabilités, dans les PRI proposéesNote de bas de page 54. Mon examen des paragraphes 21 et 22 de la décision montre que ce n’est pas ce que la SPR a constaté. La SPR a plutôt conclu que le risque que les agents de persécution découvrent l’endroit où se trouve l’appelante n’était pas satisfait selon la prépondérance des probabilités. Je ne pense pas que ce soit le manque de connaissances de l’appelante quant à la façon dont son père a découvert où elle se trouvait qui est à l’origine de cette conclusion : à mon avis, le fait de vivre avec sa tante (ou un autre membre de la famille), comme l’appelante le faisait à Kastina, n’est pas la même chose qu’une véritable PRI. J’admets qu’il y a un plus grand risque d’être retrouvé si l’appelante vivait dans une autre ville du Nigéria avec un membre de la famille, car il est probable que son père chercherait dans sa famille pour la retrouver. Le fait que l’appelante ait été trouvée par son père alors qu’elle vivait avec sa tante, bien que dans un autre État du Nigéria, ne contredit pas la conclusion selon laquelle Ibadan ou Port Harcourt seraient des PRI viables pour l’appelante, de sorte qu’elle ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer qu’elle ferait face à une possibilité sérieuse d’être persécutée dans l’une ou l’autre des villes proposées comme PRI.

[38] D’après mon propre examen indépendant de la preuve, je conclus que les affirmations faites par l’appelante au sujet des raisons pour lesquelles elle pense faire face à une possibilité sérieuse d’être persécutée à Ibadan ou à Port Harcourt – à savoir qu’Ibadan est près de sa ville natale, ce qui, selon elle, augmenterait les chances qu’elle soit reconnue et que son lieu de résidence soit signalé à son père ou XXXX XXXX, ou ailleurs au Nigéria, parce que la police accepterait un pot-de-vin et la renverrait chez ses parents parce que la police [traduction] « est au courant de son jeune âge » – sont hypothétiques et non étayées par la preuve documentaire présentée ci-dessous. Comme l’a noté la SPRNote de bas de page 55, bien que la police ait pu accepter de renvoyer l’appelante chez ses parents alors qu’elle était encore mineure au Nigéria, le tribunal a accordé peu de poids à sa déclaration selon laquelle elle serait maintenant en danger pour cette raison, plusieurs années plus tard, en tant que jeune adulte. L’appelante n’a pas contesté ce point en appel. Étant donné qu’il lui incombe de démontrer que les PRI proposées ne satisfont pas au premier volet du critère établi dans l’arrêt Rasaratnam, l’appelante ne s’est pas acquittée de son fardeau. Par conséquent, je conclus qu’Ibadan et Port Harcourt sont des PRI viables pour l’appelante en ce sens qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse qu’elle y soit persécutée.

Deuxième volet de l’analyse de la possibilité de refuge intérieur : Il n’est pas objectivement déraisonnable ni trop difficile pour l’appelante de déménager dans l’une des possibilités de refuge intérieur proposées

[39] La question est donc de savoir s’il est raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, que l’appelante déménage à Ibadan ou Port Harcourt. Je conclus que, en tenant compte de toutes les circonstances, il n’est pas trop exigeant ou objectivement déraisonnable que l’appelante déménage à Ibadan ou à Port Harcourt. Pour commencer, je note que l’appelante est célibataire et qu’elle n’a pas d’enfant à charge, ce qui, selon les documents, peut rendre la réinstallation plus viable pour les demandeures d’asile qui, comme l’appelante, craignent les acteurs non étatiques. De plus, je suis d’accord avec l’évaluation par la SPR de ses autres motifs personnels selon la norme de la décision correcte, comme nous le verrons plus loin.

[40] À l’audience, il a été demandé à l’appelante pourquoi elle ne pouvait pas déménager à Port Harcourt ou à Ibadan. Elle a déclaré qu’elle ne pouvait vivre à Port Harcourt parce qu’elle ne parlait pas la langue locale, qu’elle ne vient pas de cet État et que son appartenance au groupe ethnique des Yoruba la distinguerait. Elle a affirmé qu’elle ne pouvait vivre à Ibadan en raison de sa proximité géographique du lieu de résidence de ses agents de persécution (voir ci-dessus) et parce qu’elle n’y connaît personne, de sorte qu’elle aurait des difficultés en matière de logement et d’emploi. J’aborderai chaque facteur à tour de rôle.

[41] Transport et déplacements : Pour ce qui est de la viabilité des PRI pour l’appelante, j’estime qu’elle serait en mesure, malgré son sexe et le fait qu’elle retournerait seule, de se rendre en toute sécurité à l’une ou l’autre des PRI proposées et d’y rester sans subir de préjudice indu. Port Harcourt et Ibadan ont chacune un aéroport international56 permettant à l’appelante de s’y rendre directement, sans avoir à entreprendre des déplacements potentiellement dangereux en tant que femme qui voyage toute seule. Par conséquent, je ne suis pas d’avis que le sexe de l’appelante fait en sorte qu’Ibadan ou Port Harcourt sont des PRI déraisonnables en raison du déplacement ou du transport, et il n’existe aucune autre préoccupation sur le plan du transport ou du déplacement qui rendrait les PRI proposées déraisonnables ou trop difficiles.

[42] Langue : Selon son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA), l’appelante parle le yoruba et l’anglaisNote de bas de page 57, qui sont, comme il a été déjà mentionné, des langues courantes dans le sud du Nigéria, dont particulièrement à Port Harcourt et à Ibadan. L’appelante reconnaît qu’elle parle couramment les deux langues, mais elle soutient que cela n’atténue pas le fait qu’Ibadan et Port Harcourt sont des PRI déraisonnables pour elle en raison de son [traduction] « incapacité à trouver un logement ou un emploi » dans ces deux villes. Je suis d’accord avec l’appelante dans la mesure où la langue n’est qu’un facteur à considérer dans l’examen de la viabilité des PRI. En l’espèce cependant, le fait que l’appelante parle couramment deux des langues officielles parlées dans les PRINote de bas de page 58 milite en faveur du caractère raisonnable de ces emplacements, compte tenu de ses circonstances.

[43] Éducation et emploi : L’appelante est actuellement âgée de 20 ans. Selon les éléments de preuve qu’elle a présentés, elle a terminé ses études secondaires et elle a obtenu un diplôme d’études postsecondaires en XXXX au Nigéria, ce qui lui donne XXXX ans de scolaritéNote de bas de page 59. La SPR a noté que le fait de réussir aux échelons supérieurs de l’école secondaire signifie que l’appelante se situe dans la moitié supérieure de femmes nigérianes en matière de réussite scolaireNote de bas de page 60 étant donné que le CND montre que les femmes au Nigéria ont en moyenne seulement huit ans de scolaritéNote de bas de page 61. De plus, l’appelante a travaillé dans son domaine au Nigéria, c’est-à-dire XXXX XXXX, pendant plus de un anNote de bas de page 62. Je suis d’avis que la scolarité et l’expérience professionnelle de l’appelante améliorent ses chances de trouver un emploi dans l’éventualité où elle s’installerait dans l’une ou l’autre des PRI proposées. Bien que l’appelante souligne que selon le CND, une femme célibataire à Ibadan, à Port Harcourt ou dans une autre ville importante doit avoir l’aide d’une personne influente ou riche pour trouver un [traduction] « emploi raisonnable », ce même document énonce qu’il est plus facile pour une femme de vivre seule sans le soutien d’un homme si elle est instruite et si elle a un statut social élevé, car elle sera plus susceptible de trouver un emploi grâce à des liens avec des personnes de pouvoir et des politiciens plutôt que par la scolarité, et quant aux femmes scolarisées, il pourrait être [traduction] « plus facile de composer » avec la gestion d’un ménage sans le soutien d’un homme ou de la famille Note de bas de page 63. Par conséquent, j’estime que l’appelante peut se fier à sa scolarité qui est supérieure à la moyenne chez les femmes nigérianes et sur le fait qu’elle dispose d’une expérience professionnelle pour faciliter ses chances d’obtenir un emploi, là où les occasions existent. Je conclus ainsi que les facteurs personnels de l’appelante jouent en sa faveur quant au fait de pouvoir trouver un emploi, comparativement à une Nigériane moyenne, et, à la lumière de ses circonstances personnelles, les conditions dans la PRI ne sont pas inférieures à la norme contre laquelle la Cour d’appel fédérale nous met en garde, notamment « des épreuves indues que sont la perte d’un emploi ou d’une situation, la diminution de la qualité de vieNote de bas de page 64, [...] »

[44] Logement : L’appelante fait valoir qu’il serait [traduction] « impossible » pour elle d’obtenir un logement à Ibadan ou à Port Harcourt sans le soutien d’un homme, ce qui rend ainsi les deux PRI déraisonnablesNote de bas de page 65. Elle cite des éléments de preuve documentaire selon lesquels il est [traduction] « très difficile » pour les ménages dirigés par une femme sans le soutien d’un homme d’obtenir un logement, car les propriétaires peuvent supposer qu’elles sont des prostituées, ou qu’elles n’auraient pas les moyens de payer les [traduction] « loyers considérables » dans les villes comme Ibadan, Port Harcourt et Lagos où le coût de la vie est généralement élevéNote de bas de page 66. Cependant, comme il a déjà été mentionné, le portrait que ce document trace des femmes célibataires dans le sud du pays est inégal, mais il est nettement plus favorable que la situation dans le Nord, car les femmes ayant un niveau d’instruction et un statut socioéconomique supérieur se voient offrir davantage de possibilités dans le SudNote de bas de page 67. Comme il a été mentionné ci dessus, grâce à ses antécédents scolaires et à une certaine expérience professionnelle dans son domaine, l’appelante se situe dans la moitié supérieure des femmes nigérianes sur le plan socioéconomique. Bien que je sois consciente que les documents portent à croire qu’une personne dans la situation de l’appelante pourrait subir de la discrimination, surtout de la discrimination économique, en s’établissant dans une nouvelle région au Nigéria, je ne suis pas convaincue que la situation soit si désespérée, au point qu’elle soit « impossible » comme le soutien l’appelante, ou qu’elle fasse en sorte que Port Harcourt ou Ibadan soient objectivement déraisonnables ou trop difficiles, étant donné les circonstances de l’appelante.

[45] Religion : L’appelante a déclaré dans son formulaire FDA qu’elle est chrétienneNote de bas de page 68. L’appelante fait valoir que la SPR se fondait sur des conjectures lorsqu’elle a déclaré que l’appelante pouvait bénéficier du soutien d’organismes religieux ou d’autres organismes ou œuvres de bienfaisance si elle se réinstallait dans l’une des PRI. Toutefois, je conclus que les documents établissent que l’appelante ne serait pas minoritaire sur le plan de sa foi chrétienne dans l’une ou l’autre des PRI, qui se trouvent dans le sud du pays. De plus, les documents montrent que, en raison de l’identité chrétienne de l’appelante, celle-ci connaîtrait la culture religieuse dans ces régions et qu’elle pourrait se rendre à des lieux de culte chrétiens si elle le souhaite. Ce sont des facteurs pertinents qui se rapportent à la possibilité d’intégration de l’appelante dans les PRI et qui militent contre une conclusion selon laquelle les villes de Port Harcourt ou d’Ibadan seraient considérées déraisonnables ou trop difficiles, étant donné les circonstances de l’appelante.

[46] Identité autochtone : À l’audience, l’appelante a affirmé sa croyance selon laquelle l’identité autochtone était un facteur dans les motifs pour lesquels elle ne pouvait pas raisonnablement déménager à Port Harcourt, déclarant que son appartenance à l’ethnie yoruba la rendrait trop visible, vu qu’elle n’est pas originaire de cet état. L’appelante n’a présenté aucun argument concernant l’identité autochtone dans son appel, mais en plus de l’importante population yoruba au Nigéria qu’a noté la SPRNote de bas de page 69 je suis également d’avis que les conditions ne seraient pas objectivement déraisonnables pour qu’une personne dans la situation de l’appelante puisse se réinstaller soit à Ibadan soit à Port Harcourt, à la lumière de l’information citée ci-dessus établissant que l’identité autochtone est moins importante dans les grandes villes comme Lagos, Abuja et Port Harcourt qu’elle ne l’est à d’autres endroits en raison du taux élevé de croissance de la population dans les centres urbains. Je conclus ainsi que l’identité autochtone ne constitue pas un important obstacle à la réinstallation, particulièrement dans le cas de l’appelante, car rien ne laisse croire qu’elle chercherait un emploi dans l’industrie pétrolière ou en politique, soit les secteurs les plus influencés par l’identité autochtone selon les documents. La preuve documentaire montre notamment que, dans d’autres industries, les personnes peuvent en général trouver du travail pourvu qu’il y ait une demande, sans que l’ethnie ou l’identité autochtone soient des obstacles à cet aspect de l’intégration. Par conséquent, je ne suis pas d’avis que la discrimination que pourrait subir l’appelante dans l’une ou l’autre de ces deux grandes villes en raison de son origine yoruba ou du fait qu’elle n’est pas autochtone soit telle que les PRI proposées deviendraient déraisonnables ou trop difficiles.

[47] Disponibilité des soins médicaux et des soins de santé mentale : L’appelante soutient que le fait que les soins de santé et l’éducation doivent être payés par les particuliers et que [traduction] « tous les résidents de Port Harcourt ont difficilement accès à ces services » constituent un facteur défavorable quant au caractère approprié de cette ville comme PRI. Cependant, elle n’a pas présenté un argument semblable concernant Ibadan. J’estime que le simple fait que certains services sociaux, comme l’éducation et les soins de santé, doivent être payés par les particuliers ne signifie pas que ces services ne seraient pas disponibles ou accessibles si l’appelante devait s’en prévaloir, et donc je conclus que ce fait ne rend pas les PRI proposées déraisonnables selon le seuil élevé établi par la jurisprudence canadienne.

[48] Quant à sa santé mentale, l’appelante fait valoir qu’un rapport psychologique déposé en preuve n’a pas été considéré, et que cela constitue une erreur de la SPR susceptible de révision70. Toutefois, cela n’est pas le cas en l’espèce, puisque la SPR a examiné le rapport de la psychothérapeute de manière réfléchie et détaillée, déclarant qu’elle était sensible et réceptive aux problèmes que la psychothérapeute a notés à l’occasion de sa rencontre avec l’appelante, mais que ni le rapport ni l’appelante ne mentionnaient que les recommandations du rapport quant à la santé mentale, notamment la consultation et un solide réseau de soutien, ne seraient pas offertes à l’appelante au NigériaNote de bas de page 71. En effet, j’estime que la SPR a bien tenu compte de l’évaluation psychologique, conformément au deuxième volet du critère d’une PRI, à savoir s’il y aurait des éléments de preuve psychologique permettant de conclure qu’il serait objectivement déraisonnable ou trop exigeant d’obliger l’appelante de s’y réinstaller, à la lumière de son état psychologique.

[49] J’ai examiné le rapport de la psychothérapeute dans le cadre de mon analyse indépendante, et je note que le rapport établit que l’appelante manifeste des symptômes qui correspondent au XXXX XXXX XXXX XXXX XXXX XXXX, à XXXX XXXX et XXXX XXXX XXXX XXXXNote de bas de page 72. Le rapport énonce que, en fonction d’une évaluation d’environ une heure, la psychothérapeute a conclu que l’appelante [traduction] « a besoin de services de conseils appropriés et d’un solide réseau de soutien afin de XXXX XXXX XXXX XXXX XXXX XXXX XXXX XXXX XXXX » et que, à l’aide d’un plan médical et thérapeutique, l’appelante pourrait gérer XXXX XXXX, XXXX et XXXX XXXX qu’elle déclare éprouverNote de bas de page 73.Je conclus que rien ne permet de croire que l’appelante ne pourrait pas avoir accès aux établissements de soins de santé, y compris les établissements de santé mentale qui offrent des services de conseil à Ibadan ou à Port Harcourt, et rien n’indique qu’elle ne pourrait pas établir ou trouver un solide réseau de soutien, comme le recommande la psychothérapeute. Je reconnais que l’évaluation de la psychothérapeute, selon laquelle l’appelante bénéficierait de services de conseil pour l’aider à gérer ses symptômes, constitue un important aspect des circonstances personnelles de l’appelante qui doit être pris en considération pour conclure si la PRI proposée est raisonnable. Cependant, aucun élément de preuve au dossier ne permet d’établir que l’appelante n’aurait pas accès à ce genre de traitement à Ibadan ou à Port Harcourt, ce qui, je le répète, lui incombe, selon la prépondérance des probabilités. Par conséquent, je conclus que la PRI proposée n’est pas trop difficile ou objectivement déraisonnable en l’espèce.

Conclusions quant aux possibilités de refuge intérieur

[50] Après avoir examiné le dossier d’appel, dont le témoignage de l’appelante, sa preuve documentaire ainsi que les renseignements du CND, je souscris à la conclusion de la SPR pour les mêmes motifsNote de bas de page 74, à savoir que Port Harcourt et Ibadan offrent à l’appelante des PRI viables au Nigéria et que la demande d’asile n’est donc pas fondée.

[51] Une fois que la PRI a été nommée, il incombe aux appelants de démontrer que l’un ou l’autre des deux volets du critère énoncés dans l’arrêt Rasaratnam n’a pas été satisfait. La preuve au dossier ne permet pas de conclure que le père de l’appelante ou XXXX XXXX XXXX auraient le pouvoir ou l’influence nécessaire pour trouver l’appelante ailleurs au Nigéria, particulièrement à Ibadan ou à Port Harcourt, ou qu’ils seraient en mesure de faire appel aux forces de police afin de mener une recherche de l’appelante à l’échelle nationale, même en tenant compte de la corruption et de la possibilité de soudoyer des policiers individuels, de façon à ce que l’appelante risque sérieusement d’être persécutée ou personnellement exposée soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou de peines cruels et inusités soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture. De même, elle n’a pas démontré, compte tenu de ses circonstances personnelles, que les PRI proposées seraient objectivement déraisonnables ou trop difficiles. Comme il a déjà été mentionné, il incombe à l’appelante de prouver qu’Ibadan et Port Harcourt ne constituent pas des PRI, et je conclus que l’appelante ne s’est pas acquittée de ce fardeau.

Autres arguments non déterminants

[52] L’appelante soutient que la SPR a omis d’évaluer le risque pour l’appelante de subir une MGF, et que cette erreur est déterminante. Je ne suis pas convaincue que la SPR a omis d’évaluer le risque pour l’appelante de subir une MGF. La décision énonce clairement les allégations de l’appelante par rapport au mariage forcé et à la MGF, des allégations interreliées selon l’appelante : avec l’appui du père de l’appelante, la personne avec laquelle elle était forcée de se marier est la même personne qui insistait sur le fait qu’elle subisse une MGF conformément à ses croyancesNote de bas de page 75. Selon sa décision, la SPR a conclu que ces allégations fondamentales étaient crédiblesNote de bas de page 76. La question déterminante dans la demande d’asile, de même que dans le cadre du présent appel, est la PRI, et non la crédibilité. Dans ce sens, le risque pour l’appelante de subir une MGF au Nigéria avait été accepté. Par contre, la SPR a examiné la preuve de l’appelante et a conclu qu’elle ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de réfuter au moyen d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi l’un ou l’autre des volets du critère d’une PRI viable à Ibadan ou à Port Harcourt, ce qui était la question déterminante. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que la SPR a commis une erreur, selon ce qui a été déclaré.

[53] Ayant conclu que la SPR n’a pas commis d’erreur, comme le mentionnait le mémoire de l’appelante, et à la suite de mon évaluation de la preuve, dont la preuve documentaire de l’appelante, son témoignage de vive voix et les renseignements disponibles dans le CND, j’ai examiné la décision et l’analyse de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte et je suis d’avis que la SPR a eu raison de conclure que l’appelante dispose d’une PRI viable à Ibadan ou à Port Harcourt, compte tenu de toutes ses circonstances personnelles. J’estime que la preuve ne permet pas de conclure qu’elle risquerait sérieusement d’être persécutée dans l’une ou l’autre des villes proposées, et je conclus que sa réinstallation à Ibadan ou à Port Harcourt ne l’exposerait pas personnellement soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture, et que le fait de l’obliger de se réinstaller dans l’une de ces deux villes ne serait pas trop exigeant ou objectivement déraisonnable. Je souscris aux conclusions de la SPR, et ce pour les mêmes motifsNote de bas de page 77 à savoir que Port Harcourt ou Ibadan offrent à l’appelante une PRI viable au Nigéria, et la demande d’asile n’est donc pas fondée.

Conclusion

[54] Au titre du paragraphe 111(1) de la LIPR, je confirme la décision attaquée selon laquelle l’appelante n’a ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. L’appel est rejeté.

Signé par : L. Gamble

Date : 17 mai 2018