Table des matières
Introduction
Il s’agit du rapport de la vérification externe commandée en septembre 2017 par le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) de l’époque, M. Mario Dion. La vérification vise à évaluer les contrôles des motifs de détention et les décisions relatives à des affaires sélectionnées au hasard où la détention des immigrants a été supérieure à un minimum de 100 jours afin de déterminer la fréquence des problèmes liés à l’équité de la procédure ainsi que le respect de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) comme l’ont constaté la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale, les cours d’appel de l’Alberta et de l’Ontario ainsi que la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans une série de décisionsFootnote 1.
La vérification s’est déroulée sur une période de sept mois et a été effectuée par une seule vérificatrice ayant travaillé indépendamment et avec l’aide d’une autre personne qui a examiné les contrôles des motifs de détention tenus en français. La vérification a consisté en un examen approfondi de plus de 300 contrôles des motifs de détention et de décisions rendues au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) par la Section de l’immigration (SI) de la CISR. Les contrôles et les décisions concernent 20 dossiersFootnote 2 sélectionnés au hasard. La vérification portait essentiellement sur la tenue des contrôles des motifs de détention, sur la question de savoir si les contrôles des motifs de détention satisfaisaient aux normes d’équité énoncées par les tribunaux et sur la question connexe de savoir si les décisions rendaient compte avec justesse des éléments de preuve et des observations des parties.
La vérification ne devait pas consister en un examen juridique de la question de savoir si le droit et la jurisprudence en matière d’immigration avaient correctement été appliqués dans le cadre des décisions; elle devait porter essentiellement sur des questions d’équité particulières cernées aux fins de la vérification. La vérificatrice et l’examinateur ont mis à profit leur grande expérience en matière de processus décisionnels et de litiges dans le cadre de leur travail; ils n’étaient toutefois pas des experts en droit de l’immigration.
En moyenne, la durée de la détention des immigrants au Canada est de 1,7 mois. En 2016 et 2017, 87 p. 100 des personnes détenues pour des motifs liés à l’immigration ont été mises en liberté dans les 90 jours. Au cours de la vérification, aucun des dossiers, où la détention a été relativement brève comme dans la grande majorité des cas, n’a été examiné. Tous les contrôles des motifs de détention et toutes les décisions examinées concernaient des dossiers où la détention durait depuis plus de quatre moisFootnote 3.
La conclusion générale de la vérification est que, pour ce qui est d’un grand nombre des contrôles des motifs de détention et des décisions examinés, il y a des écarts remarquables entre les attentes énoncées par les tribunaux et la pratique de la SI. Même si la jurisprudence évolue et n’est pas complètement uniforme, il y a lieu de s’inquiéter dans la mesure où les tribunaux ont critiqué des pratiques qui, comme il a été constaté dans la présente vérification, ont été adoptées dans bon nombre des dossiers examinés. Dans certains cas, la SI a déjà modifié ses pratiques de façon à se conformer à la rétroaction judiciaire. Le rapport fait également état de changements qui devraient être apportés dans d’autres aspects du processus.
Un certain nombre de caractéristiques communes présentes lors des contrôles des motifs de détention satisfaisait aux normes judiciaires : la personne détenue était généralement représentée par un conseil; la détention était récente et relativement courte; il y avait parfois une preuve très importante à l’appui d’une conclusion de danger pour la sécurité du public ou de risque de fuite. Dans un nombre surprenant de ces cas, la personne détenue ne contestait pas son renvoi imminent, collaborait pour l’obtention de ses titres de voyage et ne demandait pas de mise en liberté, et ce, même lorsqu’elle était représentée par un conseil, à moins que la détention ne se prolonge pendant plusieurs mois. Dans la grande majorité des cas présentant ces caractéristiques, la détention se terminait dans un délai de six mois.
Par contre, dans notre échantillon, il y avait des cas où le processus des contrôles des motifs de détention ne satisfaisait pas aux attentes judiciaires, à savoir des cas où la personne avait été détenue longuement et n’avait pas été représentée par un conseil lors de presque tous ses contrôles des motifs de détention. Dans certains dossiers, des problèmes ont duré pendant des mois et des années dans la succession des contrôles des motifs de détention. Ces dossiers avaient pour caractéristique qu’un avocat assistait à deux ou trois contrôles de motifs de détention de la SI au cours d’une période allant d’une à sept années pour présenter une proposition de mise en liberté qui n’était pas acceptée. La personne détenue demeurait non représentée durant tous les autres contrôles de motifs de détention devant la SI, même si, dans certains cas, elle était représentée par un avocat devant les tribunaux ou la Section d’appel de l’immigration (SAI) ou dans le cadre d’une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). La personne détenue cessait souvent de participer aux contrôles des motifs de détention de la SI et cessait même parfois complètement d’y assister. Les contrôles des motifs de détention devenaient de plus en plus courts et bon nombre d’entre eux se terminaient en moins de cinq minutes.
Les contrôles des motifs de détention présentant ces caractéristiques constituent 50 p. 100 des contrôles examinés, mais ne constituent que 30 p. 100 des dossiers. Dans de nombreux dossiers, lorsqu’il y avait une lacune dans un aspect du processus de contrôle, les contrôles des motifs de détention tenus par la suite au cours d’une période prolongée finissaient par présenter des lacunes multiples.
Dans notre échantillon, les dossiers comportant des lacunes récurrentes et à long terme concernaient des personnes détenues en Ontario, même si environ 30 p. 100 de ces dossiers avaient été transférés d’un bureau régional de la SI à un autre, soit du bureau régional du Centre (qui dessert la majeure partie de l’Ontario) au bureau régional de l’Est (qui dessert entre autres des régions de l’Est de l’Ontario). Il importe de souligner que, même si l’Ontario est la province ayant le plus grand nombre de personnes détenues à des fins d’immigration, c’est cette province qui a le plus bas taux de représentations par un conseil parmi les trois bureaux régionaux. Aide juridique Ontario n’offre pas de services de conseil commis d’office pour les contrôles des motifs de détention et semble délivrer peu fréquemment des certificats d’aide juridique pour les services d’un avocat d’un cabinet privé.
L’échantillon comprenait les dossiers de cinq personnes ayant été détenues pendant plus de deux ansFootnote 4. Seulement une de ces personnes a été expulsée en fin de compte.
Pour ce qui est des quatre autres personnes ayant été mises en liberté, la détention a duré en moyenne 53 mois. Ce n’est que dans l’un de ces cas que le casier judiciaire de la personne justifiait une longue peine. L’une des quatre personnes a été mise en liberté par la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans le cadre d’une demande d’habeas corpus; une autre a été mise en liberté à la suite d’une décision favorable relativement à un ERAR; les deux autres personnes ont été finalement mises en liberté par la Section de l’immigration à l’aide de soutien communautaire et thérapeutique.
Dans l’ensemble, pour ce qui est des quatre affaires où il y a en fin de compte eu mise en liberté, la personne souffrait d’un trouble mental ou d’un autre problème de santé qui a commencé ou s’est aggravé au cours de la détention. Un homme a été mis en isolement durant une partie de sa détention. Un autre homme souffrait d’une très grave dépression nerveuse et a été maintenu dans un état catatonique pendant plus de trois ans aux motifs qu’il présentait un risque de fuite et qu’il constituait un danger pour la sécurité du public. Dans tous ces cas, sauf un, la personne était rarement représentée par un conseil au cours des contrôles des motifs de détention. Ce groupe d’affaires illustre une observation faite par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Chaudhary c. Canada,à savoir que, après 18 mois de détention, la mise en liberté devient de moins en [traduction] « moins probable à chaque contrôle successifFootnote 5. »
Le présent rapport et ses recommandations ne se veulent qu’un point de départ. Compte tenu de l’échéancier limité et de la portée de la vérification, le rapport ne peut que signaler des points préoccupants et attirer l’attention sur des situations où des changements peuvent être apportés, et ce, dans l’espoir que cela contribuera à rendre le processus de contrôle des motifs de détention plus équitable pour les personnes détenues pour des motifs liés à l’immigration.
Portée de la vérification
D’emblée, il importe de dire que la vérification ne consiste pas en un examen de la conduite ou des qualifications des commissaires de la SI individuellement ou en groupe; elle consiste plutôt en un examen de l’équité des pratiques décisionnelles et des décisions rendues. Dans le cadre de l’examen, un certain nombre de problèmes connexes ont été relevés, mais ils ne s’inscrivaient pas dans le mandat précis de la vérification et, dans certains cas, la CISR elle-même n’avait aucune emprise sur eux. Dans l’espoir que cela contribuera à ce qu’une discussion plus vaste soit engagée, il est brièvement question de ces problèmes sous la rubrique intitulée Facteurs contextuels.
Les critères clés devant être pris en compte dans l’évaluation de chaque contrôle des motifs de détention et décision sont énoncés ci-dessous.
- Présentation par le commissaire du processus d’audience et des conséquences; présentation appropriée si la personne n’était pas représentée? Des obstacles particuliers ont-ils été cernés à l’étape pertinente?
- Mesures prises pour garantir que la personne détenue comprend les motifs sur lesquels une éventuelle mise en liberté pourrait être fondée et les mesures que la personne elle‑même pourrait prendre pour obtenir une solution de rechange à la détention
- Communication par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC)
- Évaluation indépendante des faits, dans la prise d’une décision quant au risque de fuite et au danger pour la sécurité du public, sans se fier indûment aux éléments de preuve de l’ASFC; examen et évaluation du témoignage / des observations de la personne détenue
- Compréhension de l’obligation prévue par la loi énoncée à l’article 58 de prononcer la mise en liberté sauf sur preuve du danger ou du risque de fuite
- Nouvelle évaluation des enjeux à chaque audience; prise en compte des nouveaux éléments, y compris le passage du temps
- Traitement des décisions antérieures et recours à ces décisions
- Fardeau imposé à l’ASFC à chaque audience
- Prise en compte des critères énoncés à l’article 245 pour évaluer le risque de fuite
- Prise en compte des critères énoncés à l’article 246 pour évaluer le danger pour le public
- Prise en compte des critères énoncés à l’article 248 avant de prolonger la détention, notamment la durée et le motif de la détention, les retards attribuables à l’ASFC, l’absence de coopération de la personne détenue
- Questions posées à l’ASFC sur les motifs du délai pour effectuer le renvoi
- Prise en compte de solutions de rechange à la détention à toutes les occasions
- Volonté d’évaluer de façon complète et indépendante les solutions de rechange à la détention présentées par la personne détenue, notamment l’écoute du témoignage de cautions potentielles et d’autres témoins
- Reconnaissance que la détention ne peut se poursuivre que pour une période jugée raisonnable dans toutes les circonstances, y compris en fonction du risque de fuite, du danger pour le public et du délai de renvoi probable
- Contexte ou circonstances de l’audience
- Caractère adéquat des motifs de décision
- Autres critères ayant une incidence sur l’équité du processus.
Méthodologie
La vérification portait sur 312 contrôles des motifs de détention tenus relativement à 20 dossiers différentsFootnote 6 et concernant 18 personnes. Les dossiers sélectionnés aux fins de la vérification par la SI faisaient partie de l’ensemble des dossiers de détention réglés entre avril 2016 et août 2017 et où la détention avait duré plus de 100 jours. Parmi les dix-huit personnes détenues, quatorze ont été renvoyées du Canada et quatre ont en fin de compte été mises en liberté.
Dans tous les cas sélectionnés aux fins de la vérification, la personne a été mise en liberté ou renvoyée en 2016 ou en 2017. Cela signifie que la plupart des contrôles des motifs de détention se sont tenus au cours des deux dernières années. Toutefois, pour ce qui est des cas où la détention a été de longue durée, des contrôles des motifs de détention ont eu lieu dès 2010.
Le nombre de dossiers contenus dans l’échantillon de chaque bureau régional variait de façon à refléter, dans une certaine mesure, la répartition des contrôles des motifs de détention dans l’ensemble du pays. Un échantillon disproportionnellement important provenait du bureau régional de l’Est afin d’inclure une sélection de contrôles des motifs de détention tenus en français et en anglais.
Presque 60 p. 100 des contrôles des motifs de détention examinés provenaient du bureau régional du Centre. Même si le bureau régional du Centre a effectué environ 50 p. 100 de l’ensemble des contrôles des motifs de détention au Canada en 2016 et 2017, le bassin à partir duquel l’échantillon a été sélectionné contenait davantage de dossiers provenant de ce bureau. Cela est dû au fait que le bureau régional du Centre doit traiter un nombre disproportionnellement plus élevé de cas de détention de longue durée que les autres bureaux régionaux. Dans le bassin de l’ensemble des dossiers où la détention a duré plus de 100 jours et qui ont été réglés au cours de la période pertinente, 75 p. 100 des dossiers provenaient du bureau régional du Centre, ce qui représente 80 p. 100 de l’ensemble des contrôles des motifs de détention contenus dans le bassin à partir duquel l’échantillon a été sélectionné. Les dossiers provenant du bureau régional de l’Est représentaient 15 p. 100 des dossiers et 13 p. 100 des contrôles des motifs de détention contenus dans le bassin. 10 p. 100 des dossiers et 7 p. 100 des contrôles des motifs de détention provenaient du bureau régional de l’Ouest.
Dans les dossiers examinés, la plus courte période de détention a duré quatre mois. La plus longue a quant à elle duré plus de sept ans. Les lieux de détention comprenaient les centres de surveillance de l’immigration, des établissements de détention provisoires provinciaux pour les incarcérations pénales à court terme et des prisons provinciales pour les détenus purgeant une peine.
La vérificatrice a écouté de 80 p. 100 à 100 p. 100 des enregistrements concernant chaque dossier, en commençant par écouter le contrôle des quarante-huit heures, puis le contrôle des sept jours, puis presque tous les contrôles des trente jours qui avaient lieu par la suite jusqu’à ce que la personne soit mise en liberté ou renvoyée du CanadaFootnote 7.
Dans chaque cas, la vérificatrice procédait entre autres :
- à un examen des enregistrements audio des contrôles des motifs de détention, dont l’exposé des motifs.
- à un examen approfondi du dossier papier, dont la preuve documentaire présentée aux contrôles des motifs de détention, les notes manuscrites du commissaire et les formulaires de résumé des contrôles remplisFootnote 8.
- à un examen de la décision et des transcriptions des contrôles lorsqu’elles étaient disponibles.
Statistiques sur le travail de la Section de l’immigration
Nombre de personnes détenues
En 2017, 3 557 personnes ont été détenues pour des motifs liés à l’immigration au Canada. Il s’agissait d’une baisse par rapport au total de 3 870 personnes en 2016.
C’est le bureau régional du Centre qui avait le plus grand nombre de personnes détenues. En 2017, le pourcentage de personnes détenues par le bureau régional du Centre s’élevait à 43 p. 100 comparativement à 33 p. 100 pour le bureau régional de l’Est et à un peu moins de 25 p. 100 pour le bureau régional de l’Ouest. En 2016, le pourcentage de personnes détenues par le bureau régional du Centre était encore plus élevé, soit de 49 p. 100.
Durée de la détention
En 2017, 88 p. 100 des personnes détenues ont été mises en liberté dans les 90 jours, ce qui constitue une légère baisse par rapport au taux de 86 p. 100 de l’année précédente. Pour ce qui est des 436 autres personnes détenues en 2017, 64 p. 100 ont été mises en liberté dans les 180 jours.
Après 365 jours, 80 personnes étaient toujours détenues, ce qui représente 2 p. 100 de l’ensemble des personnes détenues en 2017. Il s’agissait d’une diminution par rapport aux 140 personnes détenues pendant plus de 365 jours en 2016, soit une diminution de 43 p. 100.
En répartissant les chiffres de 2016 et de 2017 en fonction des bureaux régionaux, nous constatons que la plupart des personnes qui ont été maintenues en détention pendant plus de 90 jours l’ont été par le bureau régional du Centre. Au cours de ces deux années, une moyenne de 62,5 p. 100 de personnes ont été détenues pendant plus de 180 jours par le bureau régional du Centre.
Nous constatons, à l’examen des détentions de plus longue durée, que la prédominance du bureau régional du Centre est encore plus marquée. Au cours de 2016 et de 2017, 43 p. 100 de l’ensemble des personnes détenues avaient été mises en détention par le bureau régional du Centre. Toutefois, en ce qui concerne les personnes qui se trouvaient toujours en détention après 365 jours, 72 p. 100 l’avaient été par bureau régional du Centre. Il y a cependant eu une baisse importante quant aux nombres de personnes détenues pendant plus de 365 jours par le bureau régional du Centre entre 2016 et 2017, le nombre étant passé de 100 à 58.
Au cours de 2016 et 2017, les chiffres concernant les autres personnes maintenues en détention pendant plus de 365 jours se divisaient plutôt également entre les bureaux régionaux de l’Est et de l’Ouest. En 2017, le bureau régional de l’Est avait maintenu en détention 12 personnes pendant plus de 365 jours, alors que le bureau régional de l’Ouest en avait maintenu dix. En 2016, chacun de ces bureaux régionaux a maintenu en détention 20 personnes pendant plus de 365 jours.
Nombre de contrôles des motifs de détention
En 2017, 11 061 contrôles des motifs de détention ont eu lieu au Canada. En 2016, il y en a eu 12 251.
En moyenne, au cours des deux années, 51 p. 100 des contrôles des motifs de détention se sont tenus au bureau régional du Centre. Durant la même période de deux ans, 31 p. 100 des contrôles des motifs de détention ont eu lieu au bureau régional de l’Est, d’où un pourcentage restant de 18 p. 100 au bureau régional de l’Ouest.
Taux de détention
À l’échelle nationale, les commissaires ordonnent le maintien de la détention dans presque 60 p. 100 des contrôles. Le taux de détention le plus élevé était au bureau régional du Centre, du fait qu’il était en moyenne de 62 p. 100 en 2016 et en 2017, alors que le taux était de 51 p. 100 au bureau régional de l’Ouest et de 55,5 p. 100 au bureau régional de l’Est.
Représentation
En 2017, les personnes détenues étaient représentées par un avocat lors de 61 p. 100 des contrôles des motifs de détention. À cela s’ajoute un 6 p. 100 de contrôles où la personne détenue était représentée par un consultant en immigration.
Les taux de représentation par un conseil étaient beaucoup plus bas au bureau régional du Centre. En 2017, au bureau régional du Centre, la personne détenue n’était représentée par un conseil que durant 38 p. 100 des contrôles.
Au bureau régional de l’Ouest, la personne détenue était représentée par un conseil lors d’environ 70 p. 100 des contrôles en 2017 en comparaison avec 76 p. 100 des contrôles au bureau régional de l’Est.
Motifs de détention
En 2017, à l’échelle nationale, la détention était fondée sur le motif du danger pour la sécurité du public (alinéa 58(1)a) de la LIPR) dans 13 p. 100 des décisions, ce qui constitue une augmentation de 11 p. 100 en 2016. La détention était fondée sur le motif selon lequel une personne se soustraira vraisemblablement à une procédure relative à l’immigration (« risque de fuite » au titre de l’alinéa 58(1)a) de la LIPR) dans 77 p. 100 des décisions de 2017. Le motif de l’identité (alinéa 58(1)c) de la LIPR) était invoqué dans 8 p. 100 des décisions en 2017 et les motifs raisonnables de soupçonner (alinéa 58(1)d) de la LIPR) ne l’était que dans 2 p. 100 des cas.
Les motifs prédominants de détention varient selon les bureaux régionaux. Au bureau régional du Centre, la détention était fondée sur le motif selon lequel une personne se soustraira vraisemblablement à une procédure relative à l’immigration ou sur le risque de fuite dans 85 p. 100 de l’ensemble de ses décisions comparativement à 77 p. 100 à l’échelle nationale. Le risque de fuite était le motif de détention invoqué dans 63 p. 100 des décisions du bureau régional de l’Est et dans 75 p. 100 des décisions du bureau régional de l’Ouest. Le bureau régional du Centre a rendu 50 p. 100 de l’ensemble des décisions fondées sur le risque de fuite en 2017.
Le motif du danger pour la sécurité du public était moins fréquemment invoqué pour justifier la détention aux bureaux régionaux de l’Ouest et du Centre comparativement au bureau régional de l’Est. En 2017, le motif du danger pour la sécurité du public était invoqué dans 15 p. 100 des décisions au bureau régional de l’Est comparativement à 11 p. 100 au bureau régional du Centre et à 9 p. 100 au bureau régional de l’Ouest. Au bureau du Centre, 692 décisions étaient fondées sur le motif du danger pour la sécurité du public en 2017 comparativement à 760 au bureau régional de l’Est.
L’identité était un motif de détention plus fréquemment invoqué au bureau régional de l’Est. Des problèmes concernant l’identité ont été invoqués dans 13 p. 100 des décisions au bureau régional de l’Est comparativement à 3 p. 100 des décisions au bureau régional du Centre et à 11 p. 100 des décisions au bureau régional de l’Ouest. En fait, 61 p. 100 de l’ensemble des contrôles des motifs de détention où l’identité constituait un problème ont été instruits par le bureau régional de l’Est, à savoir 662 sur 1 092 contrôles des motifs de détention en 2017.
Facteurs contextuels
Veiller au respect d’une norme élevée en matière d’équité dans le processus décisionnel au sein de la structure du régime législatif relatif aux contrôles des motifs de détention liée à l’immigration comporte des difficultés. La Cour d’appel de l’Alberta a affirmé ce qui suit à cet égard :
[traduction]
La loi dispose que la SI contrôle les motifs de détention fréquemment et en temps opportun. C’est un processus administratif dans le cadre duquel il faut se concentrer sur les critères de détention énoncés dans le règlement. Toutefois, la succession des contrôles, le rôle de l’agent d’examen et la déférence dont il faut faire preuve à l’égard des contrôles précédents peuvent faire en sorte que les décisions de la SI deviennent cumulatives et ne constituent plus un nouveau contrôle de la légalité de la détention. Les conditions statutaires de la détention et la nature du contrôle tendent à en limiter la portéeFootnote 9.
Il existe également des facteurs contextuels qui peuvent gêner la SI qui doit veiller à ce que le processus soit rigoureusement équitable. Bien que ce soit complexe, que cela dépasse largement la portée de la vérification et que, dans certains cas, la CISR elle-même n’ait pas d’emprise sur ces facteurs, on m’a demandé d’aborder brièvement la question de ces facteurs de façon à ajouter du contexte à mes recommandations.
Rôle et mandat de l’Agence des services frontaliers du Canada
Il semble, compte tenu de l’examen des contrôles des motifs de détention et d’entrevues menées à la SI, que l’ASFC a une culture régionale qui a une incidence sur la façon dont la SI effectue son travail. Par exemple, la SI n’approuve pas les cautionnements de bonne exécution de façon uniforme à l’échelle du pays en raison apparemment des différentes politiques régionales de l’ASFCFootnote 10. Il a été avancé que l’ASFC à Vancouver collaborait davantage avec la SI qu’à Toronto, qu’elle recommande plus souvent la mise en libertéFootnote 11 et qu’elle aide parfois à trouver des ressources communautaires qui vont appuyer la mise en liberté. En Colombie-Britannique et au Québec, il semble que l’ASFC travaille en collaboration avec les conseils commis d’office rémunérés par l’aide juridique dans l’élaboration de plans de mise en liberté.
Par contre, l’ASFC a été décrite comme étant « plus sévère » au bureau régional du Centre et dans les provinces des Prairies, comme ayant davantage tendance à s’opposer à une caution et comme étant moins susceptible d’accepter un plan de mise en liberté. Dans notre échantillon, certains agents d’audienceFootnote 12 au bureau régional du Centre et, dans une moindre mesure au bureau régional de l’Est, semblaient adopter une approche plus accusatoire dans la tenue du contrôle des motifs de détention qu’au bureau régional de l’Ouest; ils avaient davantage tendance à exagérer la preuve ou à tirer des conclusions fondées sur des hypothèses plutôt que sur des faits démontrés. Lors de certains contrôles des motifs de détention, le commissaire de la SI semblait d’une certaine façon intimidé par les points de vue véhéments adoptés par l’agent d’audience de l’ASFC. Les agents d’audience, surtout au bureau régional du Centre, n’adoptaient pas une approche « [d’]officier de justice » comme celle dont les tribunaux canadiens s’attendent de la part des procureurs de la Couronne.
Conformément aux dispositions législatives, la SI et l’ASFC ont chacune un rôle à jouer dans l’approbation de la mise en liberté à condition qu’il y ait une caution approuvéeFootnote 13. La SI ordonne la mise en liberté, et ce, même si cela est contraire à la recommandation de l’ASFC. Toutefois, l’ASFC doit approuver la caution après l’ordonnance de mise en liberté de la SI et elle peut refuser de l’approuver pour un certain nombre de motifs, dont celui de ne pas être convaincue que la caution peut respecter les conditions financières quant au cautionnement de bonne exécutionFootnote 14. Il a été avancé que le bureau régional de l’Ouest préfère exiger des cautionnements en espèces plutôt que des cautionnements de bonne exécution du fait, peut-être, que l’ASFC est considérée comme « sévère » dans ses évaluations financières et vraisemblablement encline à rejeter un plan de mise en liberté en se fondant sur le cautionnement de bonne exécution.
Au bureau régional du Centre, le partage des responsabilités dans l’approbation des cautions était davantage compliqué par la pratique, maintenant abandonnée, de ne pas autoriser les cautions potentielles à témoigner lors des contrôles des motifs de détention. Dans notre échantillon, la pratique observée était que, lorsque la caution proposée se présentait sur les lieux du contrôle des motifs de détention, elle n’avait pas la possibilité de témoigner. L’agent d’audience de l’ASFC devait alors mener une entrevue en privé auprès de la caution proposée à l’extérieur de la salle d’audience (en l’absence de la personne détenue, à moins qu’elle n’ait un conseil pouvant observer le déroulement de l’entrevue). Après l’entrevue, l’agent d’audience de l’ASFC rendait compte dans la salle d’audience de sa vision de la situation et du caractère adéquat de la caution. Le président de l’audience acceptait les renseignements reçus par personne interposée plutôt que de permettre à la personne de témoigner et de répondre aux questions.
Cette pratique faisait en sorte que seulement une partie, soit celle qui s’oppose aux intérêts de la personne détenue, avait accès au témoin. Le témoignage de celui-ci était rendu en privé et résumé, et la personne détenue n’avait pas la possibilité d’entendre le témoignage ou de poser des questions à son propre témoin. Le commissaire se privait également lui-même de cette possibilité. Il n’y avait aucun interrogatoire dans le dossier et il n’y avait pas de possibilité de contre-interrogatoire.
Cette pratique ne cadre pas du tout avec les principes les plus élémentaires de l’équité procédurale, dont le droit d’entendre et de rendre un témoignage dans un processus d’instruction ouvert de même que le droit de questionner les témoins. Cette pratique a eu cours au bureau régional du Centre pendant plusieurs années et semble s’être poursuivie même après la formation donnée à l’ensemble du tribunal en février 2016 où la question de la nécessité de permettre aux cautions potentielles de témoigner avait été abordée. La vérificatrice a été informée que cette pratique avait été abandonnée en 2017. Le fait qu’elle n’ait pas été perçue comme problématique jusqu’à récemment est symptomatique du défaut sous-jacent de reconnaître et de prendre en compte les principes de base de l’équité procédurale. Dans notre échantillon, il y a de nombreux exemples, qui seront analysés ci-dessousFootnote 15, de cautions potentielles qui n’ont pas été autorisées à témoigner aux contrôles des motifs de détention.
Pour terminer, il conviendrait d’aborder la question du rôle du Programme de cautionnement de TorontoFootnote 16 (TBP) en raison de sa relation avec l’ASFC. À Toronto, le programme de cautionnement, qui s’adressait aux personnes détenues dans le cadre d’accusations en instance, a été élargi de façon à être offert aux détenus de l’immigration. Le programme élargi n’est apparemment offert qu’à Toronto et est financé par l’ASFCFootnote 17.
Il n’existe aucune statistique permettant de savoir combien de personnes sont mises en liberté par année grâce au TBP ou quel est le pourcentage de mises en liberté globales liées au TBP. Dans notre échantillon, les commissaires du bureau régional du Centre acceptaient toujours les propositions de mises en liberté où le TBP apportait un soutien et rejetaient toujours celles où un organisme communautaire devait apporter un soutien semblable à celui du TBP. Dans ces affaires, lorsque le TBP refusait d’apporter un soutien en vue d’une mise en liberté, aucun commissaire de la SI n’ordonnait la mise en liberté, et ce, même si, au cours de contrôles des motifs de détention subséquentrs, un organisme communautaire était disposé à effectuer le même genre de surveillance que le TBP. Les organismes communautaires étaient rejetés au motif qu’ils ne bénéficiaient pas de [traduction] « [l’]avantage » d’avoir accès aux renseignements et au soutien de l’ASFC.
L’accès au TBP est, dans l’ensemble, une chose positive, à savoir qu’il permet à des personnes, qui n’auraient autrement pas pu élaborer un plan de rechange, d’être mises en liberté. Parfois, lors des contrôles des motifs de détention, les commissaires demandaient à l’ASFC de soumettre le cas d’un détenu au TBP pour une évaluation de l’admissibilité. À d’autres moments, le commissaire recommandait à la personne détenue de communiquer directement avec le TBP. Par contre, nous devons faire la mise en garde suivante : d’après notre échantillon, il semblerait que l’ASFC et la SI au bureau régional du Centre sous‑évaluaient la viabilité des plans de mise en liberté qui ne comprenaient pas le TBP. Il semblerait que des plans de mise en liberté, qui auraient été acceptés par les autres bureaux régionaux, étaient rejetés au bureau régional du Centre.
Malheureusement, cela signifie que l’une des parties au processus de contrôle des motifs de détention, l’ASFC en l’occurrence, entretient des liens de dépendance avec un organisme, soit le TBP, auquel la SI a attribué un rôle de gardien en ce qui concerne les mises en liberté. Le danger associé au fait que la SI délègue un aspect de son pouvoir décisionnel à l’ASFC et omette de maintenir son rôle de décideur pleinement indépendant a été commenté par la Cour supérieure de l’OntarioFootnote 18.
Pour terminer, je souligne que la façon dont l’ASFC, en tant que plaideur institutionnel présent lors de chaque affaire instruite par la SI, assume le rôle qui lui est conféré par la loi a une incidence directe sur la façon dont la SI s’acquitte de ses fonctions. Cela ressort de façon particulièrement évidente des différences dans la façon dont l’ASFC traite les affaires instruites par la SI. Même si cela ne faisait pas partie du mandat de la présente vérification, il est clair qu’une approche plus uniforme à l’échelle nationale de la part de l’ASFC, reflétant un rôle « [d’]officier de justice, pourrait grandement aider la SI à satisfaire aux attentes des tribunaux et aux normes de la Charte. Cela peut être fait sans porter atteinte aux intérêts légitimes de l’ASFC en tant que partie devant la SI, à savoir que l’ASFC pourrait assumer ses fonctions de la même façon que les procureurs de la Couronne assument chaque jour les leurs devant les tribunaux criminels à l’échelle du pays.
Recrutement et qualifications
La Cour fédérale a commenté le pouvoir « extraordinaire » des commissaires de la SI d’ordonner la détention de personnes qui ne sont coupables d’aucune infraction en soulignant que « [l]e pouvoir de détention appartient normalement aux juridictions répressives » et qu’il y a des « périodes déterminées d’incarcération pour diverses infractions »Footnote 19.
Le pouvoir d’ordonner la mise en liberté ou de maintenir la détention est, dans notre société, conféré principalement à des juges nommés par le gouvernement fédéral ou par les gouvernements provinciaux et qui sont presque tous des avocatsFootnote 20 détenant de nombreuses années d’expérience dans la pratique du droit. Pour ce qui est des autres tribunaux fédéraux ou provinciaux ayant le pouvoir d’ordonner la détention, les décideurs sont nommés par le Cabinet pour des mandats d’une durée déterminée et ils siègent habituellement en formation de deux à cinq personnes consistant entre autres en des avocats, des juges à la retraite et des experts professionnelsFootnote 21.
À ma connaissance, la SI est le seul tribunal où le pouvoir d’ordonner la détention d’une personne est conféré à des fonctionnaires occupant des postes permanents et siégeant seul en tant que décideur. La LIPR ne prévoit pas que les commissaires siègent en formation pour instruire les affaires. Même si un commissaire qui n’est pas un avocat peut être un excellent arbitre de tribunal, il est certainement utile d’avoir des commissaires qui ont une formation en droit et qui ont une vaste expérience dans le domaine de la justice, dont le droit administratif. Certains des commissaires de la SI sont des avocats, mais la majorité ne l’est pas. Leurs gestionnaires ne sont également pas nécessairement des avocats. Compte tenu de la norme actuellement élevée d’examen judiciaire et d’une mise en garde de la Cour fédérale en ce qui concerne la « mauvaise administration » des dispositions législativesFootnote 22, la SI pourrait envisager de trouver une façon de recruter et de maintenir en poste davantage d’avocats.
Outre une formation juridique, une gamme d’expériences différentes pourrait être nécessaire dans la cohorte des commissaires. Tout comme les tribunaux criminels établissent un équilibre en nommant des avocats de la Couronne et des avocats de la défense et tout comme les tribunaux du travail recrutent autant des avocats des syndicats que des avocats des employeurs, la SI devrait inclure dans son effectif des avocats ayant de l’expérience dans la représentation d’immigrants lors de procédures judiciaires devant la CISR. Il semble que de nombreux commissaires actuels ont auparavant travaillé pour l’ASFC. Veiller à ce qu’il y ait une gamme d’expériences variée au sein d’une cohorte de commissaires est tout aussi important que de créer une cohorte de commissaires qui présentent de la diversité sur les plans du genre, de la race ou de l’appartenance ethnique ainsi que des capacités et incapacités. Cela fait en sorte que le processus décisionnel repose sur une vaste expérience de vie.
Culture quant au processus décisionnel
D’après notre examen, qui comprend des discussions avec la gestion, il semble que la culture quant au processus décisionnel à la SI repose principalement sur les responsabilités de chaque commissaire en tant que décideur indépendant, et non sur la responsabilité collective des commissaires de produire une jurisprudence cohérente caractérisée par la qualité et l’équité des décisions. Cela diffère de l’approche adoptée par de nombreux tribunaux canadiens où la culture interne est de plus en plus collaborative de façon à ce que les décideurs travaillent ensemble à l’élaboration de pratiques exemplaires dans le processus décisionnel et à ce qu’ils adoptent en général une approche cohérente dans la constatation des faits et l’interprétation des lois.
Pour atteindre cet objectif, de nombreux tribunaux offrent davantage de soutien institutionnel et collégial aux décideurs individuels sans toutefois les éloigner de leur responsabilité ultime qui est de tirer leurs propres conclusions en se fondant sur l’affaire dont ils sont saisisFootnote 23. Il est possible de s’attendre à ce qu’une culture quant au processus décisionnel davantage axée sur la collaboration donne lieu à des décisions contenant moins d’erreurs et d’incohérences, ce qui sera avantageux pour les parties, et à une diminution des coûteuses demandes de contrôle judiciaire et d’habeas corpus. Pour une analyse plus approfondie de la valeur de cette approche, veuillez consulter un article rédigé par Ron Ellis, The Corporate Responsibility of Tribunal Members [la responsabilité organisationnelle des membres de tribunaux], qui a d’abord été présenté au Congrès du Conseil des tribunaux administratifs canadiens de 2008Footnote 24.
Dans le cadre d’une transition vers une culture quant au processus décisionnel davantage axée sur la collaboration, la SI pourrait offrir à ses commissaires un soutien visant à améliorer le processus décisionnel. Par exemple, bon nombre de tribunaux prennent des dispositions pour que les décisions soient examinées par un conseil du tribunal ou un commissaire principal avant qu’elles ne soient renduesFootnote 25. Même s’il est vrai que presque toutes les décisions de la SI sont prononcées de vive voix, il serait toujours possible pour un conseil du tribunal ou un gestionnaire d’examiner régulièrement les décisions par la suite. Cela permettrait aux gestionnaires d’être plus au fait des dossiers individuels et de signaler des problèmes potentiels comme ceux cernés dans la vérification. De plus, les commissaires individuels saisis d’affaires difficiles bénéficieraient de davantage de soutien.
Même si la CISR a alloué d’importantes ressources à la formation juridique de ses commissaires, notre examen nous amène à croire qu’il y a parfois un écart entre ce qui est enseigné lors des formations et ce qui est pratiqué sur le terrain. Contrairement à ce qui ce passe dans de nombreux tribunaux, il n’est pas dans la pratique des commissaires de discuter d’affaires difficiles lors de réunions de commissaires, comme il a été approuvé par les tribunauxFootnote 26. Si la SI tenait régulièrement des réunions de commissaires, où ceux-ci pourraient discuter entre eux de même qu’avec des conseils et des gestionnaires, ils auraient davantage l’occasion de renforcer leurs acquis dans un contexte de processus décisionnel quotidien.
Les réunions de commissaires consisteraient entre autres en une tribune permettant de discuter des questions en matière de politique, comme l’interprétation des lois et des dispositions réglementaires où il y a un manque de clarté ou des incohérences dans la jurisprudenceFootnote 27 ou des questions de pratique comme le rôle que doivent jouer les représentants désignés. Si, comme il est question dans la section intitulée Recommandations, la SI prend des mesures pour élaborer des directives de pratique ou des directives interprétatives accessibles au public, les réunions de commissaires constitueraient une bonne tribune pour discuter des ébauches de ces documents.
Le fait d’avoir découvert qu’il y a des différences régionales dans la gestion des dossiers et dans les pratiques décisionnellesFootnote 28 de même que les variations dans les taux de détention et la durée des détentions dans l’ensemble du paysFootnote 29 tend à établir qu’il serait utile de donner davantage l’occasion aux commissaires de collaborer à l’échelle du pays. Compte tenu du fait que bon nombre de contrôles des motifs de détention se tiennent par vidéoconférence, il pourrait être utile d’instaurer une pratique où, parfois, des commissaires se verraient assigner des contrôles des motifs de détention qui ne relèvent pas de leur bureau régional. Il semble que cela se fait déjà lorsqu’il faut respecter les délais prévus par la loi. Malheureusement, il est impossible d’envisager la possibilité d’assigner des affaires présentant des problèmes complexes ou nouveaux à un tribunal constitué de trois commissaires représentant chaque bureau régional parce que la LIPR ne permet pas à la SI de le faire.
Accès inégal aux services juridiques
Comme il a été mentionné ci-dessus, les taux de représentation par un conseil lors des contrôles des motifs de détention de la SI varient grandement au pays, étant en moyenne de 76 p. 100 au bureau régional de l’Est, de 70 p. 100 au bureau régional de l’Ouest et de 38 p. 100 au bureau régional du Centre en 2017Footnote 30. L’accès aux services d’un conseil varie également dans les bureaux régionaux en raison de différences dans les programmes d’aide juridique provinciaux. Dans notre échantillon, la personne détenue était représentée par un conseil dans moins de 10 p. 100 des contrôles des motifs de détention examinée en Ontario, alors qu’elle l’était lors de presque tous les contrôles des motifs de détention au Québec et en Colombie‑Britannique. Bon nombre des personnes détenues non représentées participaient à peine à leurs contrôles des motifs de détention malgré les observations approfondies présentées par les agents d’audience de l’ASFC.
Au Québec, le régime provincial d’aide juridique envoie quotidiennement deux conseils commis d’office à l’endroit où se tiennent les contrôles des motifs de détention à Montréal. Les conseils commis d’office tentent d’assister à tous les contrôles des quarante-huit heures et des sept jours et assistent aux contrôles des trente jours sur la base d’une évaluation des besoins lorsque la personne détenue n’est pas représentée. Des certificats d’aide juridique sont accessibles pour les détentions de longue durée et continuent d’être accessibles tout au long de la période de détention, contrairement à ce qui se passe en Ontario.
Le bureau régional de l’Ouest dessert la Colombie-Britannique, l’Alberta, le Manitoba, la Saskatchewan, le Yukon, les Territoires et le Nunavut. Environ 50 p. 100 des contrôles des motifs de détention de ce bureau régional ont lieu en personne à Vancouver; les autres contrôles se tiennent par téléconférence ou vidéoconférence, les personnes détenues se trouvant habituellement à Calgary, à Edmonton, à Regina, à Saskatoon ou à WinnipegFootnote 31. Au bureau d’audiences de Vancouver, la Société d’aide juridique de la Colombie‑Britannique envoie un ou deux conseils commis d’office quotidiennement. Les conseils commis d’office déterminent quelles personnes ont le plus besoin de leur aide. Ils assistent à presque tous les contrôles des quarante-huit heures et sélectionnent les contrôles des sept jours et des trente jours auxquels ils assisteront en fonction des besoins.
Pour ce qui est des personnes détenues en Saskatchewan, aucune aide juridique n’est accessible. La Société d’aide juridique de l’Alberta a deux avocats salariés responsables de toutes les questions d’immigration, dont les contrôles des motifs de détention. L’un se trouve à Calgary et l’autre à Edmonton. Selon leurs autres responsabilités, ils peuvent ou ne peuvent pas être disponibles pour les contrôles des motifs de détention de la SI. Au Manitoba, le régime d’aide juridique permet à toute personne détenue pour des motifs liés à l’immigration d’être représentée.
En Ontario, le Bureau du droit des réfugiés d’Aide juridique Ontario (AJO) ne représente actuellement qu’un nombre limité de personnes détenues lors des contrôles des motifs de détention de la SI en raison de sa capacité. Il n’existe aucun programme de conseils commis d’office. Dans l’échantillon du bureau régional du Centre, les personnes détenues étaient représentées lors de moins de 10 p. 100 des contrôles des motifs de détention. Ce taux est beaucoup plus bas que le taux de représentation déclaré au bureau régional du Centre, qui était de 38 p. 100 en 2017. L’écart s’explique probablement par la prédominance de détentions de très longue durée dans notre échantillon des dossiers du bureau régional du Centre.
Apparemment, AJO fournit un certificat pour une ou deux journées d’audience afin de présenter un plan de mise en liberté, mais elle ne continue pas de financer les litiges devant la SI. Habituellement, dans notre échantillon, le Bureau du droit des réfugiés ou un conseil d’un cabinet privé se présentait une ou deux fois au cours d’une période de nombreux mois pour présenter des plans de mise en liberté. Même si ce n’était pas évident dans le cadre de la vérification, il semble qu’AJO a consenti à offrir du soutien au Bureau du droit des réfugiés lors d’un plus grand nombre d’audiences lorsque la personne souffre de problèmes de santé mentale ou lorsqu’un représentant a été désigné.
Même si la question du financement de l’aide juridique pour des services juridiques dépasse la portée de la vérification, il est clair que les taux inégaux de représentation à l’échelle du pays font non seulement en sorte que les personnes détenues de certaines provinces ont un désavantage comparatif pour ce qui est de l’obtention d’une mise en liberté, mais ont également des répercussions négatives sur le travail de la SI. L’accès à un conseil rémunéré par l’aide juridique dans tous les bureaux régionaux peut atténuer le déséquilibre du pouvoir entre les personnes détenues et l’ASFC dans les salles d’audience et aiderait grandement la SI à s’acquitter de son mandat.
Audiences en personne et à l’aide de moyens électroniques
Dans l’ensemble des trois bureaux régionaux, la SI tient des contrôles des motifs de détention soit en personne soit à l’aide de moyens électroniques, en fonction du lieu où se trouve la personne détenue. Les contrôles des motifs de détention à l’aide de moyens électroniques ont généralement lieu par vidéoconférence mais, si la personne est détenue à l’extérieur d’un grand centre urbain, le contrôle des motifs de détention aura lieu par téléphone. Les contrôles des motifs de détention à Regina et à Saskatoon sont menés par téléphone.
La vérificatrice a pu assister à titre d’observatrice à cinq contrôles des motifs de détention en personne et à deux contrôles des motifs de détention par vidéoconférence à Toronto et à Montréal. À Montréal, les contrôles des motifs de détention auxquels la vérificatrice a assisté se sont tenus dans des salles d’audience situées au même endroit que les bureaux des commissaires. Les personnes détenues étaient amenées dans la salle d’audience par l’ASFC. Les mêmes dispositions sont prises pour les personnes détenues à Vancouver : l’ASFC amène les personnes détenues dans les salles d’audience de la SI.
À Toronto, les contrôles des motifs de détention auxquels la vérificatrice a assisté se sont tenues dans les salles d’audience de la SI qui se trouvent au même endroit que le Centre de surveillance de l’immigration. Deux des contrôles des motifs de détention à Toronto ont eu lieu par vidéoconférence, les personnes détenues se trouvant dans la prison provinciale de Lindsay. Dans ces affaires, la personne détenue n’était pas représentée et il n’y avait ni témoin ni caution proposée. Toutefois, la pratique utilisée habituellement lorsque la personne détenue est représentée serait que son conseil doit se présenter à une salle d’audience du Centre de surveillance de l’immigration avec tout témoin et avec l’agent d’audience de l’ASFC. La personne détenue participe par vidéoconférence.
Dans certaines provinces, y compris en Ontario, les commissaires se rendent dans les établissements correctionnels et président les contrôles des motifs de détention dans une salle réservée, parfois brièvement, à cette fin. La vérificatrice n’a pas été en mesure d’assister à un contrôle des motifs de détention dans une prison, mais il lui a été signalé qu’il y avait souvent des interruptions et que les témoins, y compris les cautions proposées, n’étaient pas autorisés à entrer dans la salle d’audience. Cela signifie que le commissaire doit questionner tout témoin dans le vestibule ou le corridor en l’absence de la personne détenue, mais vraisemblablement en présence de l’ASFC. Cela soulève des problèmes d’équité comme il sera plus tard analysé dans le présent rapport.
Pour les détenus de l’immigration, les contrôles des motifs de détention en personne dans une salle d’audience réservée sont la meilleure option. La possibilité d’une interaction directe entre le commissaire et la personne détenue peut humaniser le processus et favoriser une audition complète et équitable de la preuve. Plus particulièrement, l’organisation actuelle des contrôles des motifs de détention en personne détenues à Montréal et à Vancouver peut être optimale : le fait que les salles d’audience se trouvent dans un lieu séparé communique à la personne détenue que la SI est indépendante de l’ASFC; cela peut être moins évident pour les personnes détenues amenées au bout d’un corridor au Centre de surveillance de l’immigration de Toronto pour un contrôle des motifs de détention. Toutefois, l’ASFC est responsable d’amener les personnes détenues aux contrôles des motifs de détention et peut prendre des mesures pour la tenue de contrôles des motifs de détention par vidéoconférence à Montréal et à Vancouver en vue d’économiser de l’argent.
Étant donné que la vérificatrice a dû avoir recours à des enregistrements audio pour la grande majorité des 300 contrôles des motifs de détention examinés, il ne lui est pas possible de faire des observations détaillées sur les limites liées aux différents lieux et technologies. Nous avons effectivement constaté que, lorsque le contrôle des motifs de détention se tenait en personne ou à l’aide de moyens électroniques dans les prisons provinciales de l’Ontario (Centre correctionnel Maplehurst, Centre correctionnel du Centre-Est et Centre correctionnel de Vanier), il y avait de fréquentes interruptions, y compris des annonces faites par l’intermédiaire d’un système audio dans la salle d’audience. Nous avons appris que des limites de temps étaient imposées par les établissements correctionnels et qu’il y avait des problèmes liés au confinement cellulaire.
Observations générales
Dans l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration)Footnote 32, la Cour suprême du Canada a examiné la question des détentions pour des motifs de sécurité au titre de la LIPR et a établi une norme de contrôle rigoureuse de la détention des immigrants de façon à ce que le processus soit conforme aux articles 7 et 12 de la Charte. La Cour suprême du Canada s’est appuyée sur la décision SahinFootnote 33rendue antérieurement par la Cour fédérale et a maintenu que le processus de contrôle des motifs de détention doit tenir compte du contexte et des circonstances propres à chaque cas et que la personne détenue doit avoir la « possibilité réelle de contester son maintien en détention ou ses conditions de mise en liberté »Footnote 34.
Même si la jurisprudence évolue et n’est pas complètement uniforme, la SI se heurte maintenant à un certain nombre de décisions des tribunaux qui laissent entendre qu’une norme conforme à la Charte en ce qui concerne un processus de contrôle rigoureux et significatif n’est pas satisfaite uniformément dans le cadre des contrôles des motifs de détention et que, dans certains cas, il y a eu atteinte aux droits conférés par la Charte aux personnes détenues en raison de leur maintien en détention par la SIFootnote 35.
Le tableau figurant aux pages 7 et 8 du présent rapport a été élaboré par la SI pour recueillir les critères cernés dans les décisions de ces tribunaux en tant que sujets de préoccupation possibles. Comme il a été mentionné ci-dessus, la vérificatrice a trouvé des lacunes dans au moins un des critères relevés dans le tableau dans environ 50 p. 100 des contrôles des motifs de détention examinés et regroupés dans 35 p. 100 des dossiers.
Environ 80 p. 100 des contrôles des motifs de détention problématiques ont eu lieu au bureau régional du Centre; 20 p. 100 des autres contrôles des motifs de détention problématiques ont eu lieu au bureau régional de l’Est. Cela s’explique en partie par le fait que, dans notre échantillon et dans les dossiers de la SI en général, les détentions de plus longue durée sont en nombre disproportionnellement plus élevé au bureau régional du Centre. La constante découverte dans le cadre de la vérification était que, plus la détention était maintenue longtemps, plus il y avait des chances que le processus ne donne pas de résultat, et ce, à répétition. L’autre élément clé dans la plupart de ces contrôles des motifs de détention, qui ont tous eu lieu à Toronto, était l’absence d’un conseil.
Dans le cadre de ces dossiers de détention de longue durée, nous avons constaté que, lors des contrôles des motifs de détention qui se sont succédé au fil des mois et des années, la SI a omis d’effectuer une évaluation nouvelle et indépendante des faits, se fondant plutôt sur des décisions antérieures et permettant à l’ASFC de se fonder sur des observations antérieures. Parfois, le problème consistait en un défaut de questionner l’ASFC au sujet des retards ou de l’utilité d’une enquête qui n’avance pas. Parfois, le commissaire a omis d’entendre le témoignage rendu à l’appui d’un plan de mise en liberté ou de porter un regard neuf sur une proposition avec le passage du temps. Durant de nombreux contrôles des motifs de détention, le commissaire a refusé d’entendre le témoignage d’une caution potentielle. Dans un cas, les commissaires ont accepté à répétition l’interprétation de la preuve de l’ASFC, omettant ainsi d’évaluer de façon indépendante la crédibilité ou d’examiner d’un œil critique les circonstances factuelles.
Il semblerait que, trop souvent au cours de ces contrôles des motifs de détention, le fardeau de la preuve avait été transmis à la personne détenue qui était presque toujours non représentée et impuissante à formuler un nouvel argument pour sa mise en liberté ou à démontrer qu’elle s’était réadaptée au cours de son incarcération sans avoir eu accès à un programme de soutien qui aurait pu l’aider dans sa réadaptationFootnote 36. Dans bon nombre de ces contrôles des motifs de détention, le commissaire ne semblait pas prendre en compte de façon considérable la preuve ou les observations présentées par la personne détenue, omettant de lui permettre de rendre un témoignage sous serment et omettant de tirer des conclusions quant à la crédibilité de son témoignage.
Même si elle reconnaît que de bonnes pratiques ont été constatées dans de nombreux contrôles des motifs de détention, la présente vérificatrice avait pour tâche de cerner les pratiques qui ne cadraient pas avec la jurisprudence qui a encadré l’examen. Le rapport inclura des recommandations sur la façon d’apporter des changements qui aideront la SI à se conformer davantage aux normes d’équité établies par la jurisprudence.
Sujets de préoccupation particuliers
Inexactitudes et incohérences dans les constatations des faits
Les commissaires de la SI président généralement en rotation les contrôles des motifs de détention concernant un dossier de détention, ce qui a pour conséquence que, tous les 30 jours, un commissaire différent du même bureau préside un contrôle du maintien en détention d’une personne. Cette pratique est conforme à l’exigence de « décider à nouveauFootnote 37 » lors de chaque contrôle des motifs de détention et vise à rassurer la personne détenue quant au fait que des regards neufs seront portés dans le cadre de l’examen de son affaire chaque mois. Toutefois, un désavantage est que, dans certains cas, il était évident que, de mois en mois, le commissaire présidant le contrôle des motifs de détention n’était pas suffisamment au fait des circonstances factuelles qui, si elles avaient été examinées, auraient pu appuyer la mise en liberté.
Par exemple, dans un dossier, il y a une décision de 2016 où le maintien de la détention est ordonné au motif que la personne détenue a causé du retard en omettant d’appeler son consulat pour des entrevues prévues; la décision à cet égard se fonde sur une évaluation défavorable quant au risque de fuite. Toutefois, une décision de 2015 concernant cette même affaire enjoignait à l’ASFC d’aider la personne détenue pour son entrevue avec le consulat; au cours de du contrôle des motifs de détention, le commissaire attirait l’attention de l’ASFC sur le fait que la personne détenue n’avait pas pu avoir son entrevue parce qu’elle avait été mise en confinement cellulaire et qu’elle avait d’autres problèmes en établissement qui l’avaient empêchée d’avoir accès à un téléphone. En fait, le dossier démontre qu’il a fallu quatre mois à l’ASFC pour prendre des dispositions pour la tenue d’une entrevue téléphonique, entrevue à laquelle la personne détenue avait en tout temps été disposée à participer. Cette situation aurait été évidente pour le décideur suivant s’il avait eu la possibilité de consulter la transcription des contrôles des motifs de détention antérieurs ou les décisions rendues précédemment.
En effet, l’un des facteurs ayant une incidence sur la cohérence et l’exactitude des conclusions est le fait que les décisions ne sont pas uniformément transcrites, de sorte que les décideurs suivants ne sont pas nécessairement au fait de la preuve ou des conclusions tirées lors des contrôles des motifs de détention précédenteFootnote 38.
Dans certains dossiers, il est possible de constater qu’un tableau incohérent ou faux est brossé au fil du temps. Des hypothèses défavorables, non rigoureusement appuyées par la preuve, finissent parfois par faire partie de l’histoire admise de la personne détenue. Le problème des inexactitudes factuelles et même de l’émission d’une « pure hypothèse » dans les décisions sur la détention a été cerné par la Cour fédérale dans la décision WangFootnote 39et par la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans les décisions OgiamienFootnote 40, ScotlandFootnote 41et Ali.
Dans la décision Ali,la Cour a affirmé ce qui suit au sujet du point de vue du gouvernement selon lequel M. Ali contrecarrait activement l’enquête :
[traduction]
Les autorités ne peuvent pas s’acquitter du fardeau qui leur incombe de démontrer que le maintien de la détention du M. Ali est justifié, aux fins de l’immigration, en se fondant sur le scepticisme et la suppositionFootnote 42.
Il y a plusieurs exemples de ce qui pourrait être considéré comme de la « supposition » dans notre échantillon. Dans un dossier, une décision de ne pas ordonner la mise en liberté a été prise en 2016. Cette décision était en partie fondée sur le fait que la personne détenue avait causé la perte de « milliers de dollars » en cautionnements déposés. Par contre, une décision de 2017 concernant la même affaire affirme correctement, d’après le dossier, qu’il n’y avait apparemment jamais eu de confiscation réelle de cautionnements. Pendant les contrôles des motifs de détention qui se sont succédé par la suite pendant des mois, les décisions pouvaient souscrire ou ne pas souscrire à ce point de vue factuel, à savoir que certaines décisions postérieures se fondaient sur la prétendue confiscation invoquée dans la décision de 2016 pour justifier le maintien de la détention.
Dans plusieurs dossiers, les constatations des faits changeaient au fil du temps, et ce, au détriment de la personne détenue. Dans un dossier, après 24 mois de détention, deux décisions rendues en 2014 invoquent, apparemment pour la première fois, une déclaration de culpabilité antérieure pour possession d’une arme à feu. Les décisions antérieures de même qu’un examen exhaustif du cas dans le dossier papierFootnote 43 ne font aucunement mention de cette déclaration de culpabilité. En fait, lors d’un contrôle s’étant tenu en 2012, un commissaire souligne que les [traduction] « graves déclarations de culpabilité [du détenu] sont toutes anciennes », n’attirant l’attention que sur une déclaration de culpabilité pour vol qualifié en 2005 et une déclaration de culpabilité pour tentative de vol qualifié en 2007. Notre examen de tous les enregistrements audio disponibles ne nous a pas permis de trouver le moindre exemple où l’ASFC a invoqué une déclaration de culpabilité liée aux armes à feu, dont l’enregistrement du contrôle même où la déclaration de culpabilité pour possession d’une arme à feu a été invoquée pour la première fois. Il n’a jamais été fait mention d’armes à feu après les deux décisions de 2014. Toutefois, une décision rendue en 2015 et une autre rendue en 2016Footnote 44 invoquent des déclarations de culpabilité liées aux « armes » pour justifier la détention. Y a-t-il eu une déclaration de culpabilité pour possession d’une arme? Peut‑être que oui, peut-être que non. Toutefois, si une personne demeure détenue pendant 59 mois parce qu’elle constitue un danger pour la sécurité du public, il importe que la détention soit appuyée sur un dossier précis et cohérent des déclarations de culpabilité passée.
À l’examen des contrôles successifs, lorsqu’il y a des inexactitudes ou des déclarations erronées vagues, il est possible de constater que les personnes détenues finissent par se décourager, deviennent désespérées, cessent parfois d’assister à leurs contrôles ou y assistent sans parler, ou encore qu’elles finissent par se fâcher ou par être contrariées lors d’un contrôle.
L’exemple le plus frappant de cette situation serait le cas d’un contrôle au cours duquel le motif du danger pour la sécurité du public a été ajouté pour justifier la détention pour la première fois, alors que la personne était déjà détenue depuis plus d’un an. II n’y a eu aucun nouvel événement. L’ASFC n’a pas invoqué de motif supplémentaire. La décision invoque d’importants antécédents de déclarations de culpabilité prononcées il [traduction] « n’y a pas eu si longtemps de cela » sans vraiment tenir compte du fait que presque toutes les déclarations de culpabilité datent d’il y a plus de dix ans. Le commissaire affirme ce qui suit : [traduction] « Je vais bien sûr maintenir le motif du danger […] » sans se rendre compte apparemment qu’il ajoute un nouveau motif. Il ne donne aucun motif pour justifier le fait qu’il rend une décision différenteFootnote 45.
Dans cette affaire, le motif du danger pour la sécurité du public a été maintenu lors des contrôles subséquents en conformité avec cette décision. Lors de plus d’un contrôle, la personne détenue tente de contester la conclusion relative au danger pour la sécurité du public. La femme n’est pas représentée. Lors d’un contrôle, ses observations selon lesquelles elle ne constitue pas un danger pour la sécurité du public et n’a jamais blessé qui que ce soit sont abruptement coupées. Ce contrôle est présidé par le commissaire même qui a au départ ajouté le motif du danger pour la sécurité du public; il la réprimande parce qu’elle ne comprend pas les raisons pour lesquelles elle a été considérée comme un danger pour le public, disant ce qui suit : [traduction] « Vous avez participé à cette procédure de nombreuses fois maintenant […] Je crois que vous devriez savoir qu’il n’est pas nécessaire que vous ayez tué quelqu’un pour être considérée comme danger pour le public. Vous devriez savoir celaFootnote 46. » Il s’agissait toutefois du même président de l’audience qui avait ajouté le motif du danger pour la sécurité du public sans donner la moindre raison pour justifier le fait qu’il rende une décision qui diffère à cet égard de toutes les décisions rendues lors des contrôles précédents, et ce, sans que l’une ou l’autre des parties n’aient formulé d’observations.
Recours sans réserve à des déclarations par des agents d’audience de l’Agence des services frontaliers du Canada
Le fait que les commissaires se sont trop souvent fiés aux déclarations faites par les agents d’audience de l’ASFC sans les remettre en question est lié à la question d’inexactitude. Le risque de tirer des conclusions inexactes est aggravé par la rotation des agents d’audience qui représentent l’ASFC. Dans certains cas, l’agent d’audience conservera un dossier pendant une longue période, mais la rotation semble être courante. Compte tenu du fait que chaque contrôle des motifs de détention dans la plupart des dossiers a été écouté dans le cadre de la vérification, nous avons pu relever des cas où l’agent d’audience, peut‑être en raison d’un manque de connaissance de l’historique de l’affaire, a fait une fausse déclaration sur laquelle la décision a été fondée par la suite. Il s’agissait particulièrement d’une préoccupation dans le cas de détentions de très longue durée.
Les inexactitudes dans les observations de l’ASFC semblaient parfois minimiser les retards dans leur propre enquête. Un contrôle des motifs de détention de 2015 où l’ASFC avise le commissaire que les empreintes digitales ont été envoyées [traduction] « il y a quelques mois » à Interpol en est un exemple. Cependant, il avait été signalé lors d’un contrôle des motifs de détention tenu 18 mois plus tôt que les empreintes digitales avaient en fait été envoyées à Interpol en 2013.
Au fil du temps, les déclarations inexactes des agents de l’ASFC peuvent devenir des faits admis dans les décisions, même lorsque ces [traduction] « faits » sont contredits par des décisions antérieures de la même époque des événements en cause. Par exemple, dans une décision de 2015, un commissaire rejette les observations formulées par l’ASFC selon lesquelles la personne détenue avait refusé récemment de signer des titres de voyage ou n’avait pas fait preuve de collaboration à cet égardFootnote 47. Toutefois, quelques mois plus tard, une deuxième décision repose sur de nouvelles observations de l’ASFC selon lesquelles la personne détenue a causé un retard en refusant de signer un titre de voyage. La propre explication de la personne détenue quant au retard du titre de voyage (qui est conforme à la conclusion de la décision antérieure) n’est pas prise en compte ni même reconnue dans la deuxième décision. Quelques mois plus tard, une autre décision précise que la personne détenue a causé un retard en refusant de signer les titres de voyage.
Le risque de se fier sans réserve aux observations formulées par l’ASFC au sujet de la non‑coopération a été expressément relevé dans plusieurs décisions des tribunauxFootnote 48. Dans l’arrêt Brown, la Cour supérieure de l’Ontario a faitremarquer au sujet des éléments de preuve de l’ASFC dont disposait la Cour (et précédemment la SI) que M. Brown avait nui à son processus de renvoi en ne fournissant aucun renseignement au sujet des membres de sa famille en Jamaïque. La Cour a admis le témoignage de M. Brown selon lequel il ne connaissait aucun membre de sa famille en Jamaïque et a souligné que cela n’aurait pas pu constituer un défaut de coopération si M. Brown n’avait pas été en mesure de fournir des renseignements concernant sa famille parce qu’il ne détenait simplement pas ces renseignementsFootnote 49.
Défaut d’entendre le témoignage de l’agent d’exécution ou de l’enquêteur, le cas échéant
Les difficultés qui sont survenues en s’appuyant sur les déclarations des agents d’audience de l’ASFC auraient pu être réglées dans certains cas en demandant à ce que l’enquêteur ou l’agent d’exécution de l’ASFC soit présent et témoigne sous serment. Bien que cela ne soit pas nécessaire dans la plupart des contrôles des motifs de détention, cela ne s’est notamment produit dans aucun des contrôles des motifs de détention qui ont été examinés dans le cadre de la vérification. C’était le cas même lorsque l’agent d’audience n’était manifestement pas au courant des faits pertinents relatifs à une enquête approfondie sur l’identité. Cette situation était très différente de ce qui se passerait dans d’autres audiences administratives de justice si une partie était incapable de présenter des renseignements pertinents en ce qui concerne des points importants. Lorsque l’agent d’audience de l’ASFC n’a pas pu répondre aux questions posées par le commissaire, celui‑ci n’a pas ajourné la séance pour permettre à l’agent d’exécution de se présenter pour répondre aux questions et d’être contre‑interrogé par la personne détenue (ou son conseil si elle était représentée)Footnote 50. Le commissaire avait plutôt tendance à se débrouiller en s’appuyant sur de vagues déclarations pour justifier la poursuite de la détention.
La Cour fédérale dans la décision Brown cite la capacité à appeler l’enquêteur ou l’agent d’exécution de l’ASFC à témoigner comme un facteur qui rend plus difficile une conclusion selon laquelle le processus de contrôle des motifs de détention est contraire à la CharteFootnote 51.La Cour supérieure de l’Ontario reprend la même idée en tenant compte de la demande d’habeas corpus de M. Brown : M. Brown a le droit de procéder à un contre‑interrogatoire en ce qui concerne les éléments de preuve présentés par l’ASFCFootnote 52.
La réalité est assez différente. Bien que les éléments de preuve relatifs à l’exécution ou à l’enquête aient été une question litigieuse dans de nombreux contrôles des motifs de détention qui ont été examinés, le commissaire n’a jamais soulevé la possibilité de faire appel à l’agent d’exécution à des fins d’examen par une personne détenue ou un conseil. Il y a eu des cas où des personnes détenues non représentées ont affirmé lors de leurs contrôles des motifs de détention que l’agent d’audience avait été inexact en rapportant les mesures prises dans le cadre de l’enquête. Au lieu d’intervenir en demandant si la personne détenue souhaitait que l’enquêteur témoigne et soit questionné, le commissaire n’a tout simplement pas tenu compte des objections de la personne détenue. Une personne détenue non représentée a expressément demandé à l’enquêteur d’assister au contrôle des motifs de détention, mais la demande est demeurée sans réponse.
Le droit de la personne détenue à un contre-interrogatoire n’est pas le seul problème. L’absence d’éléments de preuve directs quant à l’enquête, en particulier dans les cas complexes relatifs à l’identité où des demandes sont présentées sur un certain nombre de fronts et dans différents pays, mine la fiabilité et l’exactitude des conclusions de fait.
Défaut de permettre à la personne détenue d’entendre et de présenter des témoignages
Il s’agissait d’un problème important dans les contrôles des motifs de détention du bureau régional du Centre qui ont été examinés dans le cadre de l’audit. Comme il a été mentionné brièvement précédemmentFootnote 53, jusqu’en 2017, la pratique voulait que les cautions potentielles ne soient pas autorisées à témoigner dans la salle d’audience. Elles étaient plutôt questionnées à l’extérieur de la salle d’audience par l’agent d’audience de l’ASFC, qui faisait ensuite rapport de leur situation et résumait leurs déclarations. La personne détenue n’avait pas l’occasion d’entendre le témoignage ou de poser des questions à son propre témoin. Les commissaires se sont également privés de la possibilité d’entendre l’interrogatoire et le contre‑interrogatoire et, ce faisant, n’ont pas examiné de façon complète et indépendante la solution de rechange à la détention qui avait été proposée. Les propositions de mise en liberté ont souvent été rejetées par la suite en raison des questions demeurées sans réponse.
Par exemple, un conseil a proposé une caution potentielle pour une personne qui était en détention depuis 12 mois. Conformément à la pratique en vigueur au bureau régional du Centre, l’agent d’audience de l’ASFC a questionné la caution potentielle à l’extérieur de la salle d’audience et a par la suite rendu compte des réponses dans la salle d’audience. Dans la décision rejetant le plan de mise en liberté, le commissaire s’est appuyé sur un certain nombre de questions sans réponse au sujet de la caution auxquelles il aurait été possible de répondre si elle avait été autorisée à témoigner.
Deux mois plus tard, dans la même affaire, un autre plan de mise en liberté a été présenté dont la caution potentielle était différente. Ce plan comprenait un cautionnement en espèces et un lieu où vivre. Encore une fois, le commissaire – un autre commissaire – n’a pas fait entrer la caution potentielle dans la salle d’audience pour répondre aux questions. L’ASFC a questionné la caution dans le couloir et a fait un compte rendu. La proposition a été rejetée en raison d’un manque de renseignements. La décision précisait ce qui suit : [traduction] « Je n’ai aucune information sur les actifs de la caution. Je ne sais pas si elle possède une maison [...] Nous ne connaissons pas le montant auquel s’élèvent ses économies, et je ne sais pas si elle a des actifs ou des passifs. »
Le mois suivant, un autre plan a toutefois été présenté, avec deux cautions différentes. Lors de ce contrôle des motifs de détention, la personne détenue n’était plus représentée par un conseil. Elle était maintenant en détention depuis 15 mois. Le nouveau plan comprenait un cautionnement en espèces, un endroit où vivre, une surveillance et, pour la première fois, selon la personne détenue, un cautionnement de bonne exécution important offert par son frère. Les membres de la famille qui ont présenté la proposition se trouvaient à l’endroit où se déroulait le contrôle des motifs de détention. La commissaire avait de nombreuses questions sur les détails fondamentaux du plan, mais elle n’a pas fait entrer les membres de la famille dans la salle d’audience pour répondre à ses questions. Elle a plutôt admis les renseignements fournis par l’agent d’audience de l’ASFC qui avait questionné les membres de la famille à l’extérieur de la salle d’audience.
En rejetant ce plan, la commissaire s’est demandé si un cautionnement de bonne exécution était vraiment offert et si le frère connaissait suffisamment l’histoire de la personne détenue. La décision s’appuyait sur ces questions non résolues pour rejeter le plan de mise en liberté. Lorsque la personne détenue s’est opposé au fait qu’elle n’avait pas été autorisée à entendre les réponses de son frère aux questions de l’agent d’audience, la commissaire lui a simplement dit que l’agent d’audience ne mentirait pas.
Fait important, les membres de la famille n’ont pas entendu directement pourquoi leur plan avait été rejeté, et, pour cette raison, il était moins probable qu’ils reviennent avec un meilleur plan. Bien entendu, ils n’ont eu aucune occasion de préciser leur plan et de l’améliorer en témoignant dans la salle d’audience ce jour‑là.
Cette personne a été détenue pendant 15 autres mois avant qu’une proposition très similaire de la même famille soit acceptée.
Dans notre échantillon, ce ne sont pas seulement les cautions qui n’ont pas été autorisées à témoigner au nom d’une personne en détention. Lors d’un contrôle des motifs de détention au bureau régional du Centre, l’avocat d’un détenu avait pris des mesures afin qu’un témoin soit disponible pour témoigner par téléphone. Le témoin était le directeur d’un établissement résidentiel et devait témoigner au sujet des programmes et des services qui seraient offerts si la personne était mise en liberté en vue d’un séjour dans l’établissement. L’avocat avait pris des mesures en ce qui concerne l’équipement téléphonique avant le contrôle des motifs de détention et avait demandé à plusieurs reprises que le directeur soit raccordé et autorisé à répondre aux questions lors du contrôle des motifs de détention. Le commissaire a rejeté cette demande et a ensuite rejeté la proposition en s’appuyant sur des hypothèses et des questions sans réponse au sujet du caractère adéquat de la supervision, de la pertinence des programmes et de la question à savoir si l’établissement serait en mesure de conduire le jeune homme aux prochaines audiences de la SAI et aux prochains contrôles des motifs de détention de la SI. Lors des 24 contrôles des motifs de détention qui ont suivi, le jeune homme n’était pas représenté, et aucun autre plan de mise en liberté n’a été présenté.
En ne permettant pas au conseil du détenu de présenter des éléments de preuve lors du contrôle des motifs de détention, le commissaire de la SI n’a pas respecté un principe fondamental d’équité procédurale et a effectivement scellé le sort de ce jeune homme. S’il avait été mis en liberté, il aurait au moins eu l’occasion, au cours des nombreux mois précédant l’achèvement de son audience devant la SAI, de prouver qu’il pouvait vivre avec succès dans l’établissement, de peut‑être terminer ses divers programmes de counselling et de rattraper son retard scolaire, toutes des possibilités qui ne lui sont pas offertes dans une prison provinciale. Il aurait pu présenter des éléments de preuve à la SAI quant à sa réadaptation. Il a plutôt été expulsé dans l’un des pays les plus dangereux du monde, un pays où il n’avait pas vécu depuis sa tendre enfance et où il n’avait aucune famille et où il ne parlait pas la langue ni ne l'écrivait.
Le défaut de permettre à une partie de présenter des éléments de preuve ainsi que d’entendre et de questionner les témoins est un manquement fondamental à la justice naturelle. La Cour fédérale a récemment souligné ce fait dans la décision Brown. La Cour a cité l’arrêt CharkaouiFootnote 54 et a déclaré ce qui suit :
L’État doit d’abord accorder un processus équitable à une personne avant de la détenir pendant une longue période. Ce principe de base comporte de multiples facettes. Il comprend le droit à une audience. Il exige que l’audience soit tenue devant un décideur indépendant et impartial. Il exige que la décision soit fondée sur les faits et sur le droit. Il nécessite que l’intéressé connaisse la preuve produite contre lui et qu’il ait le droit de présenter une réponseFootnote 55.
Il serait utile que la SI publie une directive de pratique pour préciser que les deux parties ont le droit de présenter des témoignages de vive voix lors des contrôles des motifs de détention et qu’elles sont invitées à présenter leurs meilleurs éléments de preuve. L’affaire ci‑dessus était peut‑être une exception, mais, si certains commissaires de la SI ont eu tendance à décourager les conseils de présenter des témoignages de vive voix, cela aurait pu avoir une incidence sur la pratique devant la SI.
À ma connaissance, il n’y a aucun contrôle judiciaire ni aucune décision relative à l’habeas corpus qui traite d’une situation dans laquelle une personne détenue n’a pu présenter d’éléments de preuve. Cependant, la Cour fédérale a formulé des commentaires défavorables en ce qui concerne une décision de la SI refusant une demande de l’ASFC visant à ce qu’une caution absente soit présente au contrôle des motifs de détention aux fins de contre-interrogatoire et a conclu que « [n]e pas permettre le contre‑interrogatoire revient à nier le droit [de l’ASFC] d’examiner la valeur de la preuve présentée » à l’appui de la mise en libertéFootnote 56. Il est raisonnable de conclure que, si, par exemple, la Cour fédérale dans la décision Brown avait reçu des affidavits quant à des cas où le témoin de la personne détenue n’avait pu témoigner, elle aurait relevé ce point comme un problème potentiel de « mauvaise administration » qui aurait pu nuire à l’équité du processus de contrôle des motifs de détention.
Je souligne qu’il peut s’agir d’une question récurrente dans les contrôles des motifs de détention qui ont lieu dans des établissements correctionnels si les témoins, dont les cautions, ne sont pas autorisés à entrer dans les établissements et s'ils sont questionnés à l’extérieur des salles d’audience et sans la présence de la personne détenue.
Défaut de questionner l’Agence des services frontaliers du Canada sur le retard
Dans le cas de détentions à long terme, il y a eu de nombreux exemples de retards causés par l’ASFC qui ont rarement fait l’objet de questions lors des contrôles des motifs de détention ou dont il a été question dans les décisions de la SI. Par exemple, dans une affaire, le détenu a convenu par écrit en 2012 (et avait déjà donné sa permission de vive voix auparavant) que l’ASFC publie sa photographie dans un communiqué de presse visant à trouver des parents. En raison de retards à l’ASFC et peut-être au ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, le communiqué de presse n’a été publié que deux ans plus tard. En fait, il n’a pas été publié dans les pays où il était possible qu’il détienne la citoyenneté avant 2016. Les commissaires n’ont pas fait preuve de ténacité pour ce qui est de poser des questions sur ce retard. Il a été conclu à maintes reprises dans les décisions que l’ASFC avait fait preuve de diligence ou même d’une [traduction] « très grande diligence ». Malgré ce retard incroyable, les décisions successives reposent sur les observations de l’ASFC selon lesquelles le retard dans l’obtention des titres de voyage est causé par [traduction] « [l'] absence totale de coopération » du détenu.
Lors d’un contrôle des motifs de détention dans ce dossier, après cinq ans de détention, la seule nouvelle information présentée par l’ASFC était que l’agent d’exécution avait de nouveau questionné le détenu deux mois auparavant. Lors du contrôle des motifs de détention suivant, aucune nouvelle information n’a été présentée par l’ASFC. En réponse à une question du commissaire au sujet des prochaines étapes, l’agent d’audience a déclaré qu’il ne le savait pas, mais qu’il serait en mesure de le demander à l’agent d’exécution lorsqu’il se rendrait au bureau. Il a mentionné au commissaire que l’enquête pourrait prendre des années de plus. Néanmoins, il était précisé dans la décision qu’il n’y avait aucune raison de rendre une décision différente en raison des décisions antérieures et que l’ASFC avait fait preuve de diligence.
Fait surprenant, lors du contrôle des motifs de détention suivant, aucune critique n’était formulée à l’égard de l’ASFC dans la décision même si la seule nouvelle information qui avait été fournie était que l’agent d’exécution avait réussi à expulser une autre personne qui avait été détenue pendant 10 ans, ce qui lui avait permis de consacrer plus de ressources à cette affaire. Il a été conclu dans la décision qu’il y avait un [traduction] « espoir » de renvoi parce que le même enquêteur avait réussi à expulser une autre personne. Le commissaire a statué que l’ASFC continuait de procéder au renvoi avec diligence.
Une décision rendue en 2016 dans la même affaire s’appuyait en partie sur une analyse linguistique pour conclure que l’ASFC avait fait preuve de diligence en procédant au renvoi. Le commissaire s’était informé du moment, mais ne savait peut‑être pas que l’analyse linguistique avait eu lieu en 2012.
Dans cette affaire, l’enquête, qui ne peut être qualifiée que d’enquête qui n’avance pas, a été invoquée à plusieurs reprises pour établir que l’ASFC prenait des mesures appropriées et opportunes pour obtenir les titres de voyage. À tous les contrôles des motifs de détention, les commissaires de la SI n’ont posé aucune question d’approfondissement à l’ASFC et n’ont même pas exigé que l’ASFC tienne compte du fait que les années passaient et qu’il n’y avait aucune résolution à l’horizon. Il n’est pas surprenant que, à plus d’une reprise, le détenu soit sorti mécontent d’un contrôle des motifs de détention en affirmant qu’il n’y assisterait plus tant que l’ASFC n’aurait rien de nouveau à signaler. Il n’était pas représenté.
Obstacles à la participation de la personne détenue au contrôle des motifs de détention
Les personnes détenues qui n’étaient pas représentées ont eu de la difficulté à participer efficacement aux contrôles des motifs de détention qui ont été examinés. Fondamentalement, elles devaient se fier à leur souvenir de ce qui s’était passé lors des contrôles des motifs de détention précédents; une fois ou deux seulement, une personne avait reçu une copie de la décision précédente rendue par un président de l’audience. Tout comme les agents d’audience et les commissaires ayant du mal à assurer le suivi des éléments de preuve et des conclusions au cours d’une longue détention, les personnes détenues étaient souvent confuses au sujet de ce qui s’était passé et pourquoi. Si un conseil était nouvellement inscrit au dossier, sa première demande portait habituellement sur l’obtention d’un dossier complet des décisions.
Un langage inaccessible constituait parfois un obstacle pour les parties non représentées. Par exemple, il ressort des transcriptions des contrôles des motifs de détention qu’une personne nouvellement détenue ne comprenait parfois pas qu’elle devrait peut‑être trouver une caution et élaborer une proposition pour être libérée. Parfois, elle demandait directement comment elle pourrait être mise en liberté lors de son deuxième ou troisième contrôle des motifs de détention. Le commissaire avait peut‑être déjà mentionné les [traduction] « solutions de rechange à la détention » dans ses observations lors du contrôle des motifs de détention, mais l’expression ne semblait pas avoir de sens pour les personnes nouvellement détenues qui n’étaient pas représentées.
Bien que, dans notre échantillon, les documents écrits aient généralement été communiqués avant le contrôle des motifs de détention, à une exception notable prèsFootnote 57, il arrivait parfois qu’ils soient communiqués quelques minutes seulement avant le début du contrôle des motifs de détention. Si les documents étaient complexes (comme les casiers judiciaires, par exemple), la personne non représentée ne serait pas nécessairement capable de déchiffrer le contenu et de formuler des observations.
En outre, il y a eu plusieurs cas où de nouveaux renseignements ont été donnés de vive voix lors du contrôle des motifs de détention et où la personne détenue non représentée a eu de la difficulté à intervenir. Dans les contrôles des motifs de détention qui ont été examinés, la personne détenue interrompait parfois les observations formulées par l’ASFC pour s’opposer aux renseignements présentés, mais il lui était demandé d’attendre son tour. Le commissaire invitait rarement la personne à revenir sur ce point lorsqu’elle avait l’occasion de prendre la parole. Sans l’aide d’un conseil, peu importe le point que la personne détenue voulait soulever, ce dernier était souvent perdu.
Dans le même ordre d’idées, les commissaires incluaient parfois des déclarations de fait dans leurs décisions qui ne faisaient pas partie de la preuve ou des observations formulées par l’ASFC au contrôle des motifs de détention ou une partie des conclusions des décisions antérieures. La personne détenue avait alors peu d’occasions, voire aucune, de contester la conclusion. Parfois, il n’était pas établi clairement d’où provenaient ces faits nouveaux.
Par exemple, un commissaire, en rendant sa décision, a déclaré qu’une personne détenue avait [traduction] « disparu » après avoir été mise en liberté quatre ans plus tôt. L’ASFC n’avait formulé aucune observation à cet égard, et la personne détenue, qui était non représentée, s’est opposée à mi-parcours de la décision, affirmant qu’elle s’était présentée systématiquement après sa mise en liberté comme elle était tenue de le faire. Le commissaire a déclaré qu’il se fondait uniquement sur la décision précédente et a continué à exposer sa décision. En fait, il avait été établi dans la décision précédente qu’elle était une personne qui se présentait, au besoin. La personne détenue n’avait pas de copie de la décision précédente.
La Cour supérieure de l’Ontario a commenté de manière critique le défaut apparent de la SI de faire preuve d’ouverture d’esprit à l’égard des témoignages et des observations de la personne détenueFootnote 58.
Dans notre échantillon, les commissaires ont rarement pris le temps d’expliquer les questions importantes en termes clairs au début du contrôle des motifs de détention ou d’utiliser d’autres outils d’aide au processus décisionnel actif pour équilibrer les règles du jeu pour les personnes détenues non représentées, notamment en questionnant la personne et l’ASFC, afin que tous les éléments de preuve pertinents soient présentés. Les commissaires n’ont pas souvent pris l’initiative de diriger la personne vers des éléments où son témoignage aurait pu être utile.
De plus, il semble que les déclarations faites par la personne détenue au cours du contrôle des motifs de détention n’étaient pas toujours considérées comme des éléments de preuve : elles n’étaient pas recueillies sous sermentFootnote 59; elles n’étaient pas vérifiées à l’aide de questions de la part du commissaire ou de l’ASFC et elles n’étaient pas évaluées à l’égard de crédibilité dans la décision. En particulier, le fait de ne pas donner à la personne détenue la possibilité de présenter des témoignages sous serment a dévalué sa participation. Dans l’ensemble, cela a eu pour résultat que les contrôles des motifs de détention pouvaient sembler pro forma, et la décision prise pour acquise. Dans certains cas, la façon dont les contrôles des motifs de détention ont été tenus et dont les décisions ont été rendues a découragé les personnes non représentées de participer après les premiers contrôles des motifs de détention.
Bien que nous ayons examiné de nombreux contrôles des motifs de détention où le commissaire a traité la personne détenue avec respect, mais celle‑ci a parfois été traitée comme si elle n’était pas une participante à part entière. Dans une affaire, un commissaire a dit à la personne détenue au début de l’audience qu’elle aurait l’occasion d’ajouter son [traduction] « grain de sel ». Les commissaires disaient souvent à la personne détenue qu’elle serait en mesure [traduction] « [d’] ajouter quelque chose » après que l’ASFC aurait terminé. Il était rare qu’un commissaire précise clairement qu’il s’agissait du contrôle des motifs de détention de la personne détenue et qu’il voulait l’entendre, notamment en réponse aux observations de l’ASFC. Au début de la plupart des contrôles des motifs de détention, le commissaire disait à la personne détenue que, en l’absence d’un conseil, elle pouvait choisir de ne rien dire. Comme la personne détenue n’était pas représentée dans la grande majorité des contrôles des motifs de détention qui ont été examinés, l’invitation à garder le silence pouvait sembler encourager la non‑participation en l’absence d’une déclaration claire de la part du commissaire selon laquelle les éléments de preuve et les observations de la personne étaient importants dans le cadre d’un contrôle des motifs de détention complet et équitable.
Il n’était pas inhabituel dans les affaires examinées que la personne détenue soit frustrée par le processus; qu’elle arrête de parler aux contrôles des motifs de détention ou qu’elle arrête d’y assister, parfois pendant plusieurs mois à la fois. Ces contrôles des motifs de détention prenaient souvent fin en cinq minutes ou moins. Le défaut de se présenter était parfois cité dans les décisions subséquentes comme une indication que la personne ne coopérait pas, qu’elle ne respectait pas le processus et qu’elle représentait donc un risque de fuite. Même les interruptions par la personne détenue pendant le contrôle des motifs de détention ont été considérées aux différents contrôles comme une indication d’un manque de respect du droit en matière d’immigration; il a également été signalé qu’elles appuyaient une conclusion à l’égard du risque de fuite.
Dans l’arrêt Brown, la Cour supérieure de l’Ontario a adopté un avis contraire en affirmant ce qui suit : [traduction] « Toute frustration exprimée lors des contrôles des motifs de détention était tout à fait compréhensible compte tenu de la nature prolongée du processus de renvoiFootnote 60. » La Cour d’appel de l’Ontario a également fait remarquer que le fait de ne pas assister aux contrôles des motifs de détention après des mois de détention ne devait pas être retenu contre une personne détenue non représentée comme un signe de non‑coopération qui favorise la poursuite de la détentionFootnote 61.
Nécessité d’établir un processus décisionnel actif en matière de solutions de rechange à la détention
De nombreux tribunauxFootnote 62 ont adopté des outils actifs d’aide au processus décisionnel actif pour assurer un processus efficace et équilibré de contrôle des motifs de détention. Le processus décisionnel actif est particulièrement utile lorsqu’il y a un déséquilibre de pouvoir entre les parties, notamment lorsqu’une partie n’est pas représentée, comme dans de nombreux contrôles des motifs de détention à la SI. Le fait de traiter des éléments d’une pratique décisionnelle active dépasse la portée du présent rapport, mais pour obtenir un aperçu complet comprenant des exemples utiles, voir l’article de Michelle Flaherty intitulée « Best Practices in Active AdjudicationFootnote 63 » [pratiques exemplaires en matière de processus décisionnel actif]. Aujourd’hui, même les tribunaux n’hésitent généralement pas à veiller à ce que les éléments de preuve nécessaires soient présentés en questionnant les témoins et en relevant les lacunes, particulièrement lorsqu’une partie n’est pas représentée.
Dans les affaires qui ont été examinées dans le cadre de la vérification, il était nécessaire d’adopter une approche reposant sur un processus décisionnel plus actif dans l’évaluation des solutions de rechange à la détention. Conformément à l’alinéa 248e) du RIPR, « l’existence de solutions de rechange à la détention » doit être prise en compte à chaque contrôle des motifs de détention avant qu’une décision ne soit prise quant à la détention ou à la mise en liberté. Cependant, les propositions étaient parfois rejetées sans procéder à un examen complet et équitable, en se fondant souvent sur des renseignements manquants qui auraient pu être fournis, si ce n’était pas immédiatement, alors à un contrôle des motifs de détention ultérieur.
En fait, le processus lui‑même, en particulier la rotation des commissaires, décourage un processus décisionnel actif quant aux options de mise en liberté de la part de chaque décideur qui a suivi. Dans les affaires que nous avons examinées, lorsqu’un commissaire a conclu que le plan proposé était inadéquat, il n’a pas pris le temps de préciser de quelle façon la lacune pourrait être comblée et de quelle façon le plan pourrait être présenté de nouveau. Étant donné que les commissaires ont fait l’objet d’une rotation, ils ne se sont pas engagés dans une affaire précise d’une manière qui aurait pu faciliter une résolution et améliorer le résultat pour la personne détenue. Même les motifs du rejet de la proposition n’étaient pas facilement accessibles au décideur subséquent à moins que la décision n’ait été transcrite.
En Ontario, le problème est aggravé par le fait que les avocats payés par l’aide juridique ne peuvent généralement comparaître qu’une ou deux fois pour présenter une proposition de mise en liberté. Si la proposition est rejetée, l’avocat ne recevra généralement aucune aide financière pour essayer de nouveau.
La nécessité d’adopter une approche plus proactive et ciblée a été démontrée par l’une des affaires dans notre échantillon. Dans cette affaire, après plus d’un an de détention, un plan de mise en liberté a été rejeté, partiellement en raison de l’interprétation douteuse d’une lettre écrite par l’organisme communautaire. Comme la lettre mentionnait des services de counselling et d’autres programmes pour aider la personne détenue à [traduction] « réintégrer » la société après sa mise en liberté, l’ASFC a soutenu, et il a été conclu dans la décision, que la référence à la [traduction] « réintégration » signifiait que l’organisme n’avait pas compris pleinement que la personne faisait l’objet d’une mesure d’expulsion. La commissaire se demandait également pourquoi la lettre ne mentionnait pas expressément que l’organisme signalerait les manquements à l’ASFC et se demandait si le directeur de l’organisme s’opposait d’un point de vue politique à la détention par les autorités de l’immigration en général du fait des déclarations publiques que lui avait attribuées l’agent d’audience.
Le conseil de la personne détenue a répondu en affirmant que l’organisme avait une expérience considérable de la supervision des personnes mises en liberté par les autorités de l’immigration en attendant leur renvoi; il a pu souligner deux affaires où l’organisme avait signalé un défaut de se conformer à l’ASFC. Le plan de mise en liberté comprenait le logement, le counselling en cas de traumatisme, un soutien de la part d’un travailleur social, un soutien familial, une formation professionnelle ainsi qu’un cautionnement en espèces et un cautionnement de bonne exécution.
La commissaire a rejeté la proposition. Elle n’a pas mentionné aux parties que, comme elle aurait pu le faire, elle aimerait entendre un témoignage de vive voix de la part de l’organisme en ce qui concerne les préoccupations qu’elle avait, bien qu’elle ait suggéré qu’il serait possible de rédiger une autre lettre pour un contrôle des motifs de détention ultérieur. Il s’agissait d’une occasion pour la commissaire de préciser ce qui était nécessaire, d’ajourner le contrôle des motifs de détention si le temps le permettait ou de demander à être réaffectée au prochain contrôle des motifs de détention. La commissaire aurait pu demander que le directeur de l’organisme assiste au prochain contrôle des motifs de détention et aurait pu suggérer que l’ASFC collabore avec l’avocat pour améliorer la proposition.
Rien de tout cela n’est arrivé, et l’homme n’a été mis en liberté que 3,5 ans plus tard. Cependant, lorsque l’homme a finalement été mis en liberté, la décision était fondée sur une proposition très semblable – le même organisme communautaire offrant des services de counselling et un soutien aux programmes – la principale différence étant que l’organisme principal de supervision était le TBP. Au moment où l’homme a été mis en liberté, il avait souffert d’une dépression nerveuse catastrophique en détention. Le défaut d’examiner de façon plus approfondie cette proposition a grandement nui à cette personne.
Dans notre échantillon, il y avait quelques cas où les commissaires des bureaux régionaux de l’Ouest ou de l’Est ont joué un rôle plus actif en essayant d’encourager la personne détenue et l’ASFC à élaborer un plan qui favoriserait la mise en liberté. Ce n’est pas sans rappeler le rôle de médiation ou de médiation-arbitrage que de nombreux tribunaux ont adopté pour aider les parties à parvenir à des règlements anticipés et efficaces. Ce qui est nécessaire, au moins, est qu’un commissaire soit saisi d’un dossier ou qu’il y soit réaffecté dans ces circonstances afin qu’il puisse faciliter la mise en liberté en précisant et en adaptant les attentes, ce qui exerce ainsi une pression sur les deux parties pour qu’elles trouvent des solutions acceptablesFootnote 64.
Les personnes détenues ont plutôt parfois été aux prises avec des attentes incohérentes lors des contrôles des motifs de détention qui ont suivi. Une affaire dans notre échantillon illustre cette situation. Un plan de mise en liberté établi en fonction de la famille a été rejeté en raison des observations formulées par l’ASFC selon lesquelles la famille ne serait pas en mesure d’assurer une surveillance suffisante et que le jeune homme avait besoin d’un placement en établissement à l’extérieur du milieu urbain où ses crimes avaient été commis. La décision laissait entendre que des services de counselling en matière de toxicomanie devaient faire partie de toute proposition future, précisant que l’homme était [traduction] « vraisemblablement dépendant à la [cocaïne]Footnote 65 ».
Le détenu était représenté par le Bureau du droit des réfugiés de l’Ontario. Deux mois plus tard, l’avocat est revenu avec une autre proposition bien préparée qui traitait de tous les problèmes relevés dans la décision antérieure. Ce plan, présenté à un commissaire différent, comprenait un placement en établissement institutionnel hautement supervisé dans une région rurale, qui offrait des services de counselling en matière de toxicomanie et de gestion de la colère ainsi que des programmes éducatifs et professionnels.
Cette fois‑ci, l’ASFC était préoccupée par la séparation du détenu d’avec sa famille et a soutenu que l’orientation institutionnelle sur le counselling en matière de toxicomanie ne correspondait pas à ce dont le détenu avait besoin. Le commissaire était d’accord et a conclu contrairement à la décision antérieure, que [traduction] « rien ne laissait entendre que [l’homme] avait un problème de toxicomanie et qu’il s’agissait de l’objectif principal de cet établissement précis ». En ce qui concerne le rejet de la seconde proposition, la décision mentionnait également que le milieu rural pourrait faciliter le départ de l’homme sans qu’il y soit autorisé.
Dans cette affaire, les attentes de la SI ont changé d’un contrôle des motifs de détention à l’autre, sans que le commissaire au deuxième contrôle des motifs de détention semble s’en rendre compte. Le problème aurait pu être évité si un seul commissaire avait été affecté et s’il avait joué un rôle actif en veillant à ce que tous les éléments de preuve pertinents soient présentés et pris en compte.
Le détenu n’a jamais eu l’occasion d’essayer de combler l’écart entre les deux types d’attentes. Il s’agissait de la dernière fois qu’il avait été représenté par un conseil et de la dernière fois qu’un plan de mise en liberté avait été présenté. Il a été détenu pendant 21 autres mois avant d’être expulsé, mais il a rarement dit quoi que ce soit lors des contrôles des motifs de détention qui ont suivi, exprimant seulement sa frustration à l’occasion. Il s’agissait, en effet, de sa dernière possibilité d’être mis en liberté.
Défaut de décider de nouveau
L’exigence d’apporter un nouveau regard à chaque contrôle des motifs de détention est soulignée depuis longtemps par les tribunaux : voir décision Sahin; arrêt Thanabalasingham;décision Panahi‑DargahllooFootnote 66. Ce qui peut être relativement nouveau est la reconnaissance par les tribunaux que certaines caractéristiques du processus peuvent nuire au respect de cette exigence.
Les commentaires de la Cour d’appel de l’Alberta méritent d’être répétés :
[traduction]
La loi prévoit que les contrôles des motifs de détention à la SI se déroulent fréquemment, en temps opportun. Il s’agit d’un processus administratif qui met l’accent sur les facteurs de détention énoncés dans les règlements. Cependant, la nature en série des contrôles des motifs de détention, le rôle de l’agent d’examen et la déférence accordée aux décisions relatives aux contrôles des motifs de détention antérieurs peuvent entraîner une accumulation de décisions de la SI, sans constituer un nouvel examen de la légalité de la détention. Les conditions légales de la détention et la nature du contrôle des motifs de détention tendent également à limiter sa portéeFootnote 67.
Dans des dizaines de contrôles des motifs de détention qui ont été examinés dans le cadre de la vérification, le commissaire de la SI semblait incapable d’apporter un nouveau regard aux circonstances factuelles, même au fil des ans. Dans certaines affaires, des occasions de jeter un nouveau regard au dossier factuel ont été manquées. Le casier judiciaire était peut‑être maintenant désuet, et le comportement de la personne en détention n’était peut‑être pas problématique. Par exemple, nous avons lu des décisions de 2016 dans lesquelles il avait été conclu qu’une personne constituait un danger pour le public, principalement en raison de déclarations de culpabilité comportant des peines mineures qui avaient été purgées plus de 10 ans auparavant. Nous avons également lu des décisions de 2017 qui s’appuyaient sur un avis de danger datant de 1995. Il ne s’agissait pas des seuls motifs qui ordonnaient le maintien de la détention dans ces décisions, mais ces événements très anciens faisaient partie de la justification, sans tenir suffisamment compte de l’incidence des années qui avaient suivi.
En ce qui concerne le risque de fuite, lors de certains contrôles des motifs de détention, de nouveaux faits ont été présentés qui ont permis de conclure que le risque de défaut de comparution était plus faible. Une nouvelle décision favorable relativement à la décision d’ERAR de premier niveau avait peut‑être été rendue, ce qui donnait à la personne détenue de l’encouragement et de l’espoir. Ou le risque de fuite pouvait être atténué par les liens familiaux étroits de longue date de la personne détenue et son témoignage sur sa situation familiale. Dans notre échantillon, il y avait des situations comme celle‑ci – une grand‑mère qui voulait être avec une fille malade, par exemple – où la détention durait depuis des années, et, pourtant, les décisions ne semblaient pas composer avec les années qui s’étaient écoulées, l’évolution des circonstances et l’ampleur de la responsabilité de la SI en continuant à refuser à la personne sa liberté.
Dans la détention la plus longue qui a été examinée, il semblerait qu’une sorte de vision étroite s’était imposée, du fait de l’ASFC qui se montrait insistante et de la conclusion de la SI selon laquelle le détenu démontrait depuis sept ans une [traduction] « absence totale de coopération » quant à l’obtention de pièces d’identité.
Le dossier présentait un récit différent. Les déclarations du détenu étaient parfois incohérentes et confuses, les faits fondamentaux restaient inchangés par rapport à son premier contrôle des motifs de détention. Il n’avait jamais eu d’acte de naissance ou de documents de citoyenneté et il avait déménagé dans son enfance de pays en pays muni de faux documents. Il avait perdu contact avec les membres de sa famille en raison de problèmes de toxicomanie ayant duré de nombreuses années. Afin d’aider à établir son identité aux fins de renvoi, il a accepté d’être reçu en entrevue à plusieurs reprises par des représentants des deux pays dans lesquels il avait vécu pendant son enfance; il a subi une analyse linguistique; il a accepté que la publication d’un communiqué de presse soit faite à l’échelle mondiale et que ses empreintes digitales et sa photographie soient envoyées dans tous les pays du monde par l’intermédiaire d’Interpol. Pourtant, à maintes reprises, l’argument de l’ASFC selon lequel le maintien en détention était justifié en raison de l’incapacité du détenu à [traduction] « mettre les cartes sur table » a été admis dans les décisions de la SI.
Les efforts déployés par l’ASFC pour prouver que le détenu mentait semblaient devenir de plus en plus bizarres. Par exemple, un enquêteur a été envoyé dans un pays africain pour trouver une école primaire religieuse; un autre enquêteur s’est rendu dans un autre pays africain pour trouver des personnes dans une université de la capitale qui se souviendraient peut‑être du père du détenu, décédé en 1992. L’enquêteur a questionné de nombreux représentants de l’université parce que le détenu se souvenait que, durant son enfance, son père vendait du savon sur le campus. Le détenu n’avait pas vécu dans les deux pays depuis plus de 40 ans. Lors d’un contrôle des motifs de détention, le commissaire a reconnu que ces efforts ne seraient probablement pas fructueux. Cependant, il n’a été conclu à aucun moment que la détention durerait indéfiniment.
Malgré les années qui avaient passé et les éléments de preuve quant à la coopération du détenu, l’ASFC a soutenu qu’il était l’unique raison pour laquelle il était maintenu en détention, et la SI a tiré la même conclusion à maintes reprises, principalement parce qu’il refusait de fournir les coordonnées de parents avec qui, selon lui, il avait perdu le contact en raison de ses problèmes de toxicomanie ayant duré des années. Les commissaires de la SI ont refusé de croire qu’il disait la vérité même s’il devenait de plus en plus désespéré et qu’il se montrait même prêt à obtenir un faux acte de naissance pour se sortir de sa détention et quitter le CanadaFootnote 68.
Sur les quelque 90 contrôles des motifs de détention pour cet homme, il n’y a eu qu’un seul contrôle au cours duquel le commissaire de la SI a manifestement fait une évaluation indépendante des faits de l’affaire et a refusé de conclure qu’il s’agissait d’une absence de coopération. Après environ neuf mois de détention, le commissaire de la SI qui procédait au contrôle des motifs de détention a rassuré le détenu qu’il ne serait pas détenu indéfiniment.
Voici un extrait de la décision exposée de vive voix :
[traduction]
Je poursuis votre détention avec quelques réserves. Je vais faire part de mes réserves de façon très claire dès le départ. Je ne vais pas aller à l’encontre des décisions de mes collègues pour ce qui est de la probabilité de comparaître et du danger à ce stade‑ci […] Cependant, le tout doit être examiné dans un certain nombre de contextes. L’un des contextes que nous devons examiner est la durée de la détention antérieure et la durée de la détention ultérieure. À ce stade‑ci, votre détention a commencé en février, et il s’agit d’une période relativement longue. Le problème que j’ai aujourd’hui, et je l’exprime clairement pour que toutes les parties soient au courant, est la possibilité d’un renvoi. Maintenant, vous avez été renvoyé au Ghana une fois; les autorités ne vous ont pas admis. Ce scénario semble ne mener nulle part [...] Le ministre envisage un renvoi au Nigéria. C’est légitime [...] Les fonctionnaires nigérians ont déclaré que, en raison des circonstances, ils ont besoin de quelque chose de votre mère. Je ne crois pas que cela soit une exigence déraisonnable […] Le ministre n’a pas été en mesure de le faire pour le moment […] L’ASFC communiquera avec les Nigérians et verra ce qu’ils pourraient faire à ce stade‑ci, sachant qu’il n’est pas possible de retrouver votre mère. À ce stade‑ci, je suis prêt à accorder au ministre un peu plus de temps pour voir ce que les Nigérians diront […] Cependant, et il s’agit d’une restriction importante, quelqu’un ne peut pas être détenu pour une période indéterminée. S’il semble que les Nigérians ne soient pas en mesure de vous délivrer un document, votre maintien en détention serait pour une période indéterminée; ce serait contraire à la Charte. Le gouvernement doit se conformer à la Charte. Dans ces circonstances, un commissaire pourrait très bien décider que, pour éviter une violation de la Charte, une mise en liberté vous soit offerte. C’est donc quelque chose que les commissaires devront examiner de près à l’avenir.
Je ne vais pas nécessairement instruire votre affaire bientôt ou à tout autre moment. Cependant, mes notes seront versées au dossier, et je m’attends à ce que les commissaires tiennent compte à l’avenir de la Charte [...] Si la détention commence à être trop longue ou qu’elle dure pour une période indéterminée, alors le danger et la probabilité de comparaître devraient être pris en compte avec une ordonnance de mise en liberté sous réserve de conditions appropriées. Les autorités en matière d’immigration devront prendre des mesures. Les choses vont bouger à cet égard. Vous ne pouvez pas être détenu pour une période indéterminée […] Si le ministre revient au contrôle des motifs de détention et prétend que nous n’avons rien fait, eh bien, si j’étais le commissaire au prochain contrôle des motifs de détention, alors je dirais que c’est aujourd’hui le jour de la mise en liberté. Vous êtes détenu aujourd’hui, mais ne vous inquiétez pas, les commissaires vont examiner la situation attentivement, et, si la mise en liberté est la voie à suivre, alors c’est ce qui sera fait. Nous ne pouvons cependant pas faire cela aujourd’hui.
Ce commissaire en particulier n’a jamais été affecté à ce dossier de nouveau; il a peut‑être quitté la SI. Lors des deux contrôles des motifs de détention subséquents, trois et cinq ans plus tard, deux commissaires différents de la SI ont contesté la théorie de l’ASFC selon laquelle le détenu refusait de coopérer, mais ont refusé d’adopter un point de vue différent sur les faits. Lors d’un contrôle des motifs de détention, le président de l’audience a posé à l’ASFC ce qu’il a appelé une [traduction] « question rhétorique » : [traduction] « Et s’il était vrai qu’il ne connaissait pas » les renseignements qu’il lui avait été demandé de fournir? Environ 18 mois plus tard, un autre commissaire a demandé à l’ASFC : [traduction] « Et s’il avait tout dit? » Il a été détenu pendant 14 autres mois après ce contrôle des motifs de détention, jusqu’à ce que la Cour supérieure de l’Ontario déclare qu’il avait fourni les mêmes renseignements pertinents depuis le début et qu’il avait collaboré dans une mesure raisonnable.
La Cour a conclu que le témoignage que lui avait présenté le détenu était crédible. Après avoir écouté les enregistrements de presque la totalité des contrôles des motifs de détention de la SI, j’ai tiré la même conclusion en ce qui concerne son témoignage devant la SI en raison de sa concordance globale avec le récit de la personne et des faits de l’affaire.
Il se trouve que, dans cette affaire, la SI n’a apporté aucune perspective nouvelle et indépendante à la preuve pendant sept ans. Les commissaires ont plutôt admis un récit que l’ASFC leur avait présenté. Cette dernière a dénigré avec véhémence la crédibilité de la personne détenue, et cela a semblé empêcher les commissaires de relever plusieurs indices qui établissaient la vérité.
Trois fois seulement, un commissaire a proposé une autre interprétation possible des faits, mais à la suite d’une réponse véhémente de l’ASFC, deux d’entre eux ont renoncé à faire une nouvelle évaluation de l’affaire. Il s’agit précisément du problème relevé par la Cour supérieure de l’Ontario dans l’arrêt Scotland :
[traduction]
Cette dépendance indue à l’égard de l’ASFC et le fait qu’elle mine fréquemment l’autorité décisionnelle indépendante des commissaires de la SI est ce qui fait qu’il est presque impossible pour M. Scotland d’être pris au sérieux […] Cette délégation de pouvoir à l’organisme d’exécution qui est partie à l’affaire contre M. Scotland offre une représentation graphique d’une mauvaise autoévaluationFootnote 69.
Trop grande importance accordée aux décisions antérieures
Le fait que les commissaires ont le pouvoir d’annuler des décisions antérieures est cité, par la Cour supérieure de l’Ontario, dans l’arrêt Brown comme un facteur important pour assurer le respect de la CharteFootnote 70. La Cour a déclaré ce qui suit : [traduction] « […] lorsque les commissaires ne sont pas convaincus que les motifs de détention sont toujours les mêmes ou que les circonstances justifient autrement la mise en liberté, ils peuvent aller à l’encontre des décisions antérieures relatives au contrôle des motifs de détention à condition qu’ils justifient leurs raisons de le faireFootnote 71. »
Cependant, dans notre échantillon, la tendance à se fier systématiquement aux décisions antérieures était évidente dans de nombreuses affaires, particulièrement après les trois ou quatre premiers contrôles des motifs de détention.
Comme la Cour d’appel de l’Ontario l’a souligné dans l’arrêt Chaudhary,[traduction] « les décisions antérieures deviennent à tout le moins très persuasives » et [traduction] « […] à mesure que la durée de la détention augmente, il devient de plus en plus difficile d’affirmer que les trente autres jours qui ont été passés en détention depuis le dernier contrôle des motifs de détention constituent un “motif clair et convaincant” d’aller à l’encontre de la décision précédenteFootnote 72. »
La Cour supérieure de l’Ontario a également commenté la difficulté de [traduction] « remplacer » des décisions antérieures :
[traduction]
En effet, une fois qu’une décision ordonnant la détention est rendue au premier contrôle des motifs de détention, l’ASFC s’est, pour ainsi dire, acquittée du fardeau qui lui incombait et, à chaque contrôle des motifs de détention subséquent, il est difficile, voire impossible, de modifier la décision initiale. Chaque décision de la SI, même si elle s’avère plus tard fondée sur des renseignements erronés, est utilisée et reproduite la fois suivanteFootnote 73.
En raison des caractéristiques de l’échantillon des décisions qui ont été examinées – uniquement des contrôles des motifs de détention où la personne avait été détenue pendant plus de quatre mois – il n’était pas surprenant que, dans presque toutes les décisions, le commissaire refuse expressément de parvenir à une conclusion différente de celle des décisions antérieures. Presque toutes les décisions comprenaient la déclaration suivante : [traduction] « Il n’y a aucune raison aujourd’hui pour que j’aille à l’encontre des décisions antérieures » ou « De toute évidence, rien de ce qui a été présenté au contrôle des motifs de détention ne me donne une raison de rendre une décision différente de celle de mes collèguesFootnote 74 ». La décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Thanabalasingham a souvent été citée comme une décision qui restreint leur pouvoir de changer de cap sans « motifs clairs et convaincantsFootnote 75 ».
Le fait de ne pas aller à l’encontre des décisions antérieures était souvent logique, bien entendu. Lors de certains contrôles des motifs de détention, par exemple, il y avait des questions importantes quant au danger pour le public et il n’y avait aucune proposition de mise en liberté. Parfois, l’ASFC attendait simplement un titre de voyage qui devait arriver sous peu.
Cependant, lors de nombreux autres contrôles des motifs de détention, le temps qui s’était écoulé a fait en sorte qu’il était problématique de s’appuyer sur des décisions antérieures, en particulier dans les affaires où le récit admis contenait des inexactitudes. Les décisions se fondaient sur un récit de faits datant de plusieurs mois ou précisaient qu’il n’était pas nécessaire de répéter les faits cités dans des décisions antérieures. Parfois, les commissaires se fondaient explicitement sur leurs propres décisions antérieures, même si elles avaient été rendues des années auparavant, dans la même affaire.
La décision dans l’arrêt Thanabalasingham fait‑elle en sorte que la SI doit suivre les décisions antérieures de façon aussi rigide que le laissent entendre de nombreuses décisions de la SI? Dans plusieurs décisions subséquentes, les tribunaux ont précisé que ce n’est pas le casFootnote 76. En fait, dans l’arrêt Thanabalasingham,la Cour d’appel fédérale a confirmé une décision de la SI dans laquelle le commissaire refusait de suivre les décisions antérieures parce qu’il avait de nouveau évalué la crédibilité globale des éléments de preuve qui avaient soutenu les ordonnances de détentionFootnote 77. La Cour a précisé « [qu’] il est nécessaire que le décideur subséquent explique clairement les raisons pour lesquelles l’évaluation de la preuve faite par le décideur antérieur ne justifie pas le maintien de la détention », mais a également donné des exemples de moments où cela pouvait être approprié, comme lorsque de nouveaux éléments de preuve étaient admis ou lorsque le décideur procédait à une « nouvelle évaluation des éléments de preuve antérieurs fondée sur de nouvelles prétentionsFootnote 78 ».
L’arrêt Thanabalasingham donne même à penser que les motifs seront parfois acceptables même s’ils ne sont pas entièrement explicites tant que la décision traite des motifs antérieurs d’une manière significative. L’arrêt mentionne ce qui suit :
Cependant, même si le commissaire n’énonce pas explicitement les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion différente de celle tirée par le commissaire antérieur, il peut le faire de façon implicite dans ses motifs de la décision subséquente. Ce qui serait inacceptable serait une décision rendue hâtivement sans qu’il soit fait mention d’une manière significative des motifs antérieurs de la détentionFootnote 79.
Fait important, d’après la décision rendue par la Cour dans l’arrêt Thanabalasingham, il ne semble pas que la décision de la SI soit fondée sur de nouveaux éléments de preuve ou même de nouveaux arguments au nom de la personne détenue. Il semble plutôt que le commissaire a pris lui‑même l’initiative de réévaluer les éléments de preuve antérieurs qui n’étaient pas convaincants selon lui et qu’il est ensuite arrivé à une conclusion différente quant à où mènent les éléments de preuve. Cela est important parce que, aux nombreux contrôles des motifs de détention où le détenu n’est pas représenté, il est peu probable qu’un commissaire entende un nouvel argument convaincant qui réévalue la preuve de façon « clair[e] et convaincant[e] ».
De cette façon, l’arrêt Thanabalasingham soutient non seulement le principe selon lequel les commissaires peuvent arriver à une conclusion différente en se fondant sur une nouvelle évaluation minutieuse des éléments de preuve antérieurs, mais soutient aussi une approche reposant sur un processus décisionnel actif. Si l’objectif de chaque contrôle des motifs de détention est un résultat équitable qui s’appuie sur le bien‑fondé et la justice de l’affaire, comme il se doit, il incombe aux commissaires d’évaluer et de réévaluer activement le dossier de preuve dont ils disposent, particulièrement en raison du temps qui s’est écoulé.
Questions d’équité pour les personnes détenues ayant des problèmes de santé mentale
La vérification s’est penchée sur trois dossiers comportant de très longues périodes de détention au cours desquelles la personne détenue avait d’importants problèmes de santé mentale. Ces personnes devaient surmonter des obstacles supplémentaires à leur mise en liberté.
Dans ces dossiers, comme dans les affaires relatives à la toxicomanie, la question récurrente pour les personnes détenues était l’absence de traitement et de services de counselling dans les établissements correctionnels provinciaux. Il est très difficile de démontrer que la réadaptation est un facteur justifiant la mise en liberté s’il y a peu de programmes de réadaptation à votre disposition, voire aucun. Il s’agit d’une question qui a été soulignée par les tribunauxFootnote 80.
Dans une seule de ces affaires, au bureau régional de l’Est, la personne était représentée par un conseil chevronné à l’ensemble de ses contrôles des motifs de détention. Son avocat a essayé pendant de nombreux mois de prendre des mesures pour procéder à une nouvelle évaluation psychiatrique qui pourrait aider à déterminer quel type de plan de mise en liberté serait approprié. Les commissaires de la SI qui ont instruit l’affaire ne se sont pas montrés indifférents à ce dilemme. Au moins une décision a révélé une certaine frustration à l’égard de la situation difficile de l’avocat et a souligné que le manque d’éléments de preuve psychiatriques à jour constituait un obstacle à la mise en liberté. Après 3,5 ans de détention, la personne a été mise en liberté dans le cadre d’un plan global comprenant des services de counselling et une thérapie spécialisée.
Par contre, dans un autre dossier du bureau régional du Centre, la Cour fédérale a ordonné à l’ASFC de prendre des mesures en vue de l’évaluation psychiatrique d’une personne détenue. De plus, la Cour fédérale a sursis à l’exécution de la mesure de renvoi au moins deux fois parce qu’elle avait conclu que les problèmes de santé mentale de la personne détenue devaient être traités correctement avant qu’elle fasse l’objet d’un renvoi. Cette personne était représentée par un conseil pendant seulement 2 des 44 contrôles des motifs de détention de la SI qui ont été examinés.
De nombreuses questions ont été examinées dans ce dossier en particulier. L’homme a été détenu pendant 41 mois au bureau régional du Centre et pendant 14 mois au bureau régional de l’Est. Lors de son tout premier contrôle des motifs de détention en 2012, le commissaire a souligné que le détenu s’était présenté régulièrement aux bureaux de l’ASFC avant de manquer une entrevue préalable au renvoi. Il a expliqué lors d’un de ses contrôles des motifs de détention pourquoi il avait manqué par inadvertance l’entrevue, mais aucune conclusion n’a été tirée sur ce qui s’était passé. Malgré des antécédents troublants dans son pays d’origine, au moment où il a été appréhendé par l’ASFC, il participait à des séances de counselling, recevait des traitements au centre pour victimes de torture, faisait du bénévolat dans un organisme communautaire et prenait soin de son enfantFootnote 81.
Lors de ce premier contrôle des motifs de détention, l’homme était détenu en raison de son risque de fuite au motif qu’il avait peur de retourner dans son pays ainsi que du danger qu’il constituait pour le public. Lors d’un contrôle des motifs de détention deux mois plus tard, ses forts liens familiaux (ex‑épouse et enfant) au Canada ont été inclus comme facteur de risque de fuite. Lors d’un contrôle des motifs de détention après cinq mois de détention, une décision soulignait sa [traduction] « bonne conduite » depuis 2012 et que ses [traduction] « déclarations de culpabilité graves étaient plutôt désuètes ». Le dossier montrait que sa dernière [traduction] « déclaration de culpabilité grave » était pour une tentative de vol en 2007. Lors de ce contrôle des motifs de détention, il a été mentionné dans la décision qu’une période de cinq mois était une longue détention, et il était suggéré qu’il élabore un plan de mise en liberté, ce qui était également suggéré dans la décision suivanteFootnote 82.
Ces décisions rendues au début de 2012 sont importantes parce que l’homme a été détenu pendant quatre autres années et que les décisions ultérieures adoptent une vision révisionniste quant au risque de fuite et au fait de constituer un danger pour le public. Les décisions rendues en 2016 s’appuient sur le danger pour le public comme principale raison de la détention. Le changement d’évaluation n’est pas dû à des interventions de la part du détenu. Au fil du temps, les commissaires commencent à tenir compte des condamnations antérieures avec plus de sérieux, et cette situation se répète à mesure que de nouvelles décisions reposent sur des décisions antérieures.
Cette personne a subi un effondrement mental complet après 16 mois de détention lorsque sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été refusée. Il a cessé de parler et est devenu insensible à toute interaction pendant ses trois années de détention qui ont suivi. Il a cessé d'assister aux audiences, mais il a été qualifié « d’immobile » aux contrôles des motifs de détention. Il a finalement fait l’objet d’un diagnostic de catatonie. Au cours de cette période, sa situation en ce qui concerne sa santé mentale est de plus en plus citée dans les décisions pour démontrer qu’il constituerait un risque de fuite et un danger pour le public s’il était mis en liberté.
Pendant près de deux ans après son effondrement mental en détention, les observations de l’ASFC et les décisions de la SI reconnaissent à peine ses problèmes de santé mentale. Bien que lors d’un contrôle des motifs de détention l’ASFC ait mentionné qu’il [traduction] « marmonnait de façon incohérente », lors d’un autre contrôle des motifs de détention, l’agent d’audience décrit sa conduite comme une [traduction] « manifestation passive ». Dans de nombreuses décisions au cours de cette période, les commissaires qualifient son comportement de non coopératif et concluent qu’il [traduction] « nuit de façon très extrême au processus de renvoi », qu’il [traduction] « ne veut pas participer », qu’il [traduction] « a choisi de ne pas participer au contrôle des motifs de détention et qu’il [traduction] « refuse de coopérer ». Dans d’autres décisions rendues au cours de cette période, les commissaires reconnaissent qu’il y a présence de [traduction] « problèmes cognitifs » ou de [traduction] « fortes indications qu’il n’est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure ».
Après plusieurs mois, un représentant désigné a été nommé. Il a assisté aux 23 contrôles des motifs de détention qui ont suivi; lors d’un de ces contrôles, il a signalé qu’il n’avait été en mesure à aucun moment de communiquer avec le détenu. Lors des contrôles de motifs de détention, rien n’indiquait que le représentant désigné avait déjà communiqué avec les membres de la famille du détenu ou avec l’avocat qui le représentait à la Cour fédérale. À chaque contrôle des motifs de détention, le représentant désigné a seulement déclaré qu’il n’avait aucune solution de rechange à la détention à offrir. Les contrôles des motifs de détention durent moins de cinq minutes. Le représentant désigné ne soutient à aucun moment que le détenu ne constitue plus un danger pour le public ou un risque de fuite parce qu’il est immobile, passif et non verbal.
La présence du représentant désigné semblait donner l’assurance aux commissaires de la SI que tout était en ordre, mais, pendant ce temps, le détenu n’avait jamais parlé au représentant désigné et était détenu dans un état catatonique, sans ses médicaments et sans traitement approprié. La seule fois où il a été amené dans la salle vidéo pour un contrôle des motifs de détention, il ne semblait pas conscient de son environnement et avait simplement posé la tête sur la table.
Lors d’un contrôle des motifs de détention, 40 mois après sa mise en détention et 24 mois après être devenu catatonique, il est conclu dans une décision que la détention a été [traduction] « relativement longue », et la possibilité d’un centre de traitement comme solution de rechange à la détention est soulevée. À la mi‑2015, il est finalement transféré dans un établissement correctionnel dans le bureau régional de l’Est qui offre des services de traitement psychiatrique. Son conseil a ensuite déclaré que le transfert découlait d’une directive de la Cour fédérale.
Une fois le dossier transféré dans le bureau régional de l’Est, un nouveau représentant désigné a été nommé, qui a pris des mesures actives pour rallier son soutien familial, juridique et communautaire. Le détenu a commencé à recevoir un traitement psychiatrique. Lors d’un contrôle des motifs de détention, un commissaire a demandé s’il était possible d’effectuer un transfert à l’hôpital psychiatrique non correctionnel du même hôpital. Un autre commissaire du bureau régional de l’Est a signalé que le bureau régional du Centre était au courant de son effondrement mental qui avait duré huit mois avant qu’un représentant désigné ne soit nommé.
À ce stade, un travailleur social est intervenu et a aidé à trouver le réseau de soutien qui l’aidait avant sa détention et qui faisait partie de sa proposition de mise en liberté 2,5 ans plus tôt. Son avocat et le nouveau représentant désigné ont commencé à élaborer un nouveau plan de mise en liberté. Il a finalement été placé sous la tutelle du curateur public.
Après le transfert, la Cour fédérale a sursis à la mesure de renvoi, et l’ASFC a ensuite offert un permis de résident permanent. À un certain moment au cours de cette période, le Ministère a imposé un sursis administratif aux renvois dans son pays en raison de la violence qui y régnait. Il n’est sans doute plus possible d’affirmer qu’il est détenu aux fins d’immigration parce qu’il n’était plus prévu de le renvoyer, mais le tout n’est pas abordé dans les décisions.
La santé mentale de l’homme devient le principal motif de détention, tant pour le risque de fuite que pour le fait de constituer un danger pour le public, et c’est ce qui est troublant au sujet de ses contrôles des motifs de détention au bureau régional de l’Est. Il est conclu dans les décisions à plusieurs reprises que, parce qu’il est non verbal et pratiquement immobile, il n’est pas possible de lui faire confiance pour se présenter devant l’ASFC. Cela n’est absolument pas pertinent : personne ne suggère qu’il soit libéré dans la rue; son travailleur social, le représentant désigné et son conseil cherchent un placement communautaire qui offre des services psychiatriquesFootnote 83. Lorsqu’ils élaborent un plan efficace, le TBP est chargé de faire rapport à l’ASFC.
Il est également supposé dans ces décisions que le public canadien doit être protégé contre l’homme en raison de sa maladie mentale. Les déclarations de culpabilité antérieures à 2010 étaient considérées comme [traduction] « désuètes » en 2012, mais sont devenues de nouveaux motifs de détention en 2016. Plusieurs décisions de 2016 qualifient ses déclarations de culpabilité antérieures de violentes, bien qu’elles n’aient pas été décrites ainsi au début de sa détention. Une décision de 2016 souligne que sa dernière déclaration de culpabilité [traduction] « comportant de la violence » était une tentative de vol en 2007, mais qu’il constitue toujours un danger pour le public. Ses [traduction] « crimes violents » antérieurs sont pris plus au sérieux parce que, selon les termes d’une décision, [traduction] « il a un problème médical qui peut nuire à cet égard ».
Pendant toute cette période, le représentant désigné du détenu et, par la suite, l’avocat de ce dernier font valoir que, en raison de la maladie mentale et de l’état catatonique permanent, le détenu ne peut être considéré comme dangereux, et ce, qu’il ait ou non déjà été considéré dangereux à juste titre. À chaque audience, ces arguments sont complètement rejetés. Lorsque le détenu est finalement mis en liberté, ce n’est pas au motif qu’il ne constitue plus un danger pour le public et ne pose plus un risque de fuite, mais plutôt au motif que les éléments de son plan de mise en liberté atténuent les risques. L’argument selon lequel l’homme n’est plus détenu aux fins d’immigration depuis que son renvoi n’est plus envisagé n’est effectivement pris en considération dans aucune des décisions.
Dans ces décisions, il y a absence totale de toute véritable considération de la nature de la maladie du détenu et de sa réelle tendance ou capacité à agir de façon à causer un danger. La SI avait accès à une preuve d’expert, y compris à une évaluation psychiatrique ordonnée par la Cour fédérale qui confirmait l’état catatonique du détenu et aux témoignages de membres du personnel de l’établissement psychiatrique correctionnel; toutefois, au lieu de demander à pouvoir consulter cette preuve et de s’appuyer sur elle, la SI a rendu des décisions qui, dans de nombreux cas, semblaient reposer sur des stéréotypes à propos des personnes atteintes de maladie mentale, et ce, malgré le témoignage rendu par le travailleur social et les observations du représentant désigné au sujet des graves limitations du détenu.
Avant de passer à un autre sujet, il serait utile de traiter des responsabilités du représentant désigné. Dans l’affaire en question, le représentant désigné au bureau régional du Centre n’a été d’aucune utilité pour la personne. Le représentant désigné au bureau régional de l’Est, au contraire, a joué un rôle important en communiquant avec la famille et avec le conseil ainsi qu’en favorisant l’élaboration d’un plan de mise en libertéFootnote 84. La vérification a porté sur des contrôles des motifs de détention dans d’autres affaires instruites aux bureaux régionaux de l’Est et de l’Ouest dans le cadre desquelles des représentants désignés ont contribué à assurer l’équité procédurale. Dans certains cas, les représentants désignés ont trouvé des ressources ayant facilité la mise en liberté de la personne détenue. Toutefois, dans une affaire instruite au bureau régional de l’Ouest, il a fallu quatre mois avant que quelqu’un ne soit nommé le représentant désigné d’une personne détenue qui avait révélé qu’elle avait reçu un diagnostic de schizophrénie et de trouble bipolaire et qui souffrait très manifestement de délire.
Les rôles assignés aux représentants désignés aux audiences étaient aussi très variables. Dans au moins un contrôle des motifs de détention, la personne détenue n’a pas été autorisée à formuler des observations au motif que son représentant désigné parlait en son nom. Dans d’autres contrôles des motifs de détention, la personne détenue et son représentant désigné se sont adressés au commissaire.
Il semble nécessaire d’élaborer des lignes directrices plus strictes sur le rôle et les responsabilités des représentants désignés de même que de mettre en place un processus de sollicitation de commentaires des avocats spécialistes de l'immigration, des détenus, des membres des familles de ces derniers, de l’ASFC et des commissaires de la SI sur le travail des représentants désignés. Il s’agit d’un domaine au sujet duquel il serait utile de publier une directive de pratique publique pour clarifier les responsabilités du représentant désigné, tant à l’interne qu’à l’externe.
Interprétation rigide des facteurs législatifs et réglementaires
Le paragraphe 58(1) de la LIPR prévoit que la SI « prononce la mise en liberté » d’une personne détenue sauf sur preuve, compte tenu des critères du RIPR, de tel des facteurs énumérés.
Comme il appert de ce qui précède, dans le cadre des contrôles des motifs de décision visés par la vérification, les principales questions considérées par la SI pour rendre une décision au titre du paragraphe 58(1) étaient les suivantes :
- La personne constitue‑t‑elle un danger pour la sécurité publique?
- La personne se soustraira‑t‑elle vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d’une mesure de renvoi?
Dans de nombreuses décisions, les commissaires semblent avoir adopté une approche convenue en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire en vertu de la LIPR et du RIPR, ce qui a entravé leur capacité à considérer la preuve de façon plus nuancée et en contexte. Les facteurs défavorables à la mise en liberté étaient évalués sans que soient bien pris en considération les faits particuliers de la situation de la personne détenue. Lors de certains contrôles des motifs de décision, le commissaire semblait avoir été peu désireux d’acquérir une compréhension plus que superficielle des circonstances factuelles ayant mené à la détentionFootnote 85.
Dans notre échantillon, des personnes ont été détenues pendant des années au motif qu’elles présentaient un risque de fuite, malgré le fait qu’elles s’étaient régulièrement présentées à l’ASFC et que rien n’indiquait qu’elles avaient déjà tenté d’entrer dans la clandestinité lorsqu’elles avaient été mises en liberté dans le passé. Des personnes ont été détenues pendant des années au motif qu’elles constituaient un danger pour la sécurité publique, même si les déclarations de culpabilité prononcées contre elles dataient d’un certain temps et concernaient toutes des infractions mineures pour lesquelles des peines de courte durée avaient été infligées et malgré le fait que peu de facteurs, voire aucun, ne laissaient croire qu’elles pouvaient constituer un dangerFootnote 86.
Dans les arrêts Scotland, Brown et Ali,la Cour supérieure de l’Ontario a précisé que, pour que soit respectée la Charte, les décisions en matière de détention doivent reposer sur un examen minutieux et en contexte des circonstances factuelles, y compris du témoignage rendu par la personne détenueFootnote 87.
Fait notable, dans nombre des décisions examinées, peu d’éléments laissaient croire que les commissaires gardaient à l’esprit, dans leur évaluation du risque de fuite ou du danger pour la sécurité publique, le libellé de la loi les obligeant à prononcer la mise en liberté, sauf sur preuve de l’existence des facteurs énumérés.
Certains des domaines dans lesquels le processus décisionnel semble avoir été rigide et ne pas avoir tenu compte des circonstances de chaque affaire sont traités ci‑dessous. Les remarques sont regroupées sous les rubriques « Risque de fuite » et « Danger pour la sécurité publique ».
Risque de fuite
L’article 245 du RIPR énonce les critères devant obligatoirement être considérés pour évaluer le risque qu’une personne « se soustraie vraisemblablement » au contrôle, à l’enquête ou au renvoi. Les critères énumérés qui étaient en litige dans les contrôles des motifs de détention examinés dans le cadre de la vérification incluaient les suivants : le fait de s’être conformé librement à une mesure d’interdiction de séjour ou à l’obligation de comparaître lors d’une instance en immigration ou d’une instance criminelle, le fait de s’être conformé aux conditions imposées à l’égard de sa mise en liberté et l’appartenance réelle à une collectivité au Canada.
Pour que le commissaire prononce la mise en liberté, il n’est pas nécessaire qu’il ait conclu qu’il est extrêmement peu vraisemblable que la personne détenue se soustraie au renvoi. Le critère de la prépondérance des probabilités offre aux décideurs une plus grande marge de manœuvre : il prévoit que la personne détenue est mise en liberté même s’il existe une probabilité considérable qu’elle se soustraira à son expulsion, pourvu qu’il soit plus probable que le contraire qu’elle comparaîtra. Dans les décisions examinées, les commissaires ont rarement démontré qu’ils avaient soupesé, pour rendre leur décision, les éléments de preuve favorables et défavorables à la mise en liberté.
Appartenance réelle à une collectivité
Dans l’évaluation du « risque de fuite » au titre du paragraphe 58(1) de la LIPR et de l’article 245 du RIPR, l’existence de liens familiaux étroits au Canada était presque invariablement considérée comme un important facteur défavorable à la mise en liberté, sans qu’il y ait eu un examen minutieux des circonstances particulières à la personne détenue et de la nature des liens familiaux.
Selon l’alinéa 245g), « l’appartenance réelle à une collectivité au Canada » est un critère qui doit être considéré dans l’évaluation du risque de fuite. Cependant, comme l’a souligné la Cour fédérale, le libellé « ne dit pas si l’existence de tels liens doit être considérée comme un facteur positif ou négatif lors de l’appréciation du risque qu’une personne se soustraie à une procédureFootnote 88 ». La jurisprudence de la Cour fédérale à ce sujet semble très mince. Toutefois, dans une décision antérieure, la Cour fédérale a considéré l’existence d’une relation matrimoniale comme un critère potentiellement favorable étant invalidé par des éléments de preuve établissant la présence de violence conjugaleFootnote 89.
Dans notre échantillon, des éléments de preuve établissant l’existence de liens étroits avec des membres de la famille proche et étendue étaient régulièrement cités comme motif de maintien en détention. Cela avait un effet dévastateur sur les personnes détenues, qui ne comprenaient pas pourquoi le fait qu’elles aient demandé à être autorisées à demeurer chez un enfant d’âge adulte, par exemple, était ensuite cité comme facteur favorable à leur maintien en détention. Les personnes détenues qui n’étaient pas représentées déclaraient au commissaire qu’elles souhaitaient être mises en liberté parce que des membres de leur famille proche avaient besoin d’elles, croyant que cela jouerait en faveur de leur mise en liberté, probablement au motif que cela démontrait l’existence d’une stabilité dans la collectivité et aucune volonté de disparaître.
Outre la question de l’entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires, une seconde question d’équité procédurale se dégageait de ces décisions. Les commissaires n’offraient généralement pas à la personne détenue l’occasion de s’exprimer à ce sujet. Le commissaire n’expliquait pas que la possibilité que les liens familiaux étroits incitent la personne à ne pas comparaître pour les besoins de son renvoi, et peut‑être à entrer dans la clandestinité, constituait un sujet de préoccupation, alors que ce raisonnement était décrit dans les décisions exposées de vive voix. La personne détenue n’était pas invitée à répondre à cette préoccupation ou à témoigner à propos des raisons pour lesquelles ses liens familiaux étroits ne feraient pas en sorte qu’elle omettrait probablement de comparaître. Si la personne détenue avait eu l’occasion de fournir une explication, elle aurait peut‑être pu rendre un témoignage pertinent et convaincant à ce sujet.
Il s’agit d’un autre domaine dans lequel l’adoption d’une approche reposant sur un processus décisionnel actif favoriserait une participation plus significative de la personne détenue au contrôle des motifs de décision et accroîtrait la capacité de la SI à rendre des décisions reposant sur le bien‑fondé de chaque affaire. Compte tenu de l’absence de jurisprudence de la Cour fédérale, il s’agit également d’un sujet à propos duquel la SI pourrait envisager d’élaborer une directive interprétative qui aiderait les deux parties à bien traiter « l’appartenance réelle à une collectivité au Canada » comme un critère pouvant être favorable ou défavorable à la mise en liberté, selon les circonstances.
Critère du défaut de se présenter ou de comparaître
Le traitement de ce critère était une source particulière de préoccupation dans les cas où des personnes avaient été mises en détention de longue durée en raison de comportements attribuables à la toxicomanie. Les personnes en cause dans ces cas présentaient parfois des antécédents mixtes de respect de l’obligation de se présenter à l’ASFC ou de comparaître lors d’une instance en immigration ou d’une instance criminelle. La personne détenue pouvait démontrer qu’elle s’était régulièrement présentée pendant de longues périodes, tandis que sa toxicomanie était contrôlée, mais elle avait également omis de se présenter à des rencontres, entre autres à des instances en immigration, parce qu’elle était détenue en raison d’accusations portées contre elle pour des infractions criminelles mineures. Dans plus d’un cas examiné, après que la personne a passé des mois et des années en détention sans avoir consommé de drogues, quelques omissions de se présenter à une rencontre ou de comparaître dans le passé étaient citées comme élément de preuve établissant l’existence d’un risque élevé de fuite, et ce, bien que du counselling en matière de toxicomanie soit prévu dans la proposition de mise en liberté.
Le même constat se dégage des cas où une période d’instabilité mentale semblait être en cause. La SI semblait adopter une approche rigide en accordant trop de poids à une ou deux occurrences de manquement à l’obligation de se présenter, tout en omettant de prendre en compte les éléments de preuve établissant que la personne s’était régulièrement présentée pendant d’autres périodes, quand son état de santé était stable. Le risque de fuite était cité comme motif de maintien en détention de personnes qui avaient passé des mois et des années en détention, sans accès à des soins de santé mentale ou à du counselling en matière de toxicomanie, en raison de manquements à l’obligation de se présenter qui dataient de plusieurs années, malgré le fait que leurs plans de mise en liberté prévoyaient du counselling et d’autres programmes d’aide en matière de santé mentale auxquels les personnes n’avaient pas accès en détention.
Dans l’évaluation du risque de fuite selon la prépondérance des probabilités, il est aussi nécessaire de considérer plus rigoureusement la preuve en ce qui concerne la capacité ou la volonté de la personne à réellement entrer dans la clandestinité. Dans certains des cas examinés, il aurait été difficile pour la personne de disparaître en raison de graves problèmes de santé mentale ou physique, surtout dans les cas où la personne ne disposait pas de moyens financiers, avait l’habitude de vivre dans une zone géographique limitée et entretenait des liens avec des membres de sa famille.
Demande d’asile et examen des risques avant renvoi
Dans le cadre de la plupart des contrôles des motifs de détention examinés, la SI accordait beaucoup d’importance aux demandes d’asile passées ou à la présentation d’une demande d’ERAR comme critère favorable au maintien en détention. Les motifs cités étaient généralement formulés à peu près ainsi : [traduction] « votre présentation d’une demande d’asile / demande d’ERAR établit clairement que vous craignez de retourner dans votre pays de citoyenneté, ce qui appuie manifestement la conclusion que le risque de fuite est élevé ».
Dans ces décisions, il est présumé que la personne qui craint de devoir retourner dans son pays n’est pas fiable et qu’elle est plus susceptible de rentrer dans la clandestinité. Dans certaines décisions, les commissaires mentionnent parfois des défauts sur lesquels repose cette conclusion ([traduction] « vous n’êtes pas une personne digne de confiance » ou [traduction] « vous seriez prêt à faire n’importe quoi pour ne pas être renvoyé »), au lieu de tirer des conclusions de fait particulières en s’appuyant sur le comportement passé de la personne.
Dans une décision, le commissaire citait la demande d’ERAR et la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentées par la personne détenue (de même que le sursis au renvoi accordé par la Cour fédérale dans l’attente d’une décision) pour appuyer sa conclusion selon laquelle [traduction] « la probabilité que vous comparaissiez aux fins de votre renvoi est faible à nulle ». Il n’était fait nulle mention de la déclaration formulée par la personne dans le cadre du contrôle des motifs de détention selon laquelle le dossier démontrait qu’elle s’était toujours présentée, comme elle le devait, au cours des deux années précédant son arrestation pour un seul manquement à l’obligation de se présenter. Peut‑être la décision du commissaire de rejeter cet élément de preuve était‑elle fondée, mais la décision ne fournit aucun détail à ce sujet.
Il s’ensuit que des personnes ont été punies pour avoir présenté une demande d’asile ou une demande d’ERAR, sans que soient évaluées avec soin les circonstances qui leur étaient propres. Cela semble aller à l’encontre de la politique et du bon sens. Ce ne sont pas toutes les personnes qui craignent de retourner dans leur pays de citoyenneté qui entreront dans la clandestinité. Notre échantillon comptait des personnes détenues qui semblaient aptes et motivées à entrer dans la clandestinité, mais d’autres ne semblaient pas souhaiter le faire ou disposer des ressources nécessaires pour y arriver.
Nombre de personnes détenues ne comprenaient pas pourquoi leurs demandes d’ERAR ou leur statut passé de réfugié avaient joué en leur défaveur et elles jugeaient que cela était contrintuitif. Si, dans un cas particulier, il est fondé qu’une demande d’asile ou qu’une demande d’ERAR serve de critère défavorable à la mise en liberté, la personne en cause devrait, à tout le moins, avoir l’occasion de s’exprimer à ce sujet dans son témoignage. Par exemple, une personne détenue, dont la première décision d’ERAR avait été favorable, a supplié d’être mise en liberté pour pouvoir être avec sa famille, en soulignant qu’elle avait plus de raisons que jamais de respecter les conditions imposées. Pourtant, sa crainte de retourner dans son pays (et l’étroitesse de ses liens familiaux) ont été invoquées comme critères favorables à son maintien en détention au motif qu’elle présentait un risque de fuite. Si cette personne avait bien compris les critères qui jouaient en sa défaveur et si elle avait eu l’occasion de s’exprimer à ce sujet au contrôle des motifs de détention, elle aurait peut‑être pu rendre un témoignage convaincant à propos des raisons pour lesquelles elle ne s’enfuirait pas, malgré sa crainte de retourner dans son pays.
Les tribunaux ont exprimé l’avis qu’il convient d’accorder un certain poids à l’existence d’une demande d’asile ou une demande d’ERAR en instance comme critère favorable à la mise en libertéFootnote 90.
Déclarations de culpabilité passées
Dans le cadre de plusieurs contrôles des motifs de détention examinés, l’existence de déclarations de culpabilité passées pour des infractions criminelles mineures servait de principal fondement à une conclusion de risque de fuite, et ce, même si la personne détenue s’était très régulièrement présentée à l’ASFC lorsqu’elle était en liberté. Le commissaire pouvait reconnaître, dans sa décision, que les déclarations de culpabilité dataient d’un certain temps, mais tout de même s’appuyer sur ces déclarations de culpabilité pour tirer une conclusion de risque de fuite. Dans un cas en particulier, toutes les déclarations de culpabilité pour des infractions graves dataient d’au moins dix ans.
Lors de ces contrôles des motifs de détention, l’ASFC soutenait, avec succès, que la personne n’avait pas respecté les lois pénales canadiennes et qu’il serait donc impossible de compter sur elle pour qu’elle respecte la législation canadienne en matière d’immigration si elle était mise en liberté. Trop souvent, cette observation était admise sans que la SI ait examiné minutieusement et considéré dans sa décision tous les antécédents de la personne, y compris ses antécédents de respect de l’obligation de se présenter à l’ASFC.
Danger pour le public
L’article 246 du RIPR énonce les critères devant obligatoirement être considérés pour déterminer si une personne constitue ou non un « danger pour le public ». Dans les contrôles des motifs de détention examinés, les déclarations de culpabilité invoquées qui étaient énumérées étaient, entre autres : un avis de danger formulé par le ministre, une déclaration de culpabilité quant à une infraction commise avec des armes, et l’importation et le trafic d’une substance désignée. Parmi les autres types de déclarations de culpabilité invoquées dans les contrôles des motifs de détention visés par la vérification, mais non énumérées à l’article 246, mentionnons la tentative de vol qualifié, le vol de biens de moins d’une certaine valeur et la conduite dangereuse. Dans deux affaires, il était question de violence conjugale.
Dans 50 p. 100 des contrôles des motifs de détention visés par la vérification, le danger pour le public était l’un des motifs invoqués, ce qui était beaucoup plus élevé que la moyenne nationale, puisque les décisions dans le cadre desquelles le danger pour le public était invoqué comme motif de détention représentaient environ 12 p. 100 de tous les contrôles des motifs de détention effectués en 2016 et en 2017. Cela s’explique probablement en partie par le fait que notre échantillon était exclusivement constitué de cas où la détention avait duré plus de quatre mois; en fait, 40 p. 100 des cas que nous avons examinés concernaient des détentions ayant été maintenues pendant plus d’un an. Les personnes détenues pendant plus d’un an ne représentaient que 2 p. 100 du nombre total de personnes détenues en 2017, mais il n’y avait aucune répartition fournie des motifs de détention dans le cas des détentions de plus d’un an.
Les tribunaux ont exprimé l’avis qu’il est approprié d’imposer un seuil plus élevé pour la mise en liberté dans les affaires où la personne en cause avait des antécédents de violence. La Cour fédérale a statué que, dans les cas où il était conclu que la personne détenue constitue probablement un danger pour le public, la SI devait chercher à imposer des conditions de mise en liberté réduisant ou même éliminant le risqueFootnote 91. Il n’est pas surprenant que le danger pour le public ait été invoqué comme motif dans un nombre beaucoup plus élevé d’affaires dans notre échantillon.
Fait surprenant : dans le cadre de nombreux contrôles des motifs de détention, l’appréciation de la gravité du comportement criminel selon le système de justice pénale différait grandement de celle dans les décisions de la SIFootnote 92. La volonté de s’appuyer sur des déclarations de culpabilité datant de nombreuses années était aussi surprenante. Ainsi, dans une décision datant de 2013, le commissaire se fonde en partie sur une déclaration de culpabilité pour trafic prononcée en 2004 pour invoquer le danger pour le public comme critère favorable au maintien d’une détention qui durait déjà depuis 17 mois, malgré l’absence, depuis plusieurs années, de déclarations de culpabilité pour une infraction de gravité comparable. Des antécédents d’infractions liées à la consommation de drogues antérieures à 2002 ont, de façon répétée, servi de fondement partiel à une conclusion de danger pour le public lors de contrôles des motifs de détention s’étant tenus en 2016. Des décisions rendues en 2016 et en 2017 reposaient sur un avis de danger formulé en 2009.
Dans certains cas, les peines infligées au criminel étaient très légères – que quelques jours dans certains cas ou bien moins qu’une année – mais la détention aux fins de l’immigration a été maintenue au motif du danger pour le public pendant deux, trois, quatre années ou même plus après que la personne a terminé de purger sa peine au criminel.
Les divergences d’une telle ampleur soulèvent des questions de proportionnalité, comme le fait remarquer la Cour supérieure de l’Ontario dans l’arrêt Scotland, dont voici un extrait :
[traduction]
La question qui se pose consiste donc à savoir si la détention est trop longue compte tenu de l’objectif qu’elle est censée accomplir et de son motif initial. C’est la proportionnalité qui est la principale mesure de la sévérité de toute incarcérationFootnote 93.
Dans l’arrêt Ali, la Cour supérieure de l’Ontario a statué que le maintien en détention contrevenait aux articles 7 et 9 de la Charte et a fait remarquer ce qui suit :
[traduction]
[…] Du mieux que je puisse voir, selon le dossier criminel de M. Ali, ce dernier a passé presque deux fois plus de temps en détention [aux fins d’immigration], dans l’attente de son renvoi, qu’il ne l’a fait comme peine pour l’ensemble de ses déclarations de culpabilité pour des infractions criminelles. Cela est inacceptableFootnote 94.
Bien que je reconnaisse que l’idée de remettre M. Ali en liberté soulève des préoccupations, compte tenu du danger qu’il constituerait pour le public, ce danger doit être considéré dans le contexte approprié. Aucune des déclarations de culpabilité prononcées contre M. Ali ne concernait une infraction assez grave pour que la peine infligée soit de plus de quelques mois d’emprisonnement. De fait, comme je l’ai souligné ci‑dessus, la plupart de ces déclarations de culpabilité concernent des infractions mineures correspondant au comportement d’un toxicomaneFootnote 95.
La question du moment où une détention devient trop longue faisait rarement l’objet d’une analyse dans les décisions examinées. Dans une décision datant de 2015 et traitant du risque de fuite (et non pas le danger pour le public), il est écrit ce qui suit :
[traduction]
Il est bien établi dans la jurisprudence que, quand le risque de fuite est élevé, il est approprié que la détention soit maintenue pendant de très longues périodes. La Section a instruit des affaires dans le cadre desquelles des personnes ont été détenues pendant plus de huit ou neuf ans, et la Cour fédérale a confirmé ses décisions lorsque des préoccupations concernant la Charte ont été soulevées dans ces circonstances.
Par contre, dans la l’arrêt Ali, le juge a répondu ainsi à une observation du gouvernement selon laquelle une détention de sept ans n’était pas exceptionnelle :
[traduction]
Je ne suis pas d’accord. Simplement dit, une détention de plus de sept ans doit être considérée comme étant exceptionnelle selon toute définition appropriée de ce mot. Je souligne que l’antonyme d’exceptionnelle est habituelle ou typique. Si le Canada détient habituellement des personnes pendant sept ans ou plus aux fins d’immigration, alors le processus d’immigration du pays comporte des problèmes beaucoup plus sérieux que ce qui est actuellement entendu. Il est vrai qu’il ne s’agit pas toujours de procéder à un simple calcul du nombre de jours, mais il vient un temps où le nombre de jours, à lui seul, ne justifie aucune autre conclusionFootnote 96.
Dans la décision susmentionnée qu’elle a rendue en 2015, la SI ne cite pas les décisions de la Cour fédérale sur lesquelles elle s’est appuyée. Ce qui est clair cependant est que, appelée à statuer sur des demandes d’habeas corpus, la Cour supérieure, en Ontario à tout le moins, ordonnera probablement la mise en liberté dans les cas où la détention est longue et où les déclarations de culpabilité concernent le type d’infractions mineures qui caractérisait la plupart des contrôles des motifs de détention visés par la vérification. La façon dont sera définie une détention longue dépendra évidemment des faits de chaque affaire. À la lumière de l’arrêt Scotland, qui concernait une détention maintenue pendant 17 mois, et de la comparaison qui est faite dans ces deux décisions de la Cour supérieure avec les peines infligées au criminel, il est toutefois raisonnable de présumer que, dans certains cas, la mise en liberté pourrait être ordonnée après des mois, et non des années, de détention.
Recommandations
A. Introduction : pourquoi est‑ce important?
Les recommandations qui suivent reposent en grande partie sur les quatre affaires ayant fait l’objet de la vérification dans le cadre desquelles des personnes ont été détenues pendant des années tandis que se succédaient les contrôles des motifs de détention caractérisés par des lacunes en matière d’équité procédurale établies dans la jurisprudence ayant servi de cadre à la vérification. Collectivement, ces personnes ont été détenues pendant 18 ans pour des motifs liés à l’immigration.
Si, à chacune des audiences de ces quatre personnes, un contrôle rigoureux avait été entrepris dans un esprit d’ouverture et d’indépendance, sans qu’il ne soit fait preuve d’une déférence indue à l’égard des décisions antérieures ou des observations de l’ASFC et sans que ne soit commises des incohérences ou des erreurs factuelles, à quel point la détention de ces personnes aurait‑elle été plus courte? Que serait‑il arrivé si les témoins de ces personnes avaient été autorisés à témoigner, si les déclarations sous serment de ces personnes avaient été admises et si le poids approprié leur avait été accordé, si les conclusions n’avaient pas été fondées sur des d’hypothèses et si le critère de la prépondérance des probabilités avait été bien appliqué? Et que serait‑il arrivé si les décideurs s’étaient plus activement attelés à la tâche de rendre, à chaque contrôle des motifs de détention, une décision étayée par la meilleure preuve disponible, en gardant à l’esprit la responsabilité qui leur incombait de s’assurer que le maintien en détention pendant 30 jours de plus était bien justifié? Il semble tout à fait probable que l’application d’un processus de contrôle équitable et rigoureux se serait traduite par la mise en liberté de ces personnes des années plus tôt.
B. Aperçu : rétablissement de la conformité avec le mandat conféré par la loi
Il ressort des résultats de la vérification qu’il est nécessaire de procéder à une réforme en profondeur de la façon dont la SI traite, instruit et tranche les contrôles des motifs de détention. Pour remédier aux problèmes repérés, il ne sera pas suffisant, par exemple, de simplement offrir plus de formation ou de revoir les déclarations d’ouverture formulées aux audiences, même si les recommandations ci‑après donnent des suggestions à propos de ces deux sujets. La SI doit rétablir la conformité de ses activités à tous les niveaux hiérarchiques avec le mandat qui lui est conféré par la loi.
Essentiellement, le mandat conféré à la SI par la loi, tel que ce mandat est interprété dans les décisions ayant formé le cadre de la présente vérification, est celui de procéder, tous les 30 jours et pour chaque personne détenue pour des motifs liés à l’immigration, à un contrôle rigoureux visant à déterminer s’il est justifié ou non de maintenir la détention pendant 30 jours de plus. En prescrivant que la détention doive être justifiée tous les 30 jours, le législateur a envoyé un message clair à propos de la gravité du déni de liberté : chaque décision de prolonger la détention revêt une importance cruciale.
L’autre orientation claire fournie à la SI dans la législation se trouve dans le libellé du paragraphe 58(1), où il est énoncé que la SI « prononce la mise en liberté », sauf si elle est convaincue de la présence des critères prévus par la loi, après avoir tenu compte des critères réglementaires. La mise en liberté est la mesure qui doit être prise par défaut. Autrement dit, le principal mandat de la SI est de s’assurer que les personnes détenues soient mises en liberté, à moins que l’ASFC puisse démontrer que la preuve établit l’existence d’un des critères justifiant la détention selon la prépondérance des probabilités.
Garantir la sécurité publique et la présence des personnes qui doivent être expulsées, voilà le mandat de l’ASFC dans le processus de contrôle des motifs de détention. Il n’est pas approprié que la SI maintienne la détention au seul motif qu’elle est convaincue qu’il existe un risque que la personne ne se présentera pas à une entrevue ou qu’elle commettra une infraction mineure. Il existera toujours un certain risque si, comme dans de nombreuses affaires visées par la vérification, la personne a omis de se présenter à une ou deux occasions dans le passé ou a des antécédents de problèmes de santé mentale ou de toxicomanie. Les commissaires sont toutefois tenus d’ordonner la mise en liberté des personnes détenues à moins qu’ils puissent conclure que la preuve établit que ce risque est supérieur à 50 p. 100.
Dans nombre de décisions examinées dans le cadre de la vérification, il semble avoir été présumé que tout risque était un risque suffisant. La détention était justifiée tant qu’il existait un risque que la personne ne comparaisse pas. Elle était aussi justifiée tant qu’il existait un risque que la personne commette un autre vol. La personne détenue avait très rarement l’occasion de réfuter cette conclusion en présentant des éléments de preuve établissant sa réadaptation pendant son incarcération. Il semblait parfois que la SI appliquait ses propres normes quant à la désignation de « délinquant dangereux », sans être assujettie aux mesures de protection de ce processus en place dans le système de justice pénale.
Comment la SI devrait‑elle procéder pour rétablir la conformité de ses activités avec le mandat qui lui est conféré par la loi? Les recommandations qui suivent contiennent quelques suggestions de mesures qui peuvent être mises en œuvre immédiatement.
Une première mesure consiste à adopter une culture de gestion beaucoup plus proactive et conforme au mandat conféré par la loi. Cela pourra représenter une transition plus marquée dans certains bureaux régionaux que dans d’autres. Les gestionnaires doivent communiquer aux commissaires que la SI reconnaît qu’il est contraire à son mandat de détenir des personnes inutilement et qu’elle tient à l’application d’un processus décisionnel actif conforme à ce constat.
Pour favoriser ce changement de culture, il faudra accroître la transparence du processus décisionnel. Actuellement, un superviseur pourrait consulter, au bureau régional du Centre, un dossier dans lequel la détention a été maintenue pendant des mois et n’y trouver qu’une ou deux décisions, de même que des pages de notes et des formulaires manuscrits à peine lisibles. Il est présumé que le vice‑président adjoint de chaque bureau régional écoute parfois les enregistrements des audiences, mais à notre connaissance, aucun processus n’a été mis en place pour assurer un contrôle rigoureux, sur une base régulière ou ponctuelle, de la qualité des motifs de décision. Lorsque la personne détenue n’est pas représentée, les décisions relatives aux contrôles des motifs de détention prennent un aspect presque secret. Les décisions exposées de vive voix disparaissent essentiellement. L’écoute de dizaines de décisions a révélé que cette « invisibilité » peut avoir une incidence négative sur la qualité des motifs.
Dans la salle d’audience, des changements de base peuvent être apportés en fonction d’un modèle reposant sur un processus décisionnel actif pour faire en sorte que :
- soit accordé un poids approprié au témoignage rendu sous serment par la personne détenue;
- l’ASFC soit questionnée rigoureusement lorsque des retards sont observés dans ses processus;
- les agents d’audience soient tenus de rendre témoignage sous serment, au besoin;
- les agents d’exécution de la loi soient tenus de témoigner en cas de retards dans l’enquête ou d’incertitude à propos des prochaines étapes;
- les commissaires démystifient le processus et les critères réglementaires de façon à ce que les personnes non représentées puissent rendre un témoignage pertinent et formuler des observations utiles;
- les deux parties soient invitées à traiter du critère de la prépondérance des probabilités en s’appuyant sur la preuve;
- les commissaires demeurent saisis d’une affaire ou soient réassignés, au besoin, de façon à favoriser l’entente des parties sur les propositions de mise en liberté ou à garantir l’observation des instructions par l’ASFC;
- les commissaires considèrent activement, à chaque contrôle des motifs de détention, les solutions de rechange à la détention.
Ce qui semble manquer à la SI, en partie, est une culture commune de tribunal mettant l’accent sur l’excellence à l’échelle de la Commission pour garantir l’équité et l’accessibilité des contrôles des motifs de détention, de même que la qualité et la cohérence des décisions. Il semble que chaque décision ait été considérée comme étant « isolée » et que chaque commissaire se soit vu comme un arbitre indépendant n’étant pas assujetti à la responsabilité commune d’assurer l’équité des procédures et des résultats à long terme dans sa façon de traiter chaque affaire.
Outre l’« invisibilité » de la plupart des décisions, l’absence de représentation à de nombreux contrôles des motifs de détention et la familiarité trop grande avec les agents d’audience de l’ASFC peuvent miner le maintien d’un processus décisionnel rigoureux et indépendant. Pour y remédier, il faudra développer une culture interne plus solide, qui devra mettre l’accent sur le mandat principal de la SI qui est de s’assurer, dans chaque affaire et à chaque contrôle des motifs de détention, que le maintien en détention est nécessaire.
La consultation des collectivités d’intervenants de la SI a aussi un rôle à jouer. La SI se livre actuellement à une révision de ses Directives sur la détention. Les intervenants ont été consultés à propos de l’ébauche précédente, dont ils avaient reçu une copie, et il est prévu qu’ils seront de nouveau consultés à propos de la nouvelle version. Il s’agit là d’une bonne occasion d’établir de nouvelles attentes, aussi bien à l’interne qu’à l’externe, et de remettre l’accent sur la nécessité que chaque contrôle des motifs de détention soit un examen rigoureux.
Des mesures jugées utiles pour d’autres tribunaux pourraient être adaptées à la SI, dont la tenue régulière, dans chaque bureau régional, de réunions au cours desquelles les commissaires pourraient discuter de pratiques exemplaires et de cas complexes. Il pourrait aussi être utile d’élaborer des directives de pratique et des directives interprétatives publiques qui fourniraient une orientation aux parties et aideraient les commissaires à traiter entièrement les questions appropriées. Par exemple, la SI pourrait préparer une directive interprétative qui clarifierait le fait que « l’appartenance réelle à une collectivité au Canada » [alinéa 245g) du RIPR] constitue un critère qui peut être favorable ou défavorable à la mise en liberté.
La version préliminaire des directives de pratique et des directives interprétatives devrait être affichée pendant un certain temps sur le site Web de la CISR à des fins de consultation publique. La SI compte un comité d’intervenants composé d’avocats spécialistes de l’immigration et s’est donné un processus de consultation distinct en ce qui concerne l’ASFC. Les ébauches des directives devraient être présentées à ces deux groupes avant de faire l’objet d’une consultation publique plus large.
C. Supervision accrue des cas
Il est recommandé que la SI élabore un protocole visant à repérer, sur une base prospective, les cas actuels et nouveaux qui devraient faire l’objet d’une plus grande supervision continue de la part des gestionnaires.
Il faudrait déterminer les critères qui donneraient lieu à une supervision accrue d’un cas donné. Il s’agirait, au minimum, des cas où serait observée une combinaison des critères suivants :
- La détention est maintenue pendant une période surpassant un seuil donné.
- La personne détenue n’est pas représentée.
- Des éléments de preuve établissent que la personne détenue est particulièrement vulnérable du fait de son état de santé physique ou de santé mentale, d’une invalidité ou de son âge.
- Le refus de la personne détenue d’assister aux contrôles des motifs de détention.
- La personne détenue assiste aux contrôles des motifs de détention, mais ne peut ou ne veut pas y participer.
- La personne détenue a présenté un ou plusieurs plans de mise en liberté qui ont été rejetés.
- La principale cause du maintien en détention est la non‑coopération.
- La personne détenue a de jeunes enfantsFootnote 97.
- La présence d’autres critères qui sont énoncés dans les consultations internes ou externes.
D. Outils favorisant un examen rigoureux
Il est recommandé que la SI mette en place des mécanismes favorisant la réalisation d’un examen rigoureux à chaque contrôle des motifs de détention. Par exemple :
Triage des cas
Tous les cas devraient faire l’objet d’un triage après la tenue du contrôle des 7 jours, puis de manière suivie, pour permettre aux gestionnaires de repérer et de surveiller les cas en fonction de leurs caractéristiques propres. Par exemple, les cas devraient être triés en fonction du critère du danger pour le public de façon à établir une distinction entre les personnes ayant des antécédents d’infractions relativement mineures contre des biens et les personnes ayant des antécédents de crimes violents comportant des sévices à la personne (selon notre échantillon, ces personnes représenteraient probablement moins de 2 p. 100 de l’ensemble des cas).
Accès aux décisions et aux transcriptions
Les commissaires devraient recevoir les dossiers d’audience avant la date du contrôle des motifs de détentionFootnote 98.
La transcription de chaque décision devrait être versée dans le dossier de la SI et être remise à la personne détenue et à l’ASFC.
En plus de la transcription de chaque décision, chaque dossier devrait comprendre les documents suivants :
- la transcription du contrôle des 48 heures ou du contrôle des 7 jours (l’ASFC présente habituellement en détail l’historique des faits à l’une ou l’autre de ces audiences);
- la transcription complète de chaque contrôle des motifs de détention au cours duquel une proposition de mise en liberté a été présentée;
- les documents de l’ASFC concernant les infractions criminelles, si ces documents ont servi de fondement à la décision;
- le registre de présence des conseils;
- le Formulaire d’évaluation en vue de la mise en liberté (voir ci‑dessous).
Formulaire d’évaluation en vue de la mise en liberté
Si la personne détenue n’est pas mise en liberté après le premier contrôle des 30 jours, le commissaire de la SI ayant tenu le contrôle des motifs de détention devrait remplir et mettre au dossier une copie dactylographiée du Formulaire d’évaluation en vue de la mise en liberté préliminaire, où seraient inscrits les renseignements suivants :
- les motifs de détention;
- un très bref résumé des principaux éléments de preuve sur lesquels reposait la décision;
- une évaluation préliminaire des éléments qui doivent nécessairement être prévus dans un plan de mise en liberté ou des obstacles particuliers à la mise en liberté. Par exemple, le commissaire croit‑il que la personne détenue a besoin de counselling relativement à la toxicomanie, qu’il serait nécessaire qu’elle se présente chaque semaine, qu’elle soit encadrée de façon structurée ou placée en établissement?
Le Formulaire d’évaluation en vue de la mise en liberté aurait comme objectif, entre autres, de souligner la responsabilité collective des commissaires de la SI à l’égard du contrôle continu des motifs de détention de la personne. Il mettrait également l’accent sur la nécessité de bien considérer, à chaque contrôle des motifs de détention, les solutions de rechange à la détention. Le formulaire permettrait également d’éviter l’imposition, d’un contrôle des motifs de détention à l’autre, d’attentes incohérentes concernant la mise en libertéFootnote 99. Voir ci‑dessous pour comprendre comment la décision elle‑même pourrait permettre l’atteinte de ces objectifs plutôt que le formulaire recommandéFootnote 100.
Après chaque contrôle des motifs de détention au cours duquel la personne détenue n’aura pas été mise en liberté, le président de l’audience pourrait mettre à jour ou modifier l’évaluation. Par exemple, si une proposition de mise en liberté présentée auparavant avait été rejetée, le commissaire pourrait demander à la personne détenue et à l’ASFC s’il existe un moyen de remédier aux lacunes de la proposition, puis consigner les détails de cette discussion sur le formulaire à l’intention du président de l’audience suivant. La considération des options de mise en liberté devrait faire partie du processus de contrôle des motifs de détention à chaque audience.
Le Formulaire d’évaluation en vue de la mise en liberté ne serait évidemment pas un document publicFootnote 101, mais il serait tout à fait acceptable et même attendu que le président de l’audience avise les deux parties que, à son avis, un plan de mise en liberté devrait prévoir du counselling en toxicomanie ou un couvre‑feu, par exemple, pour pouvoir être approuvé. Le formulaire pourrait aider à encadrer la considération, dès le début et souvent, des options adéquates de mise en liberté, aussi bien à l’interne lors de discussions avec d’autres présidents d’audience que dans les salles d’audience.
Discussions de groupe
Il faudrait régulièrement planifier des réunions entre commissaires de la SI pour donner à ces derniers l’occasion de discuter de pratiques exemplaires et de solliciter des avis à propos d’affaires complexes. Le Formulaire d’évaluation en vue de la mise en liberté pourrait guider la discussion de cas donnés dans le cadre d’une approche décisionnelle plus consultative, en conformité avec les principes énoncés dans l’arrêt Consolidated BathurstFootnote 102.Il va sans dire que toute consultation se ferait sur une base volontaire et qu’il est présumé que les commissaires sont tout à fait capables de discuter d’un cas avec leurs pairs sans se décharger de leurs propres responsabilités décisionnelles ou déléguer de quelque façon que ce soit leur pouvoir décisionnel.
E. Examen immédiat des dossiers de détention de longue durée
Il est recommandé que la SI entreprenne immédiatement un examen de toutes les affaires dans le cadre desquelles la détention surpasse un seuil donné, en commençant par les dossiers où la détention est la plus longue.
Détention de plus de 365 jours
La priorité devrait être accordée aux quelque 80 affaires dans le cadre desquelles des personnes sont détenues depuis plus d’un an. Ces affaires devraient être examinées immédiatement par une équipe spécialisée qui ne sera pas établie dans l’un des bureaux régionaux. Le mandat de cette équipe devrait être le suivant :
- Examiner, dans un court délai, les audiences et les décisions pour lesquelles il existe une transcription pour établir si des incohérences ou des erreurs empêchent un contrôle rigoureux de la justification du maintien en détention.
- Répertorier les affaires où la mise en liberté est une possibilité ou pourrait l’être.
- Recommander la tenue d’un contrôle anticipé s’il existe des problèmes auxquels il faudrait remédier rapidement.
- Mettre en place, concernant les détentions de longue durée, un protocole pilote qui tiendra compte des recommandations du présent rapport, par exemple :
- remplir un formulaire d’évaluation en vue de la mise en liberté pour chaque dossier;
- envisager si un dossier, ou plus, devrait être assigné à un commissaire d’un autre bureau régional, en mettant à profit la capacité de tenir des audiences à l’aide de moyens électroniques, ce qui favoriserait un accroissement de la mise en commun de l’expertise et des pratiques entre les bureaux régionaux;
- si le dossier contient une ou plus d’une proposition de mise en liberté à laquelle des améliorations pourraient être apportées, collaborer avec les vice‑présidents adjoints pour que le dossier soit assigné à un commissaire qui en demeurera saisi et qui tentera d’aider les deux parties à élaborer un plan de mise en liberté adéquat.
- Déterminer si certains dossiers du bureau régional du Centre pourraient être transmis au Programme de cautionnement de Toronto.
- Demander au vice‑président adjoint du bureau régional de nommer un représentant désigné chargé d’établir l’admissibilité aux services d’un conseil de l’aide juridique, dans le cas d’une personne non représentée semblant souffrir d’un problème de santé mentale.
Détention de plus de six mois
Ensuite, les affaires dans le cadre desquelles les personnes ont été détenues pendant plus de six mois, mais moins d’un an, devraient elles aussi faire immédiatement l’objet de l’évaluation décrite ci‑dessus, qui devrait toutefois être effectuée par le personnel du bureau régional concerné. Ce groupe est aussi composé d’environ 80 personnes, et 60 p. 100 d’entre eux se trouvent au bureau régional du Centre. Si possible, le conseil de la SI pourrait participer à ce processus de triage et d’évaluationFootnote 103.
Chaque bureau régional devrait rapidement mettre sur pied une équipe de triage qui peut être composée en partie de commissaires d’expérience choisis pour leur ouverture d’esprit et leur capacité à adopter de nouvelles approches. La rapidité d’exécution est cruciale. L’équipe devra passer en revue l’historique du dossier, remplir un formulaire d’évaluation en vue de la mise en liberté et définir toute stratégie qui pourrait être mise en place immédiatement pour garantir un contrôle rigoureux, y compris les stratégies suivantes, si cela convient :
- Assigner un commissaire, qui sera saisi pour une certaine période, à des problèmes qui nécessitent une considération cohérente, par exemple pour ce qui est des propositions de mise en liberté qui pourraient être améliorées pour faciliter la mise en liberté, d’une enquête complexe sur l’identité, ou d’un manque de diligence de la part de l’ASFC.
- Présenter le dossier lors d’une réunion à laquelle participeront, sur une base volontaire, les commissaires qui ont présidé aux contrôles des motifs de détention dans ce dossier pour discuter de la gestion du cas. Les paramètres de la discussion doivent être conformes aux principes énoncés dans l’arrêt Consolidated BathurstFootnote 104,adaptés au besoin aux réalités opérationnelles et pratiques de la SI. Il pourra être approprié de tenir des discussions de groupe en cas de présence de certains problèmes tels que la non‑participation ou l’absence de la personne détenue, la non‑représentation de la personne détenue, le manque de préparation des agents d’audience ou l’incohérence des conclusions du tribunal. Ces discussions pourraient être l’occasion d’étudier des questions telles que les suivantes :
- En quoi pourrait consister la détention pour une période indéterminée dans cette affaire?
- Les commissaires ont‑ils posé les bonnes questions aux parties?
- Y a‑t‑il des éléments de preuve manquants ou des questions liées à la preuve qui doivent être clarifiées?
- Une question de droit nécessite‑t‑elle l’avis juridique d’un conseil de la SI?
- Le dossier devrait‑il être assigné à un commissaire d’un autre bureau régional si l’équipe d’examen estime qu’un regard neuf est particulièrement nécessaire?
F. Nouveaux protocoles d’audience favorisant un processus décisionnel accessible et actif
Voici des recommandations concernant de nouveaux protocoles pour la tenue d’audiences.
Déclaration d’ouverture
Revoir les déclarations d’ouverture type de façon à ce que le tribunal s’adresse à la personne détenue et à l’ASFC en langage clair, compréhensible pour les personnes non représentées. La déclaration devrait inclure ce qui suit :
- une référence au devoir de prononcer la mise en liberté prévu au paragraphe 58(1), sauf sur preuve d’un motif de détention prévu par la loi;
- une explication du fait que le commissaire doit rendre une décision selon la prépondérance des probabilités et de ce que cela signifie dans le contexte de l’affaire;
- une nouvelle description du rôle des décisions antérieures, conforme à la décision Thanabalasingham (par exemple : [traduction] « À la lumière de ce que j’ai entendu aujourd’hui et de ma propre interprétation de la preuve présentée dans le cadre de votre affaire, je peux prononcer votre mise en liberté aujourd’hui, mais le cas échéant, il me faudra expliquer de façon claire et convaincante les motifs pour lesquels je rends une décision différente de celle des commissaires qui ont instruit votre affaire dans le passé. »);
- une explication des solutions de rechange possibles à la détention. Si la détention est maintenue, l’explication devra être pertinente par rapport aux faits de l’affaire et peut‑être traiter des propositions de mise en liberté rejetées précédemment;
- un énoncé soulignant que le contrôle des motifs de détention est tenu à l’intention de la personne détenue et que sa participation est souhaitée;
- un énoncé précisant que la personne détenue a le droit de remettre en question toute remarque faite par l’agent d’audience à l’audience et qu’elle a le droit de s’exprimer au sujet de la preuve et des observations de l’agent d’audience;
- un énoncé expliquant que c’est à l’agent d’audience qu’incombe le fardeau de convaincre le commissaire, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne serait pas approprié que la personne détenue soit mise en liberté ce jour‑là.
Collecte des éléments de preuve
La SI devrait considérer l’élaboration d’une directive de pratique pour énoncer les protocoles et les attentes en ce qui concerne la présentation des éléments de preuve aux audiences. Cette directive prévoirait entre autres :
- qu’il sera demandé à la personne détenue de rendre un témoignage sous serment à chaque contrôle des motifs de détention;
- que, lorsque l’agent d’audience rendra un témoignage détaillé (sauf, par exemple, s’il s’agit d’une mise à jour sur une procédure devant la Cour fédérale ou d’autres renseignements non contestés), il lui sera demandé de rendre sous serment son témoignage reposant sur des renseignements fournis par l’agent d’exécution de la loi ou d’autres personnes;
- que, au besoin, il sera demandé à un agent d’exécution de la loi d’assister au contrôle des motifs de détention et de rendre un témoignage sous serment;
- qu’il sera attendu du conseil qu’il interroge, sous serment, toute caution potentielle et autre témoin présent dans la salle d’audience.
En ce qui concerne ce dernier point, si certains endroits, par exemple certaines prisons, rendent cela impossible, la directive de pratique devrait établir comment ces situations seront traitées à l’aide de moyens électroniques ou autres de façon à faciliter la participation de la personne détenue.
Communication et questions connexes
Une directive de pratique devrait clarifier les attentes pour ce qui est de la communication de documents.
La SI devrait mettre en place un système prévoyant la communication d’une copie de la décision à l’intéressé après la tenue du contrôle des motifs de détention.
Processus décisionnel actif
La SI devrait promouvoir un modèle reposant sur un processus décisionnel actif. Certains commissaires jouent déjà un rôle plus actif aux contrôles des motifs de détention qu’ils président pour s’assurer que tous les éléments de preuve pertinents seront présentés, y compris lorsque la personne détenue n’est pas représentée. Une formation spécialisée aiderait les commissaires à présider activement leurs audiences de façon à favoriser la tenue d’un contrôle rigoureux et une participation importante de la personne détenue.
Cette approche pourrait inclure les mesures suivantes, par exemple :
- demander aux deux parties de témoigner au sujet de questions pertinentes;
- expliquer à la personne détenue, particulièrement lorsqu’elle est non représentée (ou sous‑représentée), en quoi son témoignage est nécessaire au contrôle, et lui demander de traiter de questions particulières (par exemple : [traduction] « L’ASFC affirme que, comme des membres de votre famille proche habitent au Canada et que vous n’avez pas de famille dans votre pays d’origine, il est probable que vous entrerez dans la clandestinité si vous êtes mis en liberté. J’aimerais savoir ce que vous pensez de cela. »);
- questionner l’ASFC à propos des délais prévus ou des détails de l’enquête, quand ces éléments ne sont pas clairs;
- demander aux agents d’exécution de la loi de l’ASFC d’assister à l’audience si des clarifications sont requises;
- demander aux parties de poursuivre leur travail sur le plan de mise en liberté lorsque celui‑ci demeure insuffisant.
Processus décisionnel reposant sur la compassion
La SI devrait favoriser le développement d’une culture du décideur où on reconnaît la compassion dans le processus décisionnel. Il ne s’agit pas là d’un nouveau concept, particulièrement dans le système de justice pénale. Il existe par exemple des « tribunaux de santé mentale » qui offrent des services spécialisés aux délinquants atteints de problèmes de santé mentale, et les rapports Gladue fournissent une orientation en ce qui concerne la détermination des peines des délinquants autochtones. Il est maintenant reconnu que les juges et les commissaires ont besoin de recevoir une formation pour les aider à comprendre les circonstances de la vie des personnes qui comparaissent devant eux, dont, entre autres, l’incidence que peut avoir la toxicomanie ou les agressions sexuelles.
D’autres tribunaux, et la SI elle‑même, ont offert aux commissaires de la formation pour les aider à prendre des décisions à la fois avec équité et avec compassion. Lorsque nous avons écouté les audiences des affaires composant notre échantillon, nous avons pu constater des commissaires qui donnaient à des personnes détenues frustrées et apeurées tout le temps qu’il leur fallait pour raconter leur histoire, et qui reconnaissaient la douleur exprimée par ces personnes dans leur témoignage.
D’autres commissaires, par contre, ne satisfaisaient pas aux normes du respect dû aux personnes détenues qui comparaissent devant eux; leur ton était parfois quelque peu condescendant, ou ils ne laissaient pas à l’interprète le temps de traduire les propos, de sorte qu’il était impossible pour la personne détenue de suivre la procédure.
Certains commissaires rendaient parfois des décisions reposant sur des formules convenues sans faire référence à la preuve présentée par la personne détenue; ils utilisaient un langage non accessible et s’adressaient à l’enregistrement plutôt qu’à la personne dont la détention était maintenue pour 30 jours de plus.
Adopter une culture de respect et de compassion n’est pas une mince affaire. Cela prend une démarche à plusieurs volets qui vient de la haute gestion. La formation a son rôle à jouer, mais une excellente formation a déjà été offerte, par exemple lorsqu’il a été demandé à des conseils en immigration externes de présenter le point de vue de l’autre partie. Il pourrait être utile de repérer des leaders parmi les commissaires. Si la SI arrive à diversifier ses effectifs pour y inclure des commissaires qui ont de l’expérience dans la pratique du droit de l’immigration, cela contribuera à ce que des points de vue différents soient représentés.
G. Nouvelles attentes en matière de prise de décisions
Pour que la SI renforce sa capacité à réaliser un contrôle rigoureux et significatif à chaque audience, il est recommandé qu’elle modifie l’attente selon laquelle les commissaires doivent toujours exposer en détail leurs motifs dans une décision exposée de vive voix à la fin de chaque audience. Il peut parfois être impossible pour un commissaire de rendre immédiatement une décision exposée de vive voix lorsqu’il doit considérer des questions complexes liées à la preuve ou au droit. Cela est déjà le cas par moments; notre échantillon comprenait un exemple où une longue décision écrite a été rendue après la tenue du contrôle des motifs de détention.
Dans certains cas, le contrôle des motifs de détention est mis au rôle de façon anticipée, et le commissaire peut donc ajourner le contrôle des motifs de détention, puis reconvoquer les parties pour exposer en détail les motifs de sa décision. Il pourrait être nécessaire d’élaborer de nouveaux protocoles pour traiter d’autres situations. Par exemple, dans certains cas, le commissaire pourrait exposer des motifs sommaires à la fin de l’audience, puis d’office, faire en sorte que le prochain contrôle des motifs de détention soit mis au rôle de façon anticipée pour avoir le temps de délibérer plus amplement ou d’exposer plus en détail ses motifs. Cela ne serait possible que si le commissaire avait l’option de demeurer saisi de l’affaire ou d’être réassignéFootnote 105.
Dans leur processus de prise de décisions, les commissaires doivent pouvoir prendre le temps :
- de tirer des conclusions nuancées quant à la crédibilité, au besoin;
- d’évaluer et d’apprécier la preuve de façon critique et indépendante;
- de jeter un regard neuf sur le récit de la personne détenue, en tenant compte du temps passé;
- d’appliquer activement le critère de la prépondérance des probabilités à la preuve, en expliquant pourquoi le risque de fuite ou le danger pour le public est supérieur à 50 p. 100, le cas échéant;
- de traiter du devoir, prévu par la loi, de prononcer la mise en liberté, à moins d’être convaincu qu’un critère prévu par la loi ne le permette pas.
La SI devra peut‑être fournir des ressources si certains commissaires ont besoin de plus d’aide que d’autres pour satisfaire à ces attentes.
H. Accès aux services d’aide juridique
Il est recommandé que la SI entreprenne des discussions avec les programmes provinciaux d’aide juridique pour étudier la possibilité d’accroître les services d’aide juridique offerts aux personnes détenues. L’accès inégal aux services d’un conseil dans les différentes régions du pays constitue un énorme problème. Comme cela a déjà été précisé, le taux de représentation au Canada atteint son point le plus élevé (76 p. 100) au bureau régional de l’Est et son point le plus bas (38 p. 100) au bureau régional du Centre.
Le besoin se fait particulièrement sentir en Ontario. Environ 50 p. 100 de tous les contrôles des motifs de détention et plus de 70 p. 100 des détentions de plus d’un an ont lieu au bureau régional du CentreFootnote 106 et pourtant, Aide juridique Ontario (AJO) ne délivrerait que des certificats à court terme valides pour une ou deux audiences. Le Bureau du droit des réfugiés, subventionné par AJO, offre aussi des services de représentation pour les audiences de la SI, mais ses services sont limités par ses ressources déjà trop sollicitées.
Le vice‑président adjoint du bureau régional du Centre a déjà entrepris des discussions avec AJO dans le but d’accroître les services juridiques offerts aux personnes détenues ayant des problèmes de santé mentale. Il est à espérer que ces discussions pourront être étendues à la question de la nécessité d’assurer une représentation à un plus grand nombre de contrôles des motifs de détention, pour que l’Ontario puisse atteindre le niveau de représentation observé au Québec, en Colombie‑Britannique, au Manitoba et en Alberta. Il serait énormément utile qu’AJO mette sur pied un programme de conseil de service au Centre de surveillance de l’immigration pour fournir une représentation aux audiences de la SI et pour référer, au besoin, les personnes détenues à un conseil dont le paiement des services serait garanti par un certificat. En Saskatchewan et dans les provinces maritimes, il pourrait être possible de remédier au besoin de services juridiques en augmentant le nombre de certificats d’aide juridique délivrés pour payer les services d’un représentant privé.
Même en faisant abstraction des obstacles cruciaux à la justice auxquels font face les personnes vulnérables détenues, les tribunaux signalent généralement que la présence fréquente d’avocats aux contrôles des motifs de détention, y compris de conseils de service, se traduit par une amélioration de la qualité générale des contrôles des motifs de détention et du processus de prise de décisions en obligeant essentiellement les commissaires à rester vigilants.
Je ne peux passer à un autre sujet sans formuler la remarque que la solution idéale serait la mise en place d’un programme national de services juridiques financé par le gouvernement fédéral pour les besoins des audiences de la SI; ce programme emploierait des avocats et des parajuristes formés et serait établi aux bureaux de Toronto, de Vancouver et de Montréal. Je suis consciente que la question du financement, par le gouvernement fédéral, des programmes provinciaux d’aide juridique en vue de l’augmentation de la représentation dans les affaires d’immigration fait l’objet de négociations depuis très longtemps.
I. Rôle du représentant désigné
Il est recommandé que soit élaborée une directive de pratique énonçant les devoirs et les responsabilités des représentants désignés, ce qui permettrait de clarifier leur rôle, aussi bien à l’interne qu’aux yeux du public et des personnes détenues.
Il est aussi recommandé que soit mis en place un processus de contrôle de la qualité des conseils et du soutien offerts par les représentants désignés. Ce processus pourrait prévoir l’envoi d’un sondage, deux fois par année, aux conseils de service qui comparaissent régulièrement avec des représentants désignés, au Bureau du droit des réfugiés en Ontario et au conseil externe dans tout dossier où un représentant désigné soutient une personne qui a un conseil, que ce conseil comparaisse régulièrement ou non devant la SI. Un bon représentant désigné entretiendra une communication avec le conseil de la personne détenue.
Il devrait être demandé à la personne détenue de remplir un autre formulaire comportant des questions du type suivant : Selon vous, votre représentant désigné a‑t‑il écouté ce que vous aviez à dire et a‑t‑il compris votre situation? Les résultats de ces sondages devraient évidemment être interprétés, mais les commentaires fournis par la personne détenue pourraient être un important indicateur de l’existence de problèmes.
Il devrait régulièrement être demandé aux commissaires de remplir un formulaire de commentaires à propos de tous les représentants désignés ayant comparu aux audiences qu’ils présidaient.
J. Examen des politiques relatives au cautionnement et aux conditions de mise en liberté
Il est recommandé que la SI et l’ASFC réévaluent les politiques relatives à la mise en liberté sous cautionnement et le recours à de plus nombreuses solutions de rechange à la détention, par exemple l’assignation à résidence ou l’imposition d’un couvre‑feu. Il n’a pas été possible, dans le cadre de la vérification, d’étudier l’interaction entre les autorités de la SI et celles de l’ASFC dans ce domaine. Les problèmes potentiels suivants ont toutefois été recensés :
- L’approche adoptée par la SI ou par l’ASFC en ce qui concerne le cautionnement est‑elle généralement conforme à la jurisprudence de la Cour fédérale, y compris à la décision M.C.I. c. B188, dans laquelle la Cour a confirmé la décision de la SI de ne pas imposer un cautionnement en espèces en raison des ressources limitées de la personne détenueFootnote 107?
- L’approche adoptée par la SI ou par l’ASFC en ce qui concerne le cautionnement est‑elle conforme, ou devrait‑elle être conforme, à l’arrêt R. c. AnticFootnote 108,dans lequella Cour suprême du Canada a confirmé le principe que, dans les affaires criminelles, la mise en liberté doit être prononcée à la première occasion et aux conditions les moins sévères possible?
- Pourquoi l’approche adoptée par la SI en ce qui concerne le cautionnement en espèces et la garantie de bonne exécution varie‑t‑elle dans les différents secteurs du pays? L’ASFC est‑elle la cause de cette variation?
- Le dépôt d’un cautionnement de bonne exécution garanti par un bien immobilier n’est‑il exigé que par le bureau régional de l’Est? Le cautionnement de bonne exécution garanti par un revenu est‑il permis par les autres bureaux régionaux?
- Comme l’exigence du dépôt d’un cautionnement de bonne exécution garanti par un bien immobilier désavantage de façon indue les personnes pauvres, cette exigence devrait‑elle être abandonnée dans les cas appropriés?
- En 2016, le gouvernement a annoncé qu’il investirait 138 millions de dollars dans la création de solutions de rechange à la détention; ces fonds ont‑ils été engagés, et des programmes seront‑ils élaborés pour favoriser la mise en liberté des personnes pauvres n’ayant pas accès à des cautions?
- À la lumière des initiatives récemment mises sur pied dans au moins une province pour favoriser l’accès au cautionnement des personnes pauvres et vulnérablesFootnote 109, les exigences imposées aux audiences de la SI sont‑elles trop sévères pour les personnes à faible revenu, qui sont caractérisées de façon disproportionnée par des motifs de distinction illicite, dont la déficience et la race?
- L’ASFC est‑elle en voie de mettre à exécution son projet d’offrir le suivi par GPS comme solution de rechange moins coûteuse et plus humaine à la détention?
- Serait‑il possible d’avoir recours plus souvent à de plus nombreuses solutions de rechange à la détention, par exemple à l’assignation à résidence ou à l’imposition d’un couvre‑feu? Le placement en maisons de transition serait‑il une solution, comme cela a été proposé par la Cour supérieure de l’Ontario dans la décision Toure c. Ministre de la Sécurité publiqueFootnote 110?
K. Perfectionnement professionnel et recrutement des commissaires
À quelques exceptions près, aucune recommandation particulière ne sera formulée dans le présent rapport en ce qui concerne la formation des commissaires, en partie parce que la nécessité de donner de la formation est implicite dans certaines des recommandations formulées (p. ex. la promotion d’un modèle reposant sur un processus décisionnel actif) et en partie parce que d’excellentes formations ont été offertes au cours des dernières années. Récemment, les conseils de la CISR ont ajouté des présentations préparées par des avocats spécialistes de l’immigration et ont donné de la formation sur les principes relatifs à la mise en liberté sous cautionnement, par exemple. La formation de cette nature, qui incite les commissaires à envisager leur mandat dans le cadre plus vaste du système de justice, est très utile.
Compte tenu de la qualité de la formation offerte, y compris des nombreux documents de formation écrits, il y a lieu de se demander si la formation se traduit par l’adoption de meilleures pratiques dans la réalité. À la lumière des écarts observés entre les documents de formation examinés dans le cadre de la vérification et nos conclusions par rapport à certains dossiers, il semble que la formation n’ait pas nécessairement toujours l’effet désiré dans l’ensemble de la Commission.
La formation est particulièrement recommandée dans deux domaines. Premièrement, il existe un besoin de formation spécialisée sur les principes et la pratique à appliquer pour évaluer la crédibilité et tirer des conclusions de fait selon la prépondérance des probabilités. Cette formation comprendrait des séances sur comment repérer que des éléments de preuve qui sont cohérents et qui ont une valeur probante, comment apprécier des éléments de preuve conflictuels, et comment évaluer de bonne foi les conclusions auxquelles mène la prépondérance de la preuve, en appliquant le critère du fardeau de la preuve en matière civile.
Pour que ce soit bien clair, il peut être très difficile de rendre ce genre de décisions. Pour chercher la vérité et évaluer équitablement la crédibilité, il faut avoir la capacité de voir les choses de tous les points de vue, y compris notamment du point de vue de la personne dont la liberté est en jeu, et déployer des efforts pour essayer de comprendre l’incidence de ses gestes dans les circonstances particulières de sa vieFootnote 111.
Deuxièmement, je recommande que les commissaires de la SI suivent une formation sur les questions de santé mentale et de toxicomanie, et ce, même s’ils ont déjà suivi une formation sur ces questions en 2016. L’incidence de la toxicomanie, de la consommation d’alcool et autres drogues et des troubles de santé mentale sur la mémoire et sur les témoignages rendus est l’un des sujets sur lesquels réfléchir. Il est également essentiel que soit offerte une formation soulignant l’absence de corrélation générale entre les troubles de santé mentale et la violence.
De plus, comme cela a été mentionné ci‑dessusFootnote 112, la transition à une culture axée sur la collaboration des décideurs favorisera l’équité rigoureuse de la tenue des contrôles des motifs de détention et de la prise de décisions. Les commissaires auraient la possibilité de présenter les cas complexes à des réunions de commissaires au cours desquelles ils pourraient en discuter, selon les paramètres établis dans l’arrêt Consolidated BathurstFootnote 113. Si la SI tenait régulièrement ce genre de réunions, au cours desquelles les commissaires pourraient fréquemment conférer avec d’autres commissaires, avec des conseils et avec des gestionnaires, cela créerait de nouvelles occasions de renforcer la formation dans le contexte de la prise de décisions au quotidien.
Les réunions de commissaires pourraient également constituer une bonne tribune de discussion au sujet de questions liées à la politique ou à la pratique et permettraient aux commissaires de s’exprimer sur la version préliminaire des directives de pratique ou des directives interprétatives.
Enfin, comme cela a été mentionné ci‑dessusFootnote 114, il est recommandé que la SI comble ses postes vacants en recrutant des commissaires parmi les avocats spécialistes de l’immigration ou auprès d’agences de services sociaux au service de collectivités d’immigrants, comme le font les tribunaux du travail en recrutant aussi bien du côté patronal que syndical. L’embauche de commissaires ayant diverses expériences personnelles et professionnelles pourrait faire une grande différence, particulièrement dans le contexte d’une culture quant au processus décisionnel plus collégiale et consultative, mais seulement si les nouvelles recrues reçoivent le soutien nécessaire pour faire part à leurs collègues de la perspective qu’elles amènent avec elles.
L. Personnes détenues ayant des troubles de santé mentale
Il est recommandé que la SI entreprenne immédiatement avec l’ASFC des discussions à propos de l’énorme problème que représente le traitement équitable et humain à accorder aux personnes détenues qui ont des troubles de santé mentale. Plus du tiers des personnes composant notre échantillon s’identifiaient comme ayant des troubles de santé mentale.
Notre examen a révélé que l’équité du processus pour les personnes ayant des troubles de santé mentale et l’incidence de leur détention sans traitement étaient des problèmes importants. Le cas le plus alarmant est celui d’une personne ayant été maintenue en détention pendant une longue période, sans traitement, alors qu’elle était dans un état catatonique, sans réaction et à peine mobile. Il a fallu plus de deux ans avant que cet homme soit transféré dans un hôpital psychiatrique du système correctionnel où il a pu recevoir des traitements.
Dans les décisions Ali et Toure, la Cour supérieure de l’Ontario s’est exprimée de façon critique sur les traitements offerts aux personnes détenues dans le contexte de l’immigration ayant des troubles de santé mentale, ou sur l’absence de ces traitements. Dans la décision Toure, la Cour a conclu que le fait de détenir M. Toure sans qu’il ne reçoive de traitements constituait, dans les circonstances de cette affaire, une peine cruelle et inusitée contraire à l’article 12 de la Charte, et elle a déclaré que cette affaire témoignait :
[traduction]
[…] d’un manquement institutionnel inexcusable, de la part des autorités fédérales, à leur responsabilité de protéger les intérêts des personnes sous leur garde et leur autoritéFootnote 115.
De même, dans la décision Ali, la Cour a conclu que le maintien en détention constituerait une violation des droits accordés par les articles 7 et 9 de la Charte, et elle a cité l’absence de traitement comme critère :
[traduction]
[…] éléments de preuve établissant que M. Ali a commencé à développer des problèmes de santé, aussi bien physique que mentale, problèmes qui ne seront pas traités adéquatement tant que M. Ali restera dans un établissement de détention provincialFootnote 116.
Dans le cas discuté ci-dessus où la personne intéressée a subi un effondrement mental complet, les commissaires de la SI et les agents d’audience de l’ASFC ont procédé, aux contrôles successifs, comme si l’état de santé de l’homme ne revêtait que peu d’importance dans le processus. À plusieurs contrôles des motifs de détention, le président de l’audience a caractérisé l’absence de la personne détenue comme étant le résultat de son entêtement ou d’un manque de coopération.
Le présent rapport a déjà soulevé de nombreuses questions à propos des responsabilités de la SI dans le cadre de cette affaire. Cependant, quelles étaient les responsabilités de l’ASFC? Comment l’ASFC a‑t‑elle pu laisser cette personne dans cette situation pendant deux ans tandis que la SI continuait de tenir des contrôles des motifs de détention des 30 jours? Et pourquoi a‑t‑il fallu des années avant que ne soit nommé un curateur public? Que serait‑il arrivé à cet homme si la Cour fédérale n’avait pas surveillé de près cette affaire?
Tout cela souligne la nécessité pour l’ASFC et la CISR de négocier la mise en place d’un nouveau protocole de haut niveau qui garantira que les affaires de ce genre soient signalées et, à tout le moins, que les personnes détenues reçoivent les traitements appropriés en temps opportun.
Les recommandations formulées à propos du triage et de la surveillance plus étroite des affaires, de l’amélioration de l’accès aux services juridiques et de l’élaboration de lignes directrices plus strictes sur le rôle des représentants désignés ont toutes comme objectif de favoriser une plus grande équité du processus de contrôle des motifs de détention des personnes détenues qui ont des troubles de santé mentale.
Enfin, il a déjà été recommandé, dans le présent rapport, que la SI offre une formation avancée sur les questions de santé mentale pour remédier, entre autres, aux dangers pouvant découler du fait de laisser des suppositions et des stéréotypes au sujet de la maladie mentale fausser l’appréciation du risque de fuite et du danger pour le public.
Annexe A
Sahin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 214 (1re inst.).
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Lai, [2001] 3 .C.F. 326 (1re inst.); 2001 CFPI 118.
M.C.I. c. Kamail, Nariman Zangeneh (C.F. 1re inst., IMM-6474-00), O’Keefe, 8 avril 2002; 2002 CFPI 381.
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, [2004] 3 R.C.F. 572 (C.A.F.); 2004 CAF 4.
Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350; 2007 CSC 9.
Panahi‑Dargahlloo, Hamid c. M.C.I. (C.F., IMM-4335-08), Mandamin, 30 octobre 2009; 2009 CF 1114.
M.C.I. c. Li, Dong Zhe (C.A.F., A-642-08), Desjardins, Létourneau, Trudel, 17 mars 2009; 2009 CAF 85.
Arshad c. M.S.P.P.C. (C.F., IMM-844-13), Martineau, 27 février 2013; 2013 CF 203.
Warssama, Abdirahmaan c. M.C.I. (C.F., IMM-1505-15), Harrington, 24 novembre 2015; 2015 CF 1311.
Ahmed, Ali Ahmed c. M.C.I. (C.F., IMM-2572-15), LeBlanc, 24 juin 2015; 2015 CF 792.
Ahmed, Ali Ahmed c. M.C.I. (C.F., IMM-3022-15), Fothergill, 17 juillet 2015; 2015 CF 876.
Ahmed, Ali Ahmed c. M.C.I. (C.F., IMM-3579-15), Boswell, 26 août 2015; 2015 CF 1012.
Wang, Zhenhua et Yan, Chunxiang c. M.S.P.P.C. (C.F., IMM-8294-14), Phelan, 21 janvier 2015; 2015 CF 79.
Wang, Zhenhua et Yan, Chunxiang c. M.S.P.P.C. (C.F., IMM-1655-15), Gagné, 8 juin 2015; 2015 CF 720.
Yan, Chunxiang et Wang, Zhenhua c. M.S.P.P.C. (C.F., IMM-3915-15), Southcott, 28 septembre 2015; 2015 CF 1125.
B.B. et Justice For Children and Youth c. M.C.I. (C.F., IMM-5754-15), Hughes, 24 août 2016 (ordonnance non publiée).
M.S.P.P.C. c. Lunyamila, Jacob Damiany (C.F., IMM-3428-16), Crampton, 27 octobre 2016; 2016 CF 1199.
Brown, Alvin John et End Immigration Detention Network c. M.C.I. et M.S.P.P.C. (C.F., IMM‑364‑15), Fothergill, 25 juillet 2017; 2017 CF 710.
Chaudhary c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 ONCA 700 (20 octobre 2015).
R. c. Ogiamien, 2016 ONSC 4126, 29 juin 2016.
Ogiamien c. Ontario, 2016 ONSC 3080, 10 mai 2016.
Canada c. Dadzie, 2016 ONSC 6045, 28 septembre 2016.
Ogiamien c. Ontario (Sécurité communautaire et Services correctionnels), 2017 ONCA 839 (2 novembre 2017).
Ali c. Canada (Procureur général), 2017 ONSC 2660, 28 avril 2017.
Scotland c. Canada (Procureur général), 2017 ONSC 4850, 14 août 2017.
Ebrahim Toure c. Ministre de la Sécurité publique, 2017 ONSC 5878, 5 octobre 2017.
Chhina c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 ABCA 248, 31 juillet 2017.