Évaluation de la crédibilité lors de l'examen des demandes d'asile

​​​​​​​​​​le 31 décembre 2020

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  1. Principes généraux et remarques
  2. Problèmes particuliers
  3. Conclusion « d’absence de minimum de fondement »
  4. Demandes d’asile manifestement infondées

Avant-propos

Pour établir si le demandeur d’asile est un réfugié au sens de la Convention ou une « personne à protéger » au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR)Note de bas de page 1, les commissaires de la Section de la protection des réfugiés (SPR) doivent décider s’ils accordent foi à la preuve du demandeur d’asile et quel poids ils accordent à cette preuveNote de bas de page 2. À cette fin, ils doivent évaluer la crédibilité du demandeur d’asile, des autres témoins et de la preuve documentaire.

Le ministre ou la personne en cause peut interjeter appel à la Section d’appel des réfugiés (SAR) d’une décision d’accueillir ou de rejeter une demande d’asile, à moins que ne s’applique l’une des exceptions à ce droitNote de bas de page 3. La SAR établit si une erreur de droit, de fait, ou une erreur mixte de fait et de droit entache la décision de la SPR, y compris ses conclusions quant à la crédibilitéNote de bas de page 4. Les dispositions habilitantes en matière d’appels à la SAR ne sont entrées en vigueur que le 15 décembre 2012.

Il ne faut pas oublier qu’une conclusion défavorable concernant la crédibilité susceptible d’être déterminante pour une demande d’asile fondée sur l’article 96 de la LIPR ne l’est pas nécessairement dans le cas d’une demande fondée sur l’article 97 de la LIPRNote de bas de page 5. La question de savoir si la Commission a examiné comme il se doit une demande d’asile présentée au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) dépend des circonstances de l’affaire, en tenant compte des différents éléments qui doivent être établis de manière crédible pour chacun des motifs.

S’agissant de l’étude d’anciens précédents, il importe de garder à l’esprit que, aux termes de l’ancienne Loi sur l’immigrationNote de bas de page 6, il incombait aux commissaires de la Section du statut de réfugié (SSR), communément appelée « Section du statut », de décider si le statut de réfugié au sens de la Convention devait être reconnu à une personne. La SSR a été remplacée par la Section de la protection des réfugiés (SPR). Le tribunal de la SSR, constitué de deux commissaires, jouissait du soutien de l’agent d’audience, lequel est devenu l’agent chargé de la revendication, puis l’agent de protection des réfugiés. Ce rôle a toutefois été éliminé. À moins d’indication contraire, on entend par la « Cour », la Cour fédérale​. Ce document tient compte de la jurisprudence pertinente jusqu’au 31 décembre 2020.

1. Principes généraux et remarques

1.1 Preuve crédible ou digne de foi

Les dispositions législatives et divers principes énoncés dans la jurisprudence servent à évaluer la crédibilité. L’article 170 de la LIPR dispose que :

170. Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de la protection des réfugiés :

[…]

g) n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;

h) peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision.

Les dispositions correspondantes applicables à la SAR se trouvent aux alinéas 171 a.2) et a.3).

Ce serait une erreur de la part de la SPR ou de la SAR d’écarter des éléments de preuve au seul motif qu’il s’agit de ouï-dire, bien que le poids à accorder à la preuve par ouï-dire puisse être réduit, voire infirmé, s’il y a des raisons de croire qu’elle n’est pas digne de confianceNote de bas de page 7.

Il est loisible aux commissaires de tirer des conclusions factuelles raisonnables en se fondant sur les éléments de preuve. Les conclusions sont des déductions tirées de la preuveNote de bas de page 8. Les conclusions raisonnables ont la validité d’une preuve juridique, comme il en est fait mention dans un passage fréquemment cité de la décision Jones v. Great Western Railway Co., où Lord Macmillan a expliqué la différence entre une conjecture et une inférence :

[traduction]

Il est souvent très difficile de faire la distinction entre une conjecture et une inférence. Une conjecture peut être plausible, mais n’a aucune valeur juridique puisqu’il s’agit d’une simple supposition. Par contre, une inférence, au sens juridique, est une déduction tirée de la preuve et, si c’est une déduction raisonnable, elle pourrait avoir la validité d’une preuve juridique […]Note de bas de page 9

Une conclusion d’absence de crédibilité fondée sur des conclusions doit être étayée par les éléments de preuve versés au dossierNote de bas de page 10. Les commissaires de la Commission ne peuvent pas fonder leur décision sur de pures conjectures ou de simples hypothèses non étayées par la preuve. Par exemple, dans la décision CaoNote de bas de page 11, la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il était « raisonnable de présumer » qu’il existerait des documents au sujet du fait qu’il aurait été nécessaire que la demandeure d’asile soit stérilisée. Cependant, il n’est fait renvoi à aucune preuve documentaire qui permettrait d’étayer cette hypothèse.

Un autre cas dans lequel la Cour a conclu que la SPR avait fait une hypothèse injustifiée est la décision MohammedNote de bas de page 12. La SPR a estimé que le témoignage de vive voix du demandeur d’asile concernant la date à laquelle il s’est caché ne concordait pas avec la déclaration faite dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA), non pas en raison de ce qui était réellement écrit dans le formulaire FDA, mais en fonction de l’hypothèse de la SPR selon laquelle les événements étaient présentés en ordre chronologique dans le formulaire FDA. Le juge Zinn a estimé que la conclusion tirée par la SPR selon laquelle il y avait une contradiction fondée sur une date inférée n’était pas raisonnable : « Les déductions ne constituent pas des éléments de preuve. La Cour a observé que les incohérences sur lesquelles s’appuie la SPR pour tirer des conclusions quant à la crédibilité doivent être réelles et ne pas reposer sur des conjectures. »

Les déductions fondées sur des éléments de preuve sont à distinguer des conjectures et des hypothèses. Dans la décision JungNote de bas de page 13, la Cour a jugé que la Commission avait commis une erreur en se livrant à de « pures conjectures » au sujet des raisons pour lesquelles il n’était pas crédible qu’une personne malade, qui souffrait d’une insuffisance pondérale, soit exemptée du service militaire en Corée du Nord. La Commission avait conclu que, compte tenu du nombre élevé de Nord-Coréens souffrant d’un déficit de croissance, l’armée ne pouvait pas se permettre d’exempter des personnes du service militaire obligatoire pour ce motif.

Dans la décision MahalingamNote de bas de page 14​, où la SSR a employé les mots « nous croyons » dans sa conclusion selon laquelle la crainte de la requérante que la police l’humilie et la harcèle de nouveau était hautement spéculative, le juge Gibson a conclu ce qui suit :

En l’absence d’éléments de preuve, cités par la section du statut et évalués au regard de la preuve contraire pour appuyer ce "sentiment", je conclus que la section du statut en est arrivée à une conclusion toute théorique et conjecturale qui était manifestement essentielle à sa décision. En agissant ainsi, elle a commis une erreur susceptible de contrôle..

L’affaire Maldonado, constitue le point de départ de l’évaluation de la crédibilité. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a déclaré que, lorsqu’un demandeur d’asile jure que certains faits sont vrais, cela crée une présomption qu’ils le sont, à moins qu’il n’existe des raisons valables de douter de leur véracitéNote de bas de page 15. La force de la présomption dépend des circonstances de chaque casNote de bas de page 16. Dans la décision Hernandez, le juge Denault précise que la présomption de vérité qui s’applique aux faits allégués par les demandeurs d’asile ne s’applique pas aux déductions qu’ils font en fonction de ces faitsNote de bas de page 17. Dans le même ordre d’idées, le juge McHaffie a écrit ce qui suit : « Toutefois, la présomption établie dans l’arrêt Maldonado est simplement qu’un témoin assermenté dit la vérité. Il ne s’agit pas d’une présomption selon laquelle tout ce que le témoin croit être vrai, mais dont il n’a aucune connaissance directe, est en fait vraiNote de bas de page 18. »

Un indicateur important de la crédibilité est la cohérence avec laquelle un témoin a raconté une histoire particulièreNote de bas de page 19. Dans son évaluation de la crédibilité, la Commission peut tenir compte des incohérences, contradictions et omissions dans les éléments de preuve, de connaissances spécialisées, de conclusions, des invraisemblances, des éléments de preuve documentaire et du comportement du demandeur d’asile.

Les conclusions de fait et, par conséquent, la décision quant à la crédibilité d’un demandeur d’asile sont fondées sur la prépondérance des probabilitésNote de bas de page 20.

1.2 Pertinence de la preuve relative aux conditions dans le pays

Comme l’a affirmé la Cour fédérale dans la décision OdetoyinboNote de bas de page 21, les tribunaux doivent évaluer la crainte présumée de persécution du demandeur d’asile ou le risque individualisé compte tenu de « ce qui est généralement connu quant aux conditions et aux lois dans le pays d’origine du demandeur, et des expériences de personnes se trouvant dans des situations semblables dans ce pays ». Autrement dit, dans son évaluation de la crédibilité d’un demandeur d’asile qui est exposé à un risque de persécution ou à un autre préjudice, la Commission doit tenir compte de la corroboration par la preuve documentaire objective de la situation dans le pays ou du traitement de certains groupes dans le pays dont il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il donne lieu à une crainte fondée de persécution ou d’exposition à un risque visé au paragraphe 97(1)Note de bas de page 22.

Même lorsque certaines prétentions du demandeur d’asile ne sont pas crédibles, par exemple en ce qui concerne son expérience de la persécution, la situation dans le pays pourrait néanmoins permettre de conclure à l’existence d’un risque futur pour le demandeur d’asile en raison de son appartenance à un groupe socialNote de bas de page 23 ou, en l’absence d’un lien avec un motif prévu par la Convention, en tant que personne dans une situation similaire à d’autres.

Bien que les éléments de preuve concernant la situation du pays soient un facteur à prendre en considération, dans la décision Oduro, le juge McKeown a fait remarquer que, lorsqu’il s’agit d’affaires mettant en cause le même pays, « [l]es conclusions relatives à la crédibilité ne sauraient être uniformesNote de bas de page 24 ». Autrement dit, la crédibilité de chaque demandeur d’asile doit être évaluée au cas par cas. La juge Simpson a fait siens les propos de son collègue en ajoutant que « la crédibilité ne se présume pas, et les commissaires doivent déterminer celle-ci dans chaque cas en fonction de la situation du demandeur et de la preuveNote de bas de page 25 ».

1.3 Bénéfice du doute

Le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugiéNote de bas de page 26 prévoit ce qui suit :

196. C’est un principe général de droit que la charge de la preuve incombe au demandeur. Cependant, il arrive souvent qu’un demandeur ne soit pas en mesure d’étayer ses déclarations par des preuves documentaires ou autres, et les cas où le demandeur peut fournir des preuves à l’appui de toutes ses déclarations sont l’exception bien plus que la règle. […] Cependant, même cette recherche indépendante peut n’être pas toujours couronnée de succès et il peut également y avoir des déclarations dont la preuve est impossible à administrer. En pareil cas, si le récit du demandeur paraît crédible, il faut lui accorder le bénéfice du doute, à moins que de bonnes raisons ne s’y opposent.

Ce principe a été analysé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Chan.Note de bas de page 27. La majorité a conclu que, lorsque les allégations du demandeur sont en contradiction avec la preuve disponible et des faits notoires, il ne convient pas d’appliquer le bénéfice du doute pour établir la demande. Pour en arriver à cette conclusion, la majorité a déclaré :

Mon collègue le juge La Forest affirme qu’aucune conclusion ne peut être tirée des différents éléments de preuve et que, relativement à chacun de ces éléments, il faut accorder [au demandeur] le bénéfice du doute, souvent en prenant en considération des hypothèses susceptibles d’appuyer sa revendication. Cette méthode empêche l’organisme chargé de statuer sur la revendication du statut de réfugié de s’acquitter de sa tâche, qui est de tirer des conclusions raisonnables sur le fondement de la preuve qui lui est soumise. Elle est en outre fondamentalement incompatible avec le concept de « bénéfice du doute » expliqué dans le Guide du HCR :

204. Néanmoins, le bénéfice du doute ne doit être donné que lorsque tous les éléments de preuve disponibles ont été réunis et vérifiés et lorsque l’examinateur est convaincu de manière générale de la crédibilité du demandeur. Les déclarations du demandeur doivent être cohérentes et plausibles, et ne pas être en contradiction avec des faits notoires. [souligné dans l’original.]

Le juge Major, parlant au nom des juges majoritaires, a ensuite analysé les éléments de preuve, mettant en contraste le témoignage de l’appelant et la preuve documentaire (au para 145) :

Puisque la prétention de l’appelant qu’il serait contraint physiquement à se faire stériliser est en contradiction avec la preuve disponible et les faits notoires, il ne convient pas, en l’espèce, d’accorder à l’appelant le bénéfice du doute et ainsi conclure au bien‑fondé de sa revendication.

Toutefois, les juges dissidents ont déclaré (au para 56) que le récit de l’appelant ne contredisait pas les éléments de preuve disponibles et le portrait factuel notoire. Par conséquent, selon eux, il était approprié d’accorder le bénéfice du doute :

La version des faits donnée par l’appelant concorde de façon si étroite avec les faits notoires relatifs à la mise en œuvre de la politique démographique de la Chine que, vu l’absence de conclusions défavorables quant à la crédibilité de l’appelant ou de la preuve qu’il a présentée, il est clair, selon moi, qu’il y a lieu d’accorder à sa version des faits -- par ailleurs tout à fait plausible --​ le bénéfice de tout doute qui pourrait exister. Avec égards, j’estime non fondée la méthode qu’ont appliquée certains membres de la Cour d’appel fédérale et mon collègue le juge Major en considérant isolément des passages du témoignage de l’appelant. De fait, je suis d’avis qu’une telle méthode est contraire aux lignes directrices du Guide du HCNUR (voir le paragraphe 201).

Le bénéfice du doute ne s’applique pas dans les cas où, comme dans la décision Hidalgo CarranzaNote de bas de page 28, la Commission conclut, à juste titre, que le récit du demandeur d’asile est peu probable.

1.4 Avis au témoin

La Cour fédérale a statué que la question de la crédibilité se pose toujours à l’audition des demandes d’asile et qu’aucun avis particulier ne doit être donné au demandeur d’asileNote de bas de page 29. Toutefois, la Commission peut soulever la question de la crédibilité à tout moment au cours de l’audience. La SPR doit le faire en termes clairs et donner au demandeur d’asile l’occasion d’y répondreNote de bas de page 30.

La justice naturelle veut que les demandeurs d’asile comprennent les arguments à l’égard desquels ils sont appelés à opposer une défense. Par conséquent, si un décideur donne l’impression à un demandeur d’asile qu’une question, par exemple celle de la crédibilité, est résolue, il s’agit d’un déni de justice naturelle que de rejeter subséquemment la demande d’asile en se fondant principalement sur cette question. C’est la situation relatée dans l’affaire VelautharNote de bas de page 31, où la SSR a déclaré que la seule question à trancher était celle de savoir si le préjudice que craignaient les demandeurs d’asile constitue de la persécution pour un motif prévu dans la Convention. Elle a demandé et reçu des observations sur cette question, mais a ensuite rendu une décision en se fondant sur la crédibilité. La Cour d’appel a conclu qu’il y a eu un « grave déni de justice naturelle » et a souligné que, « [à] cause d’une décision délibérée du président de l’audience, à laquelle son collègue a acquiescé, les appelants ont été privés de l’occasion de connaître les arguments qu’on allait faire valoir contre eux et d’y répondre ».

Les circonstances dans l’affaire ButtNote de bas de page 32 servent de mise en garde contre la prise de position voulant que la crédibilité soit toujours un point litigieux dans une revendication du statut de réfugié. Dans cette affaire, la SSR a indiqué que la crédibilité était un point litigieux dès le début de l’audience, mais, selon la conseil, lorsque celle-ci a demandé au tribunal de lui fournir une liste des points litigieux non réglés au sujet desquels elle était censée présenter des observations écrites, la crédibilité n’y figurait pas. Au moment de présenter ses observations, la conseil a clairement déclaré qu’elle avait cru comprendre que la crédibilité n’était pas un point litigieux. Elle n’a reçu aucune réponse, mais, quelque trois mois plus tard, le tribunal a rendu sa décision et la crédibilité était le point sur lequel il l’avait fondée. Le juge MacKay a affirmé que les circonstances étaient clairement comparables à celle de l’affaire Velauthar :

10. À mon avis, le défaut du tribunal d’indiquer que la crédibilité était un point litigieux lorsqu’il a, à la demande de l’avocate, énuméré les points au sujet desquels des observations devraient être faites a entraîné un déni de justice naturelle vu la décision du tribunal que la preuve des requérants n’était pas digne de foi. Dans les circonstances, les requérants n’ont pas eu la possibilité de débattre la question fondamentale sur laquelle le tribunal a fait reposer sa décision.

La décision PereraNote de bas de page 33 est une autre affaire que la Cour a estimée comparable à l’affaire Velauthar, bien que la Commission n’ait pas expressément spécifié les points litigieux que le conseil devait aborder dans ses observations. Toutefois, la Commission a commis une erreur en donnant une fausse impression au demandeur d’asile au cours de l’audience en lui laissant croire qu’elle acceptait son témoignage et en contestant ensuite sa crédibilité sur le fondement de ce témoignage.

De même, dans la décision Sivamoorthy, le juge Russell a conclu que les affaires Perera et Velauthar étaient directement applicables. Il a conclu que les commentaires de la Commission avaient eu pour effet d’induire en erreur : « La Commission a dénié la justice naturelle à la demanderesse, en l’amenant à croire que la question de son identité était résolue, pour ensuite opposer un refus à sa revendication en se fondant principalement sur cette questionNote de bas de page 34. »

Dans la décision Okwagbe, le juge Zinn a exprimé brièvement le principe à tirer de la jurisprudence : « Lorsque le demandeur ne présente pas d’observations relativement à une question parce que le tribunal lui a dit, expressément ou non, que cela n’était pas nécessaire, celui‑ci manque aux principes de justice naturelle à l’égard du demandeur s’il fonde sa décision sur cette questionNote de bas de page 35. » [soulignement ajouté]

Dans la décision ZhangNote de bas de page 36, la juge Kane a conclu que la SAR avait omis de tenir compte de la jurisprudence établissant que dans les cas où la SPR indique qu’il n’est pas nécessaire pour le demandeur de traiter d’une certaine question dans ses observations, elle manque à son obligation d’équité procédurale si elle se fonde par la suite sur cette question pour rendre sa décision. La SAR a commis une erreur en ne cherchant pas à savoir si, en l’espèce, la SPR avait donné l’impression qu’il y aurait lieu d’examiner seulement certaines questions et qu’il n’y avait donc pas lieu d’en examiner d’autres.

En ce qui concerne l’obligation pour la SAR de soulever les questions à trancher entourant la crédibilité, les commissaires sont tenus d’en prévenir les parties et de leur donner la possibilité de répondre aux questions concernant la crédibilité qui n’ont pas été soulevées par la SPR ou dans le dossier d’appelNote de bas de page 37. Le défaut de donner avis risque d’entraîner un manquement aux principes de l’équité procédurale. Toutefois, lorsque les questions relatives à la crédibilité soulevées et examinées par la SAR sont liées aux observations des parties ou aux conclusions de la SPR, il est loisible à la SAR d’évaluer la preuve de manière indépendante et de tirer de nouvelles conclusions en matière de crédibilitéNote de bas de page 38.

1.5 Témoins et examen des documents

Le demandeur d’asile doit avoir la possibilité de produire des éléments de preuve et d’interroger des témoinsNote de bas de page 39. Lorsque la Commission rejette une demande d’asile parce qu’elle doute que certaines allégations qui sont au cœur de la demande d’asile aient été prouvées, le demandeur d’asile doit avoir l'occasion de présenter des preuves concernant ces allégationsNote de bas de page 40.

Pour faire comparaître un témoin, la partie transmet par écrit à l’autre partie et à la SPR les renseignements énoncés au paragraphe 44(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés. Si la partie ne transmet pas les renseignements concernant un témoin, ce dernier ne peut témoigner à l’audience à moins que la SPR l’y autoriseNote de bas de page 41. La Commission a le pouvoir discrétionnaire d’autoriser ou non la comparution de témoins lorsque la demande n’a pas été présentée dans les délais prévus ou conformément à l’article 44Note de bas de page 42.

Les règles des quatre sections prévoient toutes une disposition permettant de demander une citation à comparaître si une partie souhaite que la Section ordonne à une personne de témoigner à l’audience. Cependant, la Commission n’est pas tenue de faire comparaître un témoin au nom d’une partie ou de délivrer une citation à comparaître sur demande. Dans la décision Zaloshnja, la juge Tremblay-Lamer n’était pas d’accord pour dire que la Commission a mal exercé son pouvoir discrétionnaire en refusant de demander que l’agent d’immigration présent au point d’entrée soit assigné afin d’être contre-interrogé :

La Section du statut de réfugié n’avait aucunement le devoir de citer l’agent d’immigration. Si la demanderesse croyait que contre-interroger l’agent aiderait sa cause, il lui appartenait de le citer à comparaître comme témoin. Le paragraphe 25(1) des Règles de la section du statut de réfugié [maintenant le paragraphe 45(1) des Règles de la SPR] dit précisément que le demandeur doit déposer sa demande par écrit s’il désire assigner un témoin. Le fardeau de la preuve incombe aux demandeurs lorsqu’il s’agit d’étoffer leurs demandes, d’obtenir des éléments de preuve et d’assigner les témoins dont ils ont besoinNote de bas de page 43.

Le droit de présenter des preuves supplémentaires n’est pas absoluNote de bas de page 44. Même s’il est préférable qu’elle entende la preuve dans certains cas, la Commission ne commet pas d’erreur lorsqu’elle refuse d’entendre un témoin qui ne pourrait clarifier des préoccupations au sujet d’éléments importants du récit du demandeur d’asile (par exemple, le défaut de fournir certains renseignements dans le Formulaire de renseignements personnels, les notes prises au point d’entrée ou l’identité du demandeur d’asile) ou dont la déposition porterait sur des éléments qui ne sont pas en causeNote de bas de page 45. Par ailleurs, il n’incombe pas à la Commission d’aviser un demandeur d’asile qu’elle ne juge pas convaincante la déposition du témoin du demandeur d’asileNote de bas de page 46.

La SPR devrait accéder à toute demande raisonnable du demandeur d’asile de permettre à ses propres experts d’examiner des documents dont l’authenticité est contestée par des agents canadiensNote de bas de page 47.

1.6 Décisions interlocutoires sur la crédibilité

Il incombe au demandeur d’asile d’établir le bien-fondé de sa demande d’asile par des éléments de preuve dignes de foi. Alors que la Commission devrait accorder aux demandeurs d’asile la possibilité d’éclaircir toute contradiction ou incohérence apparente dans leur témoignage sur laquelle elle a l’intention de s’appuyer, la Commission n’est pas tenue d’informer le demandeur d’asile des conclusions concernant la crédibilité générale des éléments de preuve, le caractère suffisant de la preuve ou l’invraisemblance du récit avant de rendre sa décision définitiveNote de bas de page 48. La Cour fédérale a souligné que cette façon de procéder n’est pas recommandée ni acceptableNote de bas de page 49.

1.7 Conclusions sur la crédibilité justifiées par la preuve

Toute conclusion défavorable quant à la crédibilité doit être justifiée par la preuve. La Commission commet une erreur si elle interprète mal la preuve dont elle a été saisieNote de bas de page 50, se méprend sur cette preuve ou n’en tient pas compteNote de bas de page 51 ou si elle fonde ses conclusions sur des hypothèsesNote de bas de page 52, des conjecturesNote de bas de page 53 ou sur un raisonnement circulaireNote de bas de page 54.

Si la SPR tire une conclusion de fait sur laquelle repose de manière substantielle une conclusion d’absence de crédibilité qui ne tient pas compte de la preuve, sa décision sera généralement infirméeNote de bas de page 55. La Commission doit voir à respecter le témoignage du demandeur d’asile; elle ne peut pas fausser ce témoignage et, par la suite, en tirer une conclusion d’absence de crédibilitéNote de bas de page 56.

La Cour fédérale n’interviendra pas dans la décision de la Commission si cette dernière était saisie d’éléments de preuve qui, dans l’ensemble, justifiaient son évaluation défavorable de la crédibilité, si ses conclusions étaient raisonnables compte tenu des éléments de preuve et si elle a tiré des conclusions raisonnables à partir de ceux-ciNote de bas de page 57.

Lorsque la décision contestée de la Commission se rapporte à la crédibilité d’un témoin, la Cour hésitera à modifier cette décision étant donné la possibilité ainsi que la capacité du tribunal d’évaluer le témoin, son comportement, sa franchise, son aptitude à répondre et sa cohérence dans un témoignage oral rendu devant ce tribunalNote de bas de page 58. Pour ce qui est de la SAR, qui ne tient généralement pas d’audience, une décision de la SAR citée dans l’affaire PayeNote de bas de page 59 souligne que la SAR ne se trouve tout simplement pas dans la même situation que celle de la SPR pour évaluer le comportement. La Cour a conclu que, même si dans la décision Paye il était approprié que la SAR accorde une déférence aux conclusions de la SPR, la déférence n’est pas automatique dans tous les cas où la crédibilité de l’appelant est remise en question. En ce qui concerne les conclusions d’invraisemblance, par exemple, la SPR n’a, dans la plupart des cas, aucun véritable avantage sur la SAR.

1.8 Évaluation des déclarations d’un témoin

Le décideur tient habituellement compte de l’intégrité et de l’intelligence du témoin ainsi que de l’exactitude générale des déclarations de ce dernier. Le sens de l’observation du témoin et sa capacité à se rappeler sont des facteurs importants. On évalue généralement si le témoin s’efforce honnêtement de dire la vérité, c’est-à-dire s’il semble franc et sincère ou plutôt partial, réticent et évasif. La Cour a prévenu qu’une demande d’asile n’est pas un test de mémoireNote de bas de page 60.

Dans la décision MagonzaNote de bas de page 61, le juge Grammond écrit qu’il existe deux aspects permettant d’apprécier la crédibilité du témoignage d’un témoin : l’honnêteté et la précision. Les facteurs qui sont fréquemment employés pour apprécier la crédibilité peuvent avoir trait à l’un ou l’autre, mais ils concernent le plus souvent ces deux aspects à la fois. Voici certains de ces facteurs :

  • La capacité du témoin d’observer les faits;
  • La capacité du témoin de se souvenir des faits;
  • La cohérence intrinsèque du témoignage et sa cohérence par rapport aux déclarations antérieures du témoin;
  • La corroboration, c’est-à-dire la cohérence par rapport au témoignage d’autres témoins ou à la preuve écrite qui est elle-même jugée crédible;
  • La vraisemblance, c’est-à-dire la conformité du témoignage à l’expérience commune;
  • La partialité, l’intérêt et la motivation à mentir;
  • Le comportement du témoin à l’audience.

L’intérêt d’un témoin dans l’issue de l’instance est uniquement un élément pertinent à prendre en compte, parmi d’autres, dans l’évaluation de la crédibilité de son témoignage. Il faut tenir compte de tous les éléments pertinents lorsqu’on évalue la crédibilitéNote de bas de page 62. La Commission ne peut pas refuser de croire un témoignage pour le seul motif que le témoin ou les éléments de preuve sont intéressésNote de bas de page 63. Les tribunaux ont critiqué à maintes reprises le rejet catégorique des éléments de preuve à l’appui de la crédibilité présentés par un membre de la famille ou par des personnes par ailleurs étroitement liées au demandeur d’asile, puisqu’il peut s’agir là des personnes les mieux placées pour fournir des éléments de preuve de première main relatifs à la demande d’asileNote de bas de page 64.

1.9 Conclusions claires sur la crédibilité

La Cour fédérale a rappelé à maintes reprises à la Commission que, lorsqu’elle rejette une demande d’asile en raison essentiellement du manque de crédibilité, elle doit fournir des motifs clairs. Les parties du témoignage qui paraissent ne pas être crédibles doivent être clairement indiquées et il faut exposer explicitement les motifs de cette conclusionNote de bas de page 65.

Lorsque la Commission ne tire pas une conclusion claire d’absence de crédibilité à l’égard du demandeur d’asile, le témoignage de ce dernier est réputé constituer les conclusions de fait de la CommissionNote de bas de page 66.

1.10 Motifs adéquats

La Commission est tenue de justifier ses conclusions en matière de crédibilité par des motifs transparents, intelligibles, intrinsèquement cohérents, fondés sur les éléments de preuve et reposant sur une analyse logiqueNote de bas de page 67.

Dans VIA Rail, la Cour d’appel fédérale a fourni une description pratique de ce qui constitue des motifs adéquats :

On ne s’acquitte pas de l’obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l’examen des facteurs pertinentsNote de bas de page 68.

Lorsqu’une décision repose sur la crédibilité, le tribunal doit exposer les motifs de sa conclusion, vu l’importance des questions qui sont en jeu dans une demande d’asileNote de bas de page 69.

Il n’est pas nécessaire que les motifs d’une décision soient exhaustifs; il suffit qu’ils soient compréhensibles. Les motifs doivent pouvoir expliquer aux parties et à la Cour la raison pour laquelle il a été parvenu à la décisionNote de bas de page 70.

La Commission a, envers le demandeur d’asile, l’obligation de fournir les motifs du rejet de sa demande du statut de réfugié pour cause de non-crédibilité, et ce, dans des « termes clairs et explicitesNote de bas de page 71 ». Il ne suffit pas de dire que la preuve n’est pas digne de foi, car cela crée alors une apparence d’arbitraireNote de bas de page 72.

Le fait de ne pas préciser les éléments de preuve retenus et ceux rejetés fait en sorte qu’il est impossible de savoir sur quel fondement la Commission a pris sa décisionNote de bas de page 73. La Commission doit préciser sans équivoque les passages qu’elle croit et ceux qu’elle ne croit pas et exposer les principaux éléments de preuve sur lesquels elle a fondé ces conclusionsNote de bas de page 74. Si la SPR ne croit qu’une partie du témoignage du demandeur d’asile, elle doit indiquer les parties qu’elle a rejetées et les raisons justifiant une telle décisionNote de bas de page 75. Qui plus est, lorsqu’elle rejette une partie d’une demande d’asile au motif de l’absence de crédibilité, la Commission doit expliquer les répercussions de ces conclusionsNote de bas de page 76.

L’évaluation d’une demande doit tenir compte de tous les éléments de preuve. Autrement dit, la Commission doit prendre en considération tous les éléments de preuves jugés crédibles, y compris les éléments de preuve documentaire. Dans la décision Joseph, le juge O’Reilly a affirmé que « [m]ême si le Tribunal conclut que certains éléments de preuve ne sont pas crédibles, il doit poursuivre son analyse pour déterminer s’il subsiste des éléments de preuve crédibles étayant le bien-fondé d’une crainte de persécutionNote de bas de page 77 ».

Dans la décision Manickan, la juge Dawson a déclaré ceci : « La jurisprudence de la Cour d’appel fédérale révèle qu’une conclusion d’absence de crédibilité n’empêche pas qu’une personne soit admise comme réfugiée si d’autres preuves satisfont à la fois à la composante subjective et à la composante objective du critère applicable à la reconnaissance du statut de réfugié.Note de bas de page 78 » Dans cette affaire, bien que la SPR n’ait pas cru les allégations de M. Manickan selon lesquelles il avait été persécuté dans le passé, elle a cru la preuve de son âge, de sa nationalité, de son ethnie et de son lieu de résidence habituel qui établissaient un lien entre lui et la preuve documentaire. Le contrôle judiciaire a été autorisé, car en n’examinant pas la preuve documentaire relativement au risque que couraient les Tamouls de sexe masculin comme M. Manickan, la SPR a rendu sa décision sans avoir analysé toute la preuve dont elle avait été saisie.

La Commission ne peut pas omettre de prendre en compte des éléments de preuve qui ne vont pas dans le sens de sa conclusion attaquant la crédibilité Note de bas de page 79. Les éléments de preuve importants qui contredisent la conclusion de la Commission doivent être analysés dans le cadre de la décision. Dans la décision Ortiz, par exemple, la Cour a statué que, devant une preuve corroborant pour l’essentiel les allégations principales de la demande d’asile, la SPR se devait d’y faire référence et de l’intégrer dans son analyseNote de bas de page 80.

Les motifs conduisant à écarter la preuve ou à la juger non crédible doivent être exposés clairement et faire état de la preuve en termes clairs et non équivoques. Cela comporte habituellement l’obligation de fournir des exemples des motifs (par exemple, contradictions, incohérences, invraisemblances) pour lesquels le témoignage n’est pas admis et d’expliquer leur incidence (de quelle façon et pour quelle raison) sur la crédibilité du demandeur. Le tribunal n’est pas tenu d’énumérer chacune des incohérences à condition qu’il fournisse des exemples précisNote de bas de page 81. Toutefois, l’analyse de la Commission doit répondre aux arguments principaux du demandeur d’asile qui vont à l’encontre de la conclusion de la Commission. Lorsque le demandeur d’asile présente des explications aux incohérences soulevées dans les éléments de preuve, la Commission est tenue d’expliquer la raison pour laquelle elle rejette ces explicationsNote de bas de page 82.

Des déclarations ambiguës qui ne constituent pas un rejet catégorique du témoignage du demandeur d’asile, mais qui semblent permettre de « douter de la crédibilité » de ce dernier ne sont pas suffisantes pour écarter le témoignageNote de bas de page 83. La Cour fédérale a déclaré que les motifs étayant une conclusion défavorable en matière de crédibilité ne sont pas adéquats lorsqu’ils sont fondés sur une logique fautive ou circulaireNote de bas de page 84, sur des questions secondairesNote de bas de page 85, sur un examen à la loupe des éléments de preuveNote de bas de page 86 ou sur des hypothèsesNote de bas de page 87. Comme l’a souligné la Cour d’appel dans l’affaire Hilo, lorsque la Commission sème le doute quant à la crédibilité de l’appelant puis que, un paragraphe plus loin, elle conclut que son témoignage est suffisamment crédible pour qu’elle s’y fonde afin d’écarter un aspect de la demande d’asile, la Commission devrait être cohérente dans sa façon de traiter les divers éléments de la déposition du demandeur d’asile. Par exemple, elle ne devrait pas utiliser des passages jugés non dignes de foi comme prémisse (fondement factuel) pour juger le demandeur d’asile non crédible sur d’autres aspects de son témoignageNote de bas de page 88.

1.11 Considérations lors de l’appel et du contrôle judiciaire

En règle générale, la SAR révise les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte; la SAR effectue sa propre analyse du dossier, en fonction des arguments en appel, afin d’établir si la SPR a commis une erreurNote de bas de page 89. Si une erreur a été commise, la SAR peut confirmer la décision de la SPR sur un autre fondement. La SAR peut aussi casser une décision et y substituer la sienne eu égard à une demande d’asile, sauf si elle conclut qu’elle ne peut y arriver sans examiner les éléments de preuve présentés à la SPRNote de bas de page 90.

La SAR peut toutefois s’en remettre à la SPR en ce qui concerne les conclusions en matière de crédibilité si la SPR a un avantage certainNote de bas de page 91.

La Cour fait preuve d’une très grande retenue judiciaire en ce qui a trait aux conclusions de la Commission en matière de crédibilitéNote de bas de page 92. La Cour reconnaît que les commissaires ont la possibilité d’observer les témoins directement et sont les mieux placés pour statuer sur la crédibilitéNote de bas de page 93. Ce n’est pas le rôle de la Cour fédérale, lors du contrôle judiciaire, de substituer sa propre décision à celle de la Commission, même si elle aurait pu en arriver à une autre conclusionNote de bas de page 94.

2. Problèmes particuliers

Un examen de la jurisprudence de la Cour fédérale révèle que les commissaires se heurtent à certaines grandes difficultés dans l'évaluation de la crédibilité des demandeurs ou des autres témoins.

2.1 Considerer l'ensemble de la preuve

2.1.1 Examen de l'ensemble de la preuve

La Cour fédérale a clairement établi dans de nombreuses décisions que, dans l'évaluation de la crédibilité d’un demandeur, il importe de se rappeler que ce sont tous les éléments de la preuve pertinents, orale et documentaire, qui doivent être pris en considération et appréciés, et non certains d'entre eux seulementNote de bas de page 95.

Il en est de même en ce qui a trait à la détermination des motifs de persécution ou de la disposition de la LIPR applicables, pour lesquelles la SPR doit tenir compte de l’ensemble de la preuve disponible au soutien d’une demande, même si certains motifs ne sont pas clairement mis en évidence par un demandeur et même si un autre aspect de la demande a été jugé non crédible.

Dans DuversinNote de bas de page 96, la Cour fédérale a rappelé que selon la Cour suprême dans Ward, « [il] n’incombe pas au demandeur d’identifier les motifs de persécution. Il incombe à l’examinateur de déterminer si les conditions de la définition figurant dans la Convention sont remplies ». Les demandeures ayant indiqué dans leurs formulaires FDA qu’elles craignaient être enlevées, violées, et tuées par les adversaires politiques et avaient produit une preuve documentaire fiable qui démontrait que les femmes haïtiennes font régulièrement face à de la violence sexuelle, la Cour était d’avis que la SPR a omis de compléter son analyse afin de déterminer si le risque d’enlèvement et de viol constituait une possibilité sérieuse de persécution fondée sur le sexe. Cette analyse sous l’article 96 de la LIPR devait être distincte de celle qui permettrait à la SPR de rejeter, pour faute de crédibilité, la demande d’asile fondée sur l’article 97 de la même loi.

Dans BainsNote de bas de page 97 la Cour a clairement indiqué qu’une analyse complète de la preuve comprendrait une analyse de la situation dans le pays d'origine du demandeur ainsi que du vécu des personnes qui se trouvent dans une situation analogue dans le même pays.

L'évaluation de tous les éléments de preuve pertinents suppose que ces éléments doivent être appréciés ensemble et non certains d'entre eux isolément du reste de la preuve. Ainsi, ils devraient être traités de manière cohérenteNote de bas de page 98.

La Cour fédérale a insisté sur l'importance de ne pas uniquement concentrer l'attention sur les exagérations ou de ne pas ignorer les éléments de preuve qui ne sont pas favorables au demandeur. Cela signifie que le tribunal ne doit pas se contenter de chercher dans la preuve les contradictions ou les éléments qui ne sont pas crédibles pour « monter un dossier » nuisible à la crédibilité du demandeur et ne pas tenir compte d'autres éléments de la demandeNote de bas de page 99.

La Cour a également insisté sur l’importance de ne pas adopter un « raisonnement circulaire » dans l’évaluation de la crédibilité, par exemple en écartant la preuve documentaire à l’appui de la demande sur la seule base d’une conclusion de manque de crédibilité du témoignage, sans avoir autrement tenu compte de cette preuve dans l’analyse, particulièrement lorsque les documents sont indépendants ou fiables.

Par exemple, dans GeorgeNote de bas de page 100, la Cour remarque que la SPR n’a accordé aucune valeur probante aux autres documents corroborants, « compte tenu du manque de crédibilité générale du demandeur, sans en traiter plus avant, à part en faire mention dans une liste » et que, ce faisant, elle s’est livrée au raisonnement reconnu comme déraisonnable dans les décisions Chen et Momanyi, c’est à dire adopter une conclusion sur la crédibilité sans examiner en détail les éléments de preuve et rejeter ensuite ces derniers sur le fondement de sa conclusion antérieure relative à la crédibilité. En outre, la SPR n'a pas indiqué comment la crédibilité de M. George a affecté celle des autres témoins, y compris les membres de sa famille et ses amis et même des tierces personnes telles que la propriétaire de la garderie et un employé n'ayant aucun intérêt dans le résultat qui ont décrit la tentative d'enlèvement de la fille de M. George. [soulignement ajouté]

Il est bien établi en droit que la Commission n’est pas tenue de faire mention de chaque élément de preuve et de chaque argument avancéNote de bas de page 101. Toutefois, ne pas faire mention d’un élément de preuve relatif à un point crucial, ou d’un élément de preuve qui est en contradiction avec les conclusions de la Commission sur un tel point, peut constituer une erreur susceptible de contrôleNote de bas de page 102.

Règle générale, il est seulement nécessaire de faire explicitement mention des éléments de preuve directement liés à la question examinée. Il est particulièrement important de mentionner et de tenir compte spécifiquement des éléments de preuve qui vont ou pourraient sembler aller à l'encontre de la conclusion tiréeNote de bas de page 103.

Donc, la Commission ne doit pas faire mention de certains éléments de preuve qui appuient ses conclusions, sans faire mention de preuves du contraire. Par exemple, dans Haramicheal, la Cour mentionne :

De toute évidence, la SAR n’est pas tenue de mentionner ou d’analyser l’ensemble des éléments de preuve, mais l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle ait examiné le seul élément qui corrobore le récit de la demanderesse. Le dossier comprend un reçu attestant le paiement d’une caution de 2000 birrs, émis le 13 janvier 2015, ce qui concorde avec le retour de la demanderesse en Éthiopie. Je constate que la SPR et la SAR ne mentionnent nulle part l’élément de preuve corroborant la détention. Même si ce document ne dissipe pas à lui seul tous les doutes soulevés quant à la crédibilité, il reste qu’il aurait dû être pris en compte. Comme je l’ai indiqué dans la décision Teklewariat le défaut de mentionner un élément de preuve essentiel, quel qu’il soit, soulève toujours des doutes. La Cour ne peut pas spéculer sur l’incidence qu’aurait pu avoir l’élément de preuve en cause sur les conclusions de crédibilité de la SARNote de bas de page 104. [soulignement ajouté, renvoi omis]

Dans Calderon, la Cour souligne que les explications du demandeur font partie des éléments de preuve :

Il est bien établi en droit que la SPR ne peut pas tirer de conclusions défavorables relativement à la crédibilité tout en laissant de côté le témoignage produit par le demandeur pour expliquer d’apparentes contradictions […]. Dans de telles situations, la Cour sera encline à conclure que la SPR a tiré une conclusion de fait erronée […]. Cependant, il convient de souligner qu’il incombe au demandeur d’établir que de tels éléments de preuve n’ont pas été pris en compteNote de bas de page 105. [renvois omis]

Quant à la preuve documentaire, dépendamment de sa nature et de sa valeur probante, il peut arriver que la Cour fédérale juge que, dans les cas où le tribunal conclut à l'absence de crédibilité de la demande d'asile et notamment des faits précis dont il est fait état dans certains documents personnels, il ne commet pas d'erreur s'il n'explique pas pourquoi il n'a pas ajouté foi aux documents censés étayer les allégations jugées non crédiblesNote de bas de page 106.

On peut présumer que le tribunal a tenu compte de l'ensemble des éléments pertinents de preuve, qu'elle en ait ou non fait mention dans ses motifs, à moins de preuve du contraireNote de bas de page 107, comme, par exemple, lorsqu’il ressort clairement de la décision qu’un élément essentiel de la demande d’asile n’a pas été traité, du moins implicitement.

En l’absence d’une preuve claire établissant que la SPR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents et importants, la conclusion relative à la crédibilité doit être maintenue. Comme dit la Cour dans Gomez Florez :

Par ailleurs, le fait qu’un élément de preuve ne soit pas traité expressément dans une décision ne la rend pas déraisonnable lorsque les motifs sont suffisants pour évaluer le raisonnement du tribunal. […] La SPR est présumée avoir soupesé et examiné l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée, à moins que le contraire ne soit établi. […] Ce n’est que lorsqu’un tribunal passe sous silence des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions de façon claire que la Cour peut intervenir et inférer que le tribunal n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait….Note de bas de page 108 [renvois omis]

Ainsi, même si le tribunal ne fait pas mention de tous les éléments de preuve dans ses motifs de décision, il ne faut pas en conclure que le tribunal n'a pas tenu compte de certains éléments de preuve si, à l'examen des motifs, il ressort que le tribunal a effectivement pris en compte l'ensemble de la preuve.

Dans les cas où le tribunal conclut à l’absence de minimum de fondement, il est préférable d’analyser spécifiquement chaque élément de preuve au dossier afin de déterminer s’il y en a un qui est digne de foi et crédible, sur lequel une décision favorable aurait pu être fondée. Toutefois, dans certains cas, dont MoiseNote de bas de page 109, la conclusion d’absence de minimum de fondement a été maintenue par la Cour comme raisonnable malgré que certains éléments de preuve n’aient pas été spécifiquement analysés.

En somme, la Commission n’est généralement pas tenue de faire mention de tous les éléments de preuve dans ses motifs de décision et les analyser. Toutefois, plus la preuve est pertinente, plus les tribunaux supérieurs seront portés à conclure à une erreur si aucune mention de cette preuve n'est faite dans l'analyseNote de bas de page 110. Ainsi, une présomption existe à l'effet que le tribunal a soupesé chaque élément de preuve mais une obligation demeure, soit celle de faire mention des éléments de preuve importants justifiant la décision du tribunal.

2.1.2 Évaluation de la preuve jugée crédible

Même s'il y a des incohérences et des exagérations, le tribunal doit évaluer les éléments de preuve qui sont crédibles et statuer sur la demande en fonction de l'ensemble de la preuve jugée crédibleNote de bas de page 111. Par exemple, le juge Mandamin dans Lappen,Note de bas de page 112 estime que la Commission a erré quand elle s’est arrêtée après avoir conclu que le demandeur n’était pas crédible. Elle aurait dû plutôt examiner le profil du demandeur à la lumière de la preuve sur la situation dans son pays. Il mentionne au paragraphe 27 :

La Cour déjà reconnu qu’il peut y avoir des situations où le demandeur d’asile, dont l’identité n’est pas contestée, est jugé non crédible relativement à sa crainte subjective de persécution, mais où ‘les conditions dans le pays sont telles que la situation individuelle du revendicateur fait de lui une personne à protéger.’ [soulignement ajouté, renvois omis]

En d'autres termes, le rejet, en tout ou en partie, d'un témoignage jugé peu crédible n'entraîne pas nécessairement le rejet de la demande ; il faut quand même évaluer la demande d'après les éléments de preuve jugés véridiques, notamment les documents relatifs à la situation du demandeur et la preuve relative à des personnes qui se trouvent dans une situation analogueNote de bas de page 113.

Dans une décision qui traite d'une situation inhabituelle où un demandeur a choisi de ne pas témoigner, la Cour a statué que le défaut de témoigner du demandeur ne permet pas à la SPR de rejeter la demande sans d'abord apprécier les autres éléments de preuveNote de bas de page 114.

2.1.3 Conclusion de manque de crédibilité générale

Il est possible de conclure que le témoignage du demandeur dans son ensemble n'est pas crédible. Par exemple, dans l’affaire KinfeNote de bas de page 115, la Cour estime que les contradictions relevées dans le témoignage du demandeur touchaient au cœur même de l’identité et de la nationalité du demandeur et constituaient un fondement suffisant pour mettre en doute sa crédibilité générale.

Toutefois, même une conclusion générale de manque de crédibilité ne suffit pas pour rejeter une demande d’asile si le dossier « comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeurNote de bas de page 116. »

Dans certains cas, la preuve contradictoire du demandeur peut mettre en doute l'ensemble de son témoignage donné de vive voixNote de bas de page 117. Il n'en est pas toujours ainsi, surtout lorsque les conclusions d'absence de crédibilité du tribunal ne se rapportent pas clairement aux questions déterminantes. (voir les sections 2.2.1. Pertinence, 2.2.2. Importance et 2.2.3. Contradictions, divergences et omissions).

La Cour dans Lubana a prévenu que ce n’est pas toute incohérence ou invraisemblance qui justifie une conclusion défavorable sur la crédibilité en général. La Commission ne doit pas tirer ses conclusions après avoir examiné « à la loupe » des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la revendication du demandeur.

La Cour a statué en particulier que le fait qu'un revendicateur voyage avec de faux documents, détruit ses documents de voyage ou ment à leur sujet à son arrivée sur les instructions d'un agent est accessoire et a une valeur très limitée aux fins de l'évaluation de la crédibilité en général . . . .Note de bas de page 118 [soulignement ajouté, renvois omis]

Lorsqu'il est impossible de conclure à l'absence totale de crédibilité, il faut examiner les éléments de preuve crédibles ou dignes de foi qui restent pour déterminer s'ils permettent de fonder une décision positiveNote de bas de page 119. (Voir aussi la section 2.1.2. Évaluation de la preuve jugée crédible)

2.1.4 Demandes d'asile jointes et associées

En cas de jonction d'instances, la conclusion d'absence de crédibilité de la preuve et du témoignage d'un demandeur pourrait nuire au cas d'un autre demandeur, lorsque les demandes jointes se rapportent au même événement ou que l'une des demandes repose sur l'autre. Par exemple, dans l’affaire Botello, le commissaire a rejeté les demandes de tous les cinq membres d'une famille comprenant le père, la mère et leurs trois enfants mineurs. Le commissaire trouvait que le demandeur d’asile principal, le père, n’était pas un témoin crédible. Les enfants n’ont pas présenté de demandes distinctes. Le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de chaque enfant renvoyait seulement au FRP de leur père : « Voir le récit circonstancié qui se trouve dans le FRP de mon père. » Les enfants n’ont pas assisté à l’audience, et leur mère, chargée de protéger leurs intérêts, n’a fait aucune observation particulière à leur sujet. La Cour conclut que le commissaire n’a commis aucune erreur en ce qui concerne la façon dont la demande des enfants a été examinée :

Les circonstances en l’espèce étaient très différentes de celles décrites par le juge Kelen dans ses motifs de la décision Gonsalves v. Canada (MCI), 2008 FC 844, paragraphes 27 à 29, décision sur laquelle l’avocate des demandeurs s’est fondée. Dans cette décision, le juge Kelen a pris soin de mentionner qu’qu’il y avait une preuve considérable corroborant les mauvais traitements et les préjudices subis par les enfants, dont une menace d’agression sexuelleNote de bas de page 120. [soulignement ajouté]

Lorsque les demandes sont jointes, les éléments de preuve produits par les demandeurs s’appliquent à eux tous. Dans Akanniolu, les demandes d’asile des trois membres d’une même famille du Nigéria, étaient fondées sur des menaces découlant de l’emploi de la demandeure principale au sein d’un organisme qui fait la promotion de la protection des femmes et des filles contre l’exploitation sexuelle. La SPR était d’avis que les documents présentés à l’appui de la demande d’asile des demandeurs (à savoir qu’ils étaient victimes de persécution et faisaient l’objet de menaces en raison du travail de la demandeure principale) étaient peu crédibles. Dans leur appel à la SAR, les demandeurs ont fait valoir qu’ils ne devraient pas être concernés par les conclusions de la SPR et de la SAR quant à l’élément de preuve fourni par la demandeure principale. Les demandeurs ont avancé que cet élément de preuve pourrait être considéré comme extrinsèque au regard du demandeur et du demandeur mineur, et que ceux-ci auraient dû avoir la possibilité de répondre aux préoccupations de la SPR au sujet de l’élément de preuve en question. La Cour a répondu à cet argument ainsi :

Je ne partage aucunement cet avis. L’argument est fondé sur une mauvaise compréhension de l’élément de preuve extrinsèque. En outre, il ne tient pas compte du fait que le demandeur et le demandeur mineur s’appuient sur le même exposé des faits et sur les mêmes éléments de preuve que la demanderesse principale; ils ont présenté des demandes conjointes. De plus, le demandeur a produit un affidavit relatant la même violation de domicile alléguée. Les éléments de preuve produits par les demandeurs s’appliquent à eux tous. Il ne s’agit donc pas d’éléments de preuve extrinsèques. Les demandeurs sont censés connaître le contenu de leurs propres éléments de preuve, et un décideur n’est pas tenu de porter ses préoccupations à l’attention des demandeurs ni de leur offrir la possibilité d’y répondreNote de bas de page 121. [soulignement ajouté]

Lorsque les demandes d'asile jointes reposent sur la même situation de fait, la conclusion que l'un des demandeurs est digne de foi aura normalement une incidence sur l'autre demandeurNote de bas de page 122.

Par contre, si l'un des demandeurs avance ses propres allégations de persécution ou que les demandes jointes comportent des éléments qui leurs sont propres, ceux-ci devront faire l'objet d'une analyse distincte. Voir, par exemple l’affaire God, où la Cour mentionne :

… [N]i la SPR ni la SAR n’ont tenu compte du fait que les deux demandes d’asile étaient indépendantes La SAR et la SPR n’ont pas examiné séparément les éléments de preuve présentés par Mme Houssein, présumés crédibles en l’absence d’une conclusion expresse quant au contraire. […] Dans le cas présent, Mme Houssein a présenté une demande d’asile distincte. Bien que le récit de Mme Houssein soit en de nombreux points semblable à celui de son mari, il n’est pas identique. Plusieurs des événements qu’elle a relatés sont des événements qu’elle a elle-même vécus. Comme l’ont fait valoir les demandeurs, si M. God avait présenté une demande d’asile pour lui seul, il aurait été aisé de comprendre pourquoi il avait été débouté par la SPR et la SAR après avoir été jugé non crédible. Cependant, il est difficile de savoir si cette conclusion défavorable quant à la crédibilité aurait tout de même été tirée si le témoignage de Mme Houssein avait été jugé crédible. Après avoir examiné attentivement les décisions de la SPR et de la SAR, je conclus qu’aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité de Mme Houssein n’est formulée en termes clairs et explicites. La décision est donc irrémédiablement viciée à cet égard et doit être annuléeNote de bas de page 123. [soulignement ajouté]

Règle générale pour les demandes d’asile associées, la Commission n'est pas tenue de faire mention des décisions rendues par d'autres tribunaux, ni n'est liée par celles-ciNote de bas de page 124, et ce même lorsqu'elle examine les demandes d'asile de l’entourage d’un demandeur rendues par un autre commissaire de la même section. Gutierrez est un exemple de cas où le demandeur d'asile a voulu s'appuyer sur le fait qu'il avait des membres de la famille dont les demandes avaient été acceptées antérieurement. De l’avis de la Cour :

Selon moi, les arguments avancés par le demandeur selon lesquels la Commission était tenue de trancher sa demande conformément aux décisions favorables rendues pour ses parents et deux de ses frères et sœurs ne sont aucunement fondés. Chaque demande d’asile est tranchée selon des faits et des éléments de preuve qui lui sont propres. Voir Michel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 FC 159 au paragraphe 43. Il peut arriver, dans certains cas (surtout dans des situations familiales) que l’on invoque les mêmes faits. Il est donc sensé de statuer de la même façon à leur égard ou, à tout le moins, d’expliquer pourquoi ils ne doivent pas être tranchés de la même façon. Voir Mengesha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 FC 431 au paragraphe 5. Il ne s’agit toutefois pas de l’un de ces cas. Les faits dans le dossier du demandeur étaient très différents de ceux présentés par ses parents et ses frères et sœurs, même si on allègue le même agent de persécutionNote de bas de page 125. [soulignement ajouté]

La Cour dans Uygur mentionne une autre raison pour laquelle le fait qu’un autre demandeur ait obtenu l’asile en raison d’une expérience semblable ne doit pas lier la Commission : « En outre, des décisions antérieures, même celles concernant des membres de la famille, peuvent être erronéesNote de bas de page 126.

Donc, si elle est saisie d'éléments de preuve pertinents concernant une demande associée (entendue séparément) qui peuvent soit appuyer la demande ou encore semer le doute quant à la crédibilité du demandeur, la Commission doit en tenir compte, et devrait expliquer sa décision de faire sienne ou d’écarter les conclusions tirées par un autre commissaire quant à des faits similairesNote de bas de page 127.

Dans Yeboah, la demande de contrôle judiciaire concerne une décision de la SAR qui confirmait la conclusion de la SPR rejetant la demande de l’époux de Mme Sarpong en raison d’un manque de crédibilité. Il prétendait avoir été persécuté par des membres de la famille de Mme Sarpong, qui l’accusaient d’avoir fait pression sur sa femme pour qu’elle décline le rôle de reine-mère. La Cour est d’avis que la SAR a commis une erreur susceptible de révision en omettant de prendre en considération correctement la décision de la SPR ayant accueilli la demande d’asile de Mme Sarpong :

Dans la décision de la SPR ayant accueilli la demande d’asile de Mme Sarpong, le juge a conclu que Mme Sarpong était crédible puisqu’elle a témoigné de manière franche et spontanée. Ainsi, la SPR a cru son témoignage selon lequel elle avait été choisie pour être la reine-mère à la suite du décès de sa grand-mère […]. Il est correct de dire, comme le soutient le défendeur, que la Cour a établi dans de nombreux cas que la Commission […] n’est pas liée par le résultat d’une autre demande, même si la demande concerne un proche de la personne. Les demandes d’asile font l’objet d’une décision au cas par cas [renvoi omis] Toutefois, dans un cas comme celui en l’espèce, où le récit du demandeur est exactement le même que celui de son épouse, et où il est question des mêmes agents de persécution, la SAR se devait de fournir des motifs suffisants, fondés sur les éléments de preuve, pour appuyer sa conclusion selon laquelle Mme Sarpong n’avait jamais été choisie pour obtenir le rôle de reine-mère, soit une conclusion qui représentait un écart marqué par rapport à la décision antérieure favorable de la SPRNote de bas de page 128. [soulignement ajouté]

Un tribunal qui veut s'appuyer sur les conclusions d'un autre tribunal doit le faire « d'une manière restreinte, réfléchie et justifiéeNote de bas de page 129. » Dans Dinehroodi, la Commission n'a pas ajouté foi au récit de la demandeure après avoir pris en compte la décision défavorable dans le cas de son époux. La SSR avait rejeté la demande de l’époux pour manque de crédibilité trois ans plus tôt. Bien qu’il ressortait clairement des motifs de la Commission que sa conclusion quant à la crédibilité de la demandeure ne se fondait pas uniquement sur la décision antérieure relative à l’époux, la Commission semblait avoir utilisé cette décision pour étayer sa conclusion que le récit de la demandeure n'était pas crédible. La Commission a précisé dans ses motifs de décision détaillés les raisons pour lesquelles elle ne croyait pas à l'histoire de l'époux. À la question de savoir si la Commission avait le droit de tenir compte d'une manière quelconque de la décision défavorable de l’époux, la Cour a répondu ainsi :

En l'espèce, nous avons affaire au recours par la Commission aux motifs d'un autre tribunal ayant pour effet de rejeter la revendication d'un autre demandeur du statut de réfugié, soit l'époux de la demanderesse. Le défendeur soutient que la Commission avait le droit de se fonder sur d'autres motifs parce que la demanderesse savait qu'ils avaient été admis en preuve et ne s'y était pas objectée. À mon avis, sur le fondement de la jurisprudence précitée, quoique la Commission avait le droit de s'appuyer sur la décision du tribunal précédent dans une certaine mesure, par exemple en ce qui concerne des conclusions de fait tirées relativement à la situation dans le pays, [. . .] elle ne pouvait se fonder sur les conclusions générales de la Commission comme preuve de la fabrication de la revendication de l'époux de la demanderesse puis, à son tour, de cette dernière. La conclusion ainsi tirée avait manifestement un effet déterminant sur la conclusion de la Commission quant à la crédibilité des demandeurs, soit un élément assurément important de sa décision. Ainsi, la Commission s'étant fondée à tort sur la conclusion quant à la crédibilité du tribunal précédent pour étayer sa propre conclusion défavorable en la matière, cette dernière conclusion était à mon avis manifestement déraisonnable et la Commission a fondé sa décision sur un élément de preuve non pertinentNote de bas de page 130. [soulignement ajouté]

2.2 Fonder la decision sur des preuves et des elements importants et pertinents de la demande

2.2.1 Pertinence

La Cour dans Magonza, explique le concept de la pertinence comme suit :

Alors que la valeur probante est une question de degré, la pertinence est un concept binaire. Dans la mesure où un élément de preuve a une certaine valeur probante, il est pertinent. La pertinence est souvent un élément des critères qui régissent l’admissibilité de la preuveNote de bas de page 131.

La Cour fédérale a jugé que, pour conclure au manque de crédibilité d'un témoignage, il faut s'appuyer sur des considérations pertinentesNote de bas de page 132. Dans l'affaire Abdinur, par exemple, les demandes d'ERAR et celle fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH) ont été rejetées en raison de conclusions négatives sur la crédibilité qui ont été utilisées pour conclure que M. Abdinur avait un soutien familial disponible en Somalie. L'une des conclusions défavorables en matière de crédibilité était fondée sur l'incapacité de M. Abdinur à fournir le nom de la personne qui l'a accompagné au Canada lorsqu'il avait cinq ans. La Cour a déclaré ce qui suit :

Il est également important de rappeler quelle est la question en litige pertinente : si M. Abdinur a en Somalie de la famille sur laquelle il peut compter. La pertinence du nom de la tante du cousin qui l’a accompagné depuis le Kenya jusqu’au Canada en 1994 ne saute pas tout de suite aux yeux, et la déléguée du ministre ne dit pas pourquoi elle a considéré qu’il s’agissait d’un [TRADUCTION] « renseignement de base ». Comme la Cour l’a décrété, les décisions relatives à la crédibilité ne devraient pas reposer sur un « test de mémoire », pas plus que sur une analyse trop détaillée de questions sans pertinence ou périphériques par rapport à la demande d’asile : Shabab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 872 au paragraphe 39; Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 FC 924 au paragraphe 23Note de bas de page 133.

2.2.2 Importance

Il ressort d'une abondante jurisprudence que, pour conclure au manque de crédibilité à cause de contradictions dans le témoignage du demandeur ou d'un témoin, il faut s'appuyer sur des contradictions ou divergences réelles qui sont de nature importante ou sérieuseNote de bas de page 134. Des incohérences mineures ou secondaires dans la preuve du demandeur d'asile ne devraient pas entraîner une conclusion d'absence générale de crédibilité lorsque la preuve documentaire étaye la vraisemblance du récit du demandeurNote de bas de page 135.

Les incohérences, les fausses déclarations et la dissimulation ne devraient entraîner le rejet de la demande que lorsqu'elles sont importantes. Lorsque le tribunal considère que le demandeur ment, et que le mensonge est important eu égard à la demande, il doit néanmoins examiner l'ensemble de la preuve et fonder sa conclusion sur la totalité des éléments de preuve dont il dispose. (Voir la section 2.1.2. Évaluation de la preuve jugée crédible et 2.1.3. Conclusions de manque de crédibilité générale).

Bon nombre de décisions de la Cour fédérale montrent le point suivant, à savoir que lorsqu'on rejette catégoriquement l'exposé des faits du demandeur, les contradictions (ou omissions ou incohérences) doivent porter sur des éléments essentiels ou sur des points critiques, c'est-à-dire qui touchent au fondement même de la demande. Dans Irivbogbe par exemple, où la demande d’asile était fondée sur la bisexualité du demandeur, mais le demandeur n’a pas mentionné son présumé partenaire de même sexe sur son formulaire FDA, la Cour mentionne :

Je note que la jurisprudence a établi que des omissions dans le formulaire FDA peuvent justifier des conclusions défavorables en matière de crédibilité si ces omissions sont importantes ou substantielles ou si elles constituent un élément fondamental de la demande [renvois omis]. Bien que le demandeur ait raison lorsqu’il affirme que de légères incohérences ne sont pas des motifs pour miner sa crédibilité, il est clair que la SAR a estimé que ces incohérences étaient importantes. Comme l’a souligné la SAR, l’orientation sexuelle du demandeur est l’élément central de sa demande d’asile et, comme le demandeur était représenté par un avocat au moment de remplir son formulaire FDA, il aurait dû savoir l’importance d’étayer par des éléments de preuve cet aspect de sa demande. Je suis d’avis qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure ainsi et de conclure que cela mine la crédibilité du demandeur au sujet de sa présumée relation homosexuelle au CanadaNote de bas de page 136.

Les omissions ou l'absence d'informations détaillées sont importantes quand elles portent sur des éléments essentiels d'une demandeNote de bas de page 137. Toutefois, le tribunal doit veiller à éviter de se préoccuper de questions secondaires ou marginales à la demande d’asile car c'est une erreur de se livrer à une analyse microscopiqueNote de bas de page 138.

Dans Paulo, la Cour explique qu’une analyse peut être très rigoureuse sans être microscopique :

Une analyse ne devient pas « microscopique » ou trop zélée parce qu’elle est exhaustive. Ce n’est pas le caractère fouillé, détaillé ou minutieux de l’analyse ou de l’examen opéré par un décideur administratif qui lui confère un caractère « microscopique ». Bien au contraire, une telle approche traduit plutôt la rigueur à laquelle on est en droit de s’attendre d’une analyse d’un décideur administratif. En fait, je dirais même que cette rigueur est maintenant de mise pour satisfaire l’exigence d’une décision « justifiée » établie par l’arrêt Vavilov. L’analyse d’un décideur administratif ne bascule dans le « microscopique » que lorsqu’elle dérive vers des éléments secondaires et périphériques et qu’elle sombre alors dans un examen de contradictions anodines, peu pertinentes ou non pertinentes à l’objet de la demande d’asile. C’est là que l’intervention de la Cour peut être requiseNote de bas de page 139.

En revanche, il a aussi été reconnu dans certains cas que, même si prises individuellement, les divergences ou les contradictions semblent sans importance, elles peuvent permettre de conclure au manque de crédibilité lorsqu'elles sont examinées ensemble et dans leur contexteNote de bas de page 140 (voir aussi la section 2.1.3 Conclusion de manque de crédibilité générale).

2.2.3 Contradictions, divergences et omissions

Les contradictions, omissions ou divergences relevées dans le témoignage d'un demandeur ou d'un témoin peuvent justifier de conclure à un manque de crédibilitéNote de bas de page 141. Toutefois, comme il est indiqué ci-dessus (voir la section 2.2.2 Importance), les divergences doivent être suffisamment importantes et se rapporter à des éléments assez pertinents de l'affaire pour justifier une conclusion défavorable.

Ces considérations s'appliquent également aux contradictions, omissions ou divergences dans les déclarations antérieures du demandeur, qu'elles aient été faites aux autorités de l'immigration du CanadaNote de bas de page 142 (voir aussi la section 2.2.4. Formulaires FDA et déclaration faites aux agents d’immigration) ou ailleursNote de bas de page 143, lors d'une audience antérieure quand, par exemple, la demande est entendue de novoNote de bas de page 144 (voir aussi la section 2.1.4 Demandes d’asile jointes ou associées), ou encore dans le formulaire de fondement de la demande d’asile (FDA) du demandeurNote de bas de page 145. (Voir aussi la section 2.2.4 Formulaires FDA et déclaration faites aux agents d’immigration) ou celui d'une personne de son entourage (voir la section 2.1.4 Demandes d’asile jointes ou associées)

Or, il semble qu'aucune conclusion substantielle ne peut être tirée de l'omission du demandeur d'informer les autorités de l'immigration à l'étranger de sa crainte de persécution lorsqu'il a demandé un visa pour venir au CanadaNote de bas de page 146 ou, dépendamment de l’ensemble de la preuve et des explications, de fournir certains renseignements dans les notes prises lors de l'entrevue sur la recevabilité de sa demande (voir la section 2.2.4 Formulaires FDA et déclarations faites aux agents d’immigration).

Indépendamment de l'endroit où l'on peut trouver des contradictions, des divergences ou des omissions dans les éléments de preuve fournis par le demandeur ou le concernant, les principes généraux suivants énoncés dans SheikhNote de bas de page 147 s'appliquent à l'évaluation de sa crédibilité :

Les divergences sur lesquelles s'appuie la Section du statut de réfugié doivent être réelles (Rajaratnam c. M.E.I., 135 N.R. 300 (C.A.F.)

La Section du statut de réfugié ne doit pas mettre un zèle « [...] à déceler des contradictions dans le témoignage du requérant [...] elle ne devrait pas manifester une vigilance excessive en examinant à la loupe [les éléments de preuve] » (Attakora c.M.E.I. (1989), 99 N.R. 168).

Les contradictions ou l'incohérence doivent être raisonnablement liées à la crédibilité du demandeur (Owusu-Ansah c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1989), 98 N.R. 312 (C.A.F.)).

Il doit être tenu compte des explications qui ne sont pas manifestement invraisemblables (Owusu-Ansah, précité).

Les incohérences retenues par la Section du statut de réfugié doivent être importantes et déterminantes pour la revendication (Mahathmasseelan c. Canada (M.E.I.), 15 Imm L.R. (2d) 30 (C.A.F.)) et ne doivent pas être exagérées (Djama c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, A-738-90, en date du 5 juin 1992).

(Voir aussi les sections 2.2.1 Pertinence et 2.2.2 Importance) :

Aussi, comme ce serait idéalement le cas pour toute analyse d’un élément de crédibilité, particulièrement lorsque l’élément soulevé est important, la SPR devrait tenir compte des explications du demandeur, de toute preuve pertinente au dossier et des circonstances procédurales qui pourraient raisonnablement expliquer les divergences soulevéesNote de bas de page 148.

2.2.4 Formulaires FDA et déclarations faites aux agents d'immigration

Admissibilité des notes de point d’entrée

Il est bien établi dans la jurisprudence que la Commission peut tenir compte des déclarations faites aux autorités de l’immigration au point d’entrée afin d’évaluer la crédibilité du demandeurNote de bas de page 149. Comme l’a fait remarquer la Cour dans Markandu, « L'un des principaux moyens dont peut se servir la Commission pour évaluer la crédibilité du demandeur consiste à comparer son FRP et ses déclarations au PDE, puis à l'interroger durant l'audience sur toute contradiction relevéeNote de bas de page 150. »

Les notes prises au point d'entrée ou les documents préparés par des agents d'immigration du Canada sont admissibles lors des audiences de la SPR, sans autre participation du ministre à l'audience. La Cour dans Fernando déclare :

Bien que la Cour reconnaisse que les notes au point d’entrée et le FRP sont établis en des circonstances différentes, il a été décidé depuis longtemps que ces notes étaient admissibles en preuve devant la Commission (Multani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2000 CanLII 15022 (CF)). En outre, […] une jurisprudence abondante a établi que la Commission peut prendre en compte les contradictions entre le FRP et les notes au point d’entrée pour évaluer la crédibilité d’un demandeur et que la Commission peut tirer des inférences défavorables relativement à toute omission d’importance dans ces notes [renvoi omis]Note de bas de page 151.

Les notes au point d'entrée ou autres documents préparés par des agents d'immigration sont admissibles même s'ils ne sont pas signés ni datésNote de bas de page 152 et même si leur auteur n'est pas appelé à témoigner ou n'est pas disponible à cette finNote de bas de page 153. Les notes prises au point d'entrée sont admissibles même s'il n'existe aucune preuve qu'elles ont été établies en conformité avec un arrêté du ministreNote de bas de page 154.

Divulgation

Conformément aux exigences de la justice naturelle et du paragraphe 34(1) des Règles de la SPR, la SPR doit divulguer en temps utile tout document, y compris les notes du point d'entrée, qu'elle a l'intention d'utiliser lors d'une audience. C'est ce qu'explique la Cour dans Nrecaj :

La non-divulgation empêche l'accusé dans une procédure criminelle de présenter une défense pleine et entière, droit reconnu par la common law qui a acquis une nouvelle vigueur par suite de son inclusion parmi les principes de justice fondamentaux visés à l'article 7 de la Charte. De même, la capacité du demandeur du statut de réfugié de présenter une défense pleine et entière relativement à la preuve présentée pour contester sa revendication ou pour attaquer sa crédibilité est d'une importance cruciale. La tâche de l'agent d'audience ressemble de beaucoup à celle du substitut du procureur général dans des procédures criminelles. Les manuels de l'Immigration eux-mêmes montrent que l'agent d'audience est tenu de communiquer toute la preuve documentaire devant être utilisée à l'audience. Les notes prises à l'entrevue ne constituent peut-être pas une "preuve documentaire", mais elles seraient visées par les principes énoncés à l'égard de la preuve documentaire. En ce qui concerne la SSR, la Loi sur l'immigration reconnaissait au demandeur le droit de se faire représenter ainsi que la possibilité de produire des éléments de preuve, de contre-interroger des témoins et de présenter des observations. Ces dispositions pourraient devenir illusoires s'il était possible d'empêcher le requérant de présenter l'équivalent d'une défense pleine et entière. Pour satisfaire au critère de l'équité, la communication doit laisser suffisamment de temps à l'avocat pour lui permettre d'accomplir sa tâche d'une façon complète et efficace et pour permettre à la partie qui demande la communication de se préparerNote de bas de page 155. [soulignements ajoutés]

Assignation de l’agent d’immigration

Un demandeur qui veut contester l’exactitude des documents préparés au point d’entrée doit assigner l’agent d’immigration afin que celui-ci témoigne à l’audienceNote de bas de page 156 Bien que la partie demande à la Section de délivrer la citation à comparaître qui ordonne à une personne de témoigner à l’audience, il appartient à la partie de la remettre au témoinNote de bas de page 157.

Dans l'affaire Zaloshnja, la juge Tremblay-Lamer a rejeté l’argument selon lequel la Commission avait exercé son pouvoir discrétionnaire de façon inappropriée en refusant d'exiger que l'agent d'immigration au PDE soit convoqué aux fins d'un contre-interrogatoire :

La Section du statut de réfugié n'avait aucunement le devoir de citer l'agent d'immigration. Si la demanderesse croyait que contre-interroger l'agent aiderait sa cause, il lui appartenait de le citer à comparaître comme témoin. Le paragraphe 25(1) des Règles de la section du statut de réfugié  [maintenant 45(1) des Règles de la SPR] dit précisément que le demandeur doit déposer sa demande par écrit s'il désire assigner un témoin. Le fardeau de la preuve incombe aux demandeurs d'asile, lorsqu'il s'agit d'étoffer leurs demandes, d'obtenir des éléments de preuve et d'assigner les témoins dont ils ont besoinNote de bas de page 158.

La Section doit faire preuve de prudence dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d'émettre ou non une citation à comparaître. Dans un cas où le témoignage de l’agent d'immigration est nécessaire pour prouver que les notes du point d'entrée sont inexactes, le refus du tribunal de délivrer une citation peut constituer une violation de la justice naturelleNote de bas de page 159.

Divergences entre les notes de point d’entrée et le formulaire FDA ou le témoignage

La SPR peut conclure à la non crédibilité d’un demandeur, ou tirer des inférences négatives quant à la crédibilité d’un demandeur, en raison de divergences contenues dans les déclarations faites dans son formulaire de Fondement de la demande d’asile (FDA) ou à un agent d’immigration au point d’entrée.

Dans Navaratnam, le juge Shore énonce quatre principes généraux concernant les divergences et omissions dans les déclarations faites dans les FDAs ou au point d’entrée :

Il est bien reconnu en droit que la Commission peut tenir compte des déclarations faites aux autorités de l’Immigration au PDE pour évaluer la crédibilité du demandeur et que le premier récit d’une personne est généralement le plus fidèle et, de ce fait, celui auquel il faut ajouter le plus de foi. [soulignement de la Cour, renvoi omis]

De plus, les contradictions entre les déclarations verbales et écrites du demandeur justifient une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité. [renvois omis]

Par ailleurs, il [est] entièrement loisible à la Commission de conclure que l’omission du demandeur de mentionner des faits importants sur son formulaire de renseignements personnels [FRP] constituait le fondement d’une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de celui ci, étant donné, surtout, qu’il avait eu la possibilité de modifier le formulaire en question à l’audience et qu’il a déclaré que le formulaire était complet et exact. [renvois omis]

L’audience permet au demandeur de compléter sa preuve et non d’ajouter à sa version des faits nouveaux et importants. [renvois omis] Note de bas de page 160

Cependant, il est bien établi que les décideurs dans les affaires de demandes d’asile doivent faire preuve de prudence avant de mettre en doute la crédibilité d’un demandeur en s’appuyant sur un manque de cohérence, des omissions et des détails entre un document signé au point d’entrée en arrivant au Canada et des observations formulées ultérieurement, telles que des témoignages de vive voix ou un formulaire FDANote de bas de page 161.

Dans Mojica Romo, la Cour a estimé que la SPR avait commis des erreurs décrites dans la jurisprudence invoquée par les demandeurs :

Les demandeurs ont raison de soutenir que la Cour fédérale a fait ressortir certaines des embûches qui guettent les tribunaux qui utilisent les notes prises au point d'entrée et les FDA et invoquent de manière démesurée les contradictions et les omissions pour conclure à l'absence de crédibilité, alors que ces éléments n'indiquent pas toujours un manque de crédibilité. La Commission devrait, dans chaque cas, examiner la pertinence et l’importance de la contradiction ou de l'omission et prendre en compte toute explication, preuve ou circonstance qui pourrait expliquer la divergenceNote de bas de page 162. [soulignement ajouté]

(Voir les sections 2.2.1 Pertinence et 2.2.2 Importance)

En revanche, lorsque la divergence concerne un élément clé de la demande, tel que son fondement même, la Cour confirmera une conclusion négative quant à la crédibilité. Par exemple, dans Eker, où la SPR n’a pas cru le récit de persécution reposant sur les opinions politiques imputées du demandeur principal, la Cour conclut que :

…La SPR n’a donc commis aucune erreur révisable en examinant les réponses fournies au point d’entrée par le demandeur. En l’espèce, les contradictions dans le récit du demandeur portent sur des éléments clés de la revendication des demandeurs. Notamment, le demandeur s’est trompé ou s’est contredit sur la date des élections générales, sur le nom du parti avec lequel il avait des liens, sur la détention dont il a fait objet et sur le fait qu’il ait été recherché par la policeNote de bas de page 163.

Lorsque le demandeur fournit une explication pour une omission, c'est une erreur de rejeter l'explication sans en donner les raisons. Dans l'affaire Diaz Puentes, en énumérant ses persécuteurs lors de son entrevue au point d'entrée, le demandeur avait mentionné les Cercles bolivariens, mais pas les FARC. Il a expliqué cette omission par le fait qu'on lui avait dit d'être bref et que les Cercles bolivariens étaient le groupe qu'il craignait le plus. La SPR a rejeté cette explication et a conclu qu'il avait inventé les faits concernant les FARC puisqu'il avait omis de les mentionner. Étant donné que la SPR n'a fourni aucune raison pour sa conclusion et n'a pas pris en compte les preuves au point d'entrée dans le contexte donné, la Cour a estimé que la conclusion était manifestement déraisonnableNote de bas de page 164

Facteurs à considérer

Dans son évaluation des divergences, la SPR doit tenir compte de facteurs comme l'état psychologique du demandeur, son jeune âge et la vulnérabilité particulière des femmes violentées. (Voir aussi la section 2.5 Tenir compte de la situation particulière du demandeur)

Les rapports médicaux ou psychologiques peuvent révéler que les divergences ou omissions sont attribuables à des raisons médicales plutôt qu’au manque de crédibilité d’un demandeur. Dans Joseph, la Cour dit ceci :

Bien qu’il n’est pas du ressort d’un expert de déterminer si les incohérences dans le témoignage d’un demandeur d’asile peuvent être justifiés par un syndrome de stress post-traumatique […], il n’en demeure pas moins que la prudence s’impose lorsqu’il y a connexité entre les contradictions ou les omissions relevées par la SPR et les erreurs cognitives auxquels un rapport médical ou psychologique fait référence Note de bas de page 165 […][renvois omis] »

Même s'il est mineurNote de bas de page 166, le demandeur ne pourra pas, en général, utiliser son âge (17 ans) pour expliquer des omissions importantes dans son FRP.

Dans Joseph, la Cour se réfère aux Directives sur les Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe :

Les Directives numéro 4 précisent à la note de bas de page numéro 30 que les femmes réfugiées victimes de viol et qui souffrent de TSPT présentent des symptômes de perte de mémoire, de difficulté de concentration et de distorsion des sentiments. Ainsi, la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse aurait dû expliquer sa crainte d’être séquestrée de façon cohérente dans sa demande d’asile puisque « les premiers stress, bouleversements et inquiétudes » étaient passés ne prend pas en compte la durée et les effets d’un TSPT qui sont exposés par la preuve soumise.

[…] Puisqu’il ressort des motifs de la décision que c’est principalement sur la base d’incohérences temporelles et de troubles de mémoire que la SPR écarte l’impact du diagnostic de TSPT sur la capacité de la demanderesse à témoigner, je suis d’avis que la SPR a effectué une analyse circulaire et inadéquate par laquelle elle a écarté le diagnostic d’experts sur la base des symptômes associés à ce diagnostic. Ce raisonnement est déraisonnable considérant l’impact que peut avoir le TSPT sévère de la demanderesse sur sa capacité de présenter un témoignage cohérentNote de bas de page 167.

La Cour dans la décision Mabuya explique que les décisions qui ne tiennent pas compte des problèmes spéciaux qui peuvent affecter la crédibilité des demandeures d’asile sont susceptibles d’être annulées:

Nombreuses sont les causes où la Cour a annulé une décision de la SPR qui ne montrait pas de réceptivité suffisante aux principes consacrés dans les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Souvent, ces causes reposent sur une conclusion où la détermination de la crédibilité du demandeur par la Commission ne tient pas compte des réalités auxquelles est confrontée une femme qui demande asile, par exemple la force des tabous culturels entourant la violence sexuelle. Conséquence de ces tabous, il arrive qu’une personne qui échappe à la violence sexuelle s’abstienne de signaler les agressions ou même d’en parler après coup. Or, ces comportements ne sont pas nécessairement indicatifs d’un manque de crédibilité. En outre, les crimes sexuels se commettent invariablement sans témoins. Il est donc souvent difficile pour la personne qui demande asile et dit avoir subi une agression sexuelle de fournir une preuve corroborant ses allégations. Qui plus est, beaucoup de femmes trouvent difficile de parler d’agression sexuelle à un étranger dans le contexte d’une audience. Des décisions qui ne sont pas suffisamment réceptives à cette sorte de réalité et qui mettent en doute la crédibilité des victimes en raison de l’absence de corroboration ou de la difficulté de relater l’agression ont souvent été annulées au motif qu’elles étaient déraisonnablesNote de bas de page 168. [renvois omis]

Omissions du formulaire FDA

En ce qui concerne les omissions du document qu'un demandeur transmet à la SPR en vue de présenter sa demandeNote de bas de page 169, ce document, comparé aux notes du point d'entrée, doit contenir des informations beaucoup plus détaillées. La teneur et l'ampleur des détails fournis dans l'exposé circonstancié du FDA, sont décrites par la Cour dans Basseghi :

Il n'est pas inexact de dire que ces réponses fournies dans un FRP devraient être concises, mais il est inexact de dire que ces réponses ne devraient pas contenir tous les faits pertinents. Il ne suffit pas à un [demandeur] d'affirmer que ce qu'il a dit dans son témoignage oral était un développement. Tous les faits pertinents et importants devraient figurer dans un FRP. Le témoignage oral devrait être l'occasion d'expliquer les informations contenues dans le FRPNote de bas de page 170.…[soulignement ajouté]

Par exemple, dans OgauluNote de bas de page 171, le demandeur a déclaré dans son formulaire FDA, qu’aucun des membres de sa famille n’était avec lui lorsqu’il a été agressé. Cette déclaration contredisait directement son témoignage selon lequel son frère était présent. En outre, dans son formulaire FDA, le demandeur a mentionné la présence d’un ami lors de son agression, mais il n’a pas mentionné celle de son frère qui, selon son témoignage, avait joué un rôle plus important au moment de cet incident. En tenant compte des omissions de même que des incohérences importantes, la SAR a conclu que la demande d’asile du demandeur manquait de crédibilité. Le demandeur soutenait qu’il a simplement fourni d’autres détails pendant son témoignage pour étayer l’exposé circonstancié de son formulaire FDA et que ce fait ne devait pas être utilisé pour mettre en doute sa crédibilité. Cependant, selon la Cour les détails de l’agression étaient importants, car ils touchaient le cœur même de la demande d’asile du demandeur. Par conséquent, leur omission dans le formulaire FDA n’était pas un détail mineur ou une information accessoire, mais plutôt un élément important pour la demande d’asile. La Cour a confirmé la décision de la SAR.

Dans HusynNote de bas de page 172, les demandeurs prétendaient que des renseignements qui deviennent connus après le dépôt du formulaire FDA peuvent être attestés à l’audience et qu’il n’est généralement pas obligatoire de modifier le formulaire FDA. Bien que la Cour ait convenu avec les demandeurs qu’ils n’étaient pas tenus de déposer un formulaire FDA modifié, dans les circonstances de cette affaire, l’omission de le faire étayait l’inférence défavorable que la SPR a tirée.

Similitudes dans les exposés circonstanciés demandeurs d'asile non apparentés Note de bas de page 173

La similitude entre le formulaire FDA du demandeur et les formulaires FDA d'autres demandeurs peut être utilisée à bon droit pour remettre en question la crédibilité de la demande d'asile, bien que la Commission doive considérer s'il existe une explication à ces similitudes.

Par exemple, dans Liu, la Cour a confirmé la décision de la SPR qui a rejeté la demande d’asile qu’elle a estimé n’était pas crédible, en grande partie en raison de la similitude du FRP avec ceux de six autres demandeurs d’asile. Tous les exposés circonstanciés étaient « étrangement similaires », tant du point de vue de la forme que du contenu. La Cour déclare :

La Commission pouvait examiner les similitudes frappantes des six autres demandes d’asile qui avaient été déposées par l’entremise du même traducteur et du même avocat, et tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité des allégations contenues dans l’exposé circonstancié du FRP de la demanderesse principale. Le fait que la Commission n’ait pas mis en doute l’intégrité ou la crédibilité du traducteur ne l’empêche pas d’adopter un point de vue critique de son explication quant aux similitudes des sept demandes d’asile. La présente affaire est différente de la décision Bao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 301, [2006] A.C.F. no 411 (1re inst.) (QL), dans laquelle M. le juge Campbell a écrit ce qui suit aux paragraphes 2 et 6 :

Un élément unique de la décision rendue par la SPR est la comparaison entre l’exposé circonstancié du FRP du demandeur avec celui des FRP de six autres demandes d’asile portant sur le Falun Gong. [...]

Étant donné ce résultat, je conclus qu’il incombait à la SPR d’exclure le soupçon non étayé du processus de prise de décision, ce que la SPR n’a pas fait. En fait, selon la façon dont est rédigée la décision, la SPR s’est servie de ce soupçon non étayé pour conclure que « l’exposé circonstancié du demandeur d’asile n’est pas assez personnel pour être crédible ». [...]

Dans la présente affaire, la Commission a accordé « peu de poids » [...]à la pièce C 6 en raison des circonstances décrites dans les sept cas en cause qui étaient de façon frappante similaires. Elle n’a pas rejeté la demande d’asile des demandeurs en se fondant seulement sur les similitudes frappantes. Elle a conclu que le récit de la demanderesse principale comportait des invraisemblances et des incohérencesNote de bas de page 174.

Dans l’affaire Zhang, il s’agissait de faits très similaires à ceux dans Bao. La Cour a estimé que la SPR ne pouvait pas raisonnablement conclure du simple fait que les sept FRP étaient similaires, qu’il était plus que probable que l’énoncé circonstancié de la demandeure n’était pas véridique. Une telle conclusion ne tenait pas compte de la preuve soumise à la Commission pour expliquer la raison pour laquelle les FRP étaient similaires. Le traducteur a admis s’être servi d’une liste de questions. Il y avait une évidente similitude entre les questions et la forme de chacun des sept FRP, ce qui pourrait expliquer les mots identiques à certains endroits dans les FRPNote de bas de page 175.

2.2.5 Invraisemblances

La SPR et la SAR ne sont pas nécessairement tenues d’admettre un témoignage uniquement parce qu'il n'a pas été contredit à l'audience. Le tribunal est en droit d’évaluer le témoignage en fonction de la vraisemblance, du bon sens et la rationalité et peut rejeter des preuves non réfutées si elles ne concordent pas avec les probabilités de l'ensemble de l'affaireNote de bas de page 176.

Les conclusions défavorables en matière de crédibilité doivent être raisonnables et ne pas être fondées uniquement sur des conjectures ou des hypothèses. Il ne convient pas que le décideur base son appréciation de la crédibilité sur ses propres idées quant à la façon dont les événements se sont réellement déroulés ou auraient dû se dérouler. Voir par exemple, l’affaire Selvarasu où le demandeur avait affirmé au cours de la première séance de l’audience que son passeport avait été obtenu de façon régulière alors qu’à la deuxième séance, il a indiqué qu’il l’avait été obtenu grâce à un pot de vin. Il a expliqué qu’il n’était pas au courant du pot de vin avant d’avoir parlé à son père après la première séance. La SPR a rejeté son explication et a conclu qu’il n’était pas plausible que le demandeur n’ait pas su auparavant que son passeport avait été obtenu grâce à un pot de vin et qu’il n’ait fait aucune démarche pour se renseigner, une fois en sécurité au Canada, à propos des circonstances de l’obtention de son passeport. La Cour a jugé la conclusion de la SPR déraisonnable. « Pour arriver à ces conclusions, la SPR s’est lancée dans des conjectures à propos de ce que le demandeur aurait dû faire ou de ce qui aurait été la ligne de conduite raisonnable » Note de bas de page 177 [soulignement ajouté]

Il ne suffit pas d'indiquer que le récit du demandeur est « invraisemblable » sans expliquer davantage le raisonnement aboutissant à cette conclusionNote de bas de page 178. Lorsque la SPR conclut à l'absence de crédibilité en raison de l’invraisemblance de la preuve, ses conclusions doivent être étayées par la preuve. Cela signifie également que tous les éléments de preuve qui soutiennent la vraisemblance des allégations d'un demandeur doivent être pris en compte et soupesés, avant de conclure que les allégations sont invraisemblablesNote de bas de page 179.

Dans SantosNote de bas de page 180, le juge Mosley cite des passages des décisions Valtchev et Leung dans lesquelles ces principes sont énoncés :

Dans Valtchev [renvoi omis], le juge Muldoon s'est exprimé comme suit […] au sujet des conclusions de la Commission sur la vraisemblance :

Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur …Note de bas de page 181 [soulignement ajouté]

Dans le jugement Leung [renvoi omis] […] le juge en chef adjoint Jerome déclare:

[14] [L]a Commission est clairement tenue de justifier ses conclusions sur la crédibilité en faisant expressément et clairement état des éléments de preuve.

[15] Cette obligation devient particulièrement importante dans des cas tels que l'espèce où la Commission a fondé sa conclusion de non-crédibilité sur des « invraisemblances » présumées dans les histoires des demanderesses plutôt que sur des inconsistances [sic] et des contradictions internes dans leur récit ou dans leur comportement lors de leur témoignage. Les conclusions d'invraisemblance sont en soi des évaluations subjectives qui dépendent largement de l'idée que les membres individuels de la Commission se font de ce qui constitue un comportement sensé. En conséquence, on peut évaluer l'à-propos d'une décision particulière seulement si la décision de la Commission relève clairement tous les faits qui sous-tendent ses conclusions[...]. La Commission aura donc tort de ne pas faire état des éléments de preuve pertinents qui pourraient éventuellement réfuter ses conclusions d'invraisemblance. . . .Note de bas de page 182  [soulignement ajouté]

Les principes découlant de ces deux décisions ont été résumés succinctement par la Cour dans Santos comme suit :

[…] comme la Cour l'a souligné dans Valtchev, les conclusions sur la vraisemblance reposent sur un raisonnement distinct de celui des conclusions sur la crédibilité et peuvent être influencées par des présomptions culturelles ou des perceptions erronées. En conséquence, les conclusions d'invraisemblance doivent être fondées sur une preuve claire et un raisonnement clair à l'appui des déductions de la Commission et devraient faire état des éléments de preuve pertinents qui pourraient réfuter lesdites conclusions …Note de bas de page 183 [soulignement ajouté]

Dans la décision Al Dya, la Cour a examiné de nouveau l’interprétation à donner aux principes énoncés dans la décision Valtchev, selon lequel il ne faut tirer des conclusions d’invraisemblance que dans les « cas les plus évidents ». La Cour a fait les observations suivantes :

[…] La décision Valtchevne crée pas une norme d’impossibilité. Autrement dit, elle ne limite pas les conclusions d’invraisemblance aux cas où il est impossible que les faits allégués aient eu lieu. Notre Cour a plutôt mis sur le même pied la notion des « cas les plus évidents » et des « événements [qui] ne pouvaient pas se produire » qui figure dans la décision Valtchev et les situations où il est « clairement invraisemblable » que les faits se soient produits de la manière alléguée » à la lumière du bon sens ou du dossier de preuve … [soulignement ajouté]Note de bas de page 184… [soulignement ajouté]

[…] À mon avis, la norme des « cas les plus évidents », tirée de la décision Valtchev n’écarte pas la norme de la prépondérance des probabilités pas plus qu’elle n’inverse le fardeauultime de la preuveNote de bas de page 185. [soulignement ajouté]

[…] L’emploi que l’on y fait de la notion des « cas les plus évidents » ou des « cas clairement invraisemblables » ne veut pas dire qu’il n’est pas nécessaire de prouver les faits selon la prépondérance des probabilités, et cela ne change en rien le fardeau général. Ces deux notions reconnaissent plutôt que l’inusité ou l’improbable peut se produire, et qu’il est déraisonnable de rejeter une preuve comme étant non crédible juste parce que les faits qu’elle décrit sont inusités. En d’autres mots, cela permet d’éviter [soulignement de la Cour] l’erreur de logique qui consiste à mettre sur le même pied la probabilité générale qu’un fait survienne dans un autre pays et la vraisemblance qu’un demandeur d’asile particulier l’ait vécu ou alors la vraisemblance que ce dernier mente en soutenant qu’il l’a vécuNote de bas de page 186. [soulignement ajouté]

Aussi dans la décision Al Dya, la Cour souligne l'importance que Valtchev a accordée aux preuves documentaires pour évaluer si les allégations du demandeur sont vraisemblables :

La décision Valtchev vise aussi à garantir que les conclusions d’invraisemblance ne reposent pas sur des présomptions injustifiées à propos de ce qui est vraisemblable ou rationnel d’après un cadre de référence canadien. À cet égard, il est utile de signaler qu’en ce qui concerne les conclusions de vraisemblance, la décision Valtchev décrit deux aspects qui sont liés : le sens de ce qui est rationnel ou logique (« débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre »), et l’évaluation de la preuve documentaire pertinente (« la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend »). Ces deux aspects sont liés parce que ce qui est considéré comme rationnel ou logique – ce qui est « sensé » – dans un contexte particulier peut être influencé par la preuve documentaire, notamment la preuve des conditions régnant dans le pays en question . . . .Note de bas de page 187 [soulignement ajouté, renvois omis]

La Cour fédérale a maintes fois indiqué qu'il faut être extrêmement prudent lorsqu'il s'agit d'apprécier les normes de cultures différentes comme, par exemple, les pratiques suivies dans des systèmes politiques, policiers et sociaux différentsNote de bas de page 188.

Des actes qui peuvent sembler invraisemblables selon les normes canadiennes pourraient être vraisemblables dans le contexte des antécédents sociaux et culturels du demandeur. Par exemple, dans la décision Manan, la Cour a jugé que la SAR n’a pas été raisonnable en concluant qu’il était invraisemblable que M. Manan n’ait pas demandé de soins médicaux pour ses blessures physiques après sa libération. Les conclusions d’invraisemblance ne sont permises que dans les cas les plus évidents. Ayant à l'esprit la mise en garde de Valtchev concernant les normes culturelles, la Cour a déclaré :

Les circonstances dans lesquelles les Canadiens pourraient demander des soins médicaux professionnels ne devraient pas être appliquées aux non-Canadiens, surtout ceux qui vivent dans des environnements très instables comme l’Afghanistan et qui souffrent de traumatismes psychologiques. Je constate que M. Manan et la SAR estiment que les blessures physiques de M. Manan sont des blessures mineures (subies durant l’enfance), c.-à-d. pas très graves. En outre, M. Manan et son frère ont tous deux fourni des éléments de preuve démontrant que les membres de leur famille ne sortaient pas de la maison, à moins que ce soit absolument nécessaire, parce qu’ils s’inquiétaient de leur sécurité, des préoccupations qui sont confirmées dans la lettre du père (rejetée)Note de bas de page 189. …

La Cour dans l'affaire Al Dya souligne également que même en l'absence de preuves documentaires démontrant que les événements n'auraient pas pu se produire de la manière affirmée par le demandeur, Valtchev n'exclut pas la possibilité de tirer des conclusions d’invraisemblance si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre.

Parallèlement, la décision Valtchev n’exclut pas l’idée de prendre en considération la vraisemblance ou la probabilité lorsqu’on procède à des évaluations de la crédibilité. S’il ressort de la preuve qu’un fait particulier ne survient jamais ou est clairement invraisemblable, ce fait peut constituer un fondement raisonnable pour tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité, surtout s’il n’y a rien pour expliquer ou corroborer le fait clairement invraisemblable qui est survenu. Dans le même ordre d’idées, une affirmation peut être à ce point tirée par les cheveux, déborder à un point tel le cadre de ce à quoi on pourrait logiquement s’attendre, et ce, malgré les différences culturelles prises en compte, qu’elle est invraisemblable, même si la preuve objective ne traite pas directement de la probabilité que les faits visés par l’affirmation se produisentNote de bas de page 190.

Par exemple, dans EyongNote de bas de page 191, le demandeur n’a pas réussi à convaincre la Cour que la SAR avait commis une erreur lorsqu’elle a conclu que sa demande d’asile n’était pas crédible au motif qu’il serait invraisemblable que la police autorise l’épouse du demandeur à prendre des photographies qui montrent la police en train de le maltraiter.

Bien que le tribunal ait le droit d'apprécier la preuve et d'évaluer la crédibilité, les décisions où la conclusion d'absence de crédibilité repose sur des invraisemblances perçues peuvent être plus susceptibles de faire l'objet d'une révision par un tribunal supérieur. La Cour fédérale a indiqué qu'elle ne manifestera aucune retenue judiciaire injustifiée à l'endroit de l'évaluation de la vraisemblance d'un témoignage faite par la Commission, puisque cette évaluation se fonde sur des déductions et est susceptible d'être contestée, surtout lorsque ces déductions sont fondées sur la « rationalité » ou le « bon sens »Note de bas de page 192.

Pour ce qui est de la norme de contrôle pour les conclusions d’invraisemblance, la Cour dans ContrerasNote de bas de page 193 a répondu à l’argument du demandeur qui soutenait en s’appuyant sur l'affaire GironNote de bas de page 194 qu'il convient d'appliquer une norme de contrôle moins rigoureuse aux conclusions concernant l'invraisemblance qu'aux conclusions de la Commission concernant la crédibilité. La Cour a rejeté cet argument en renvoyant aux commentaires de la Cour d'appel fédérale dans Aguebor, où le juge Décary a dit:

Il est exact, comme la cour l'a dit dans Giron, qu'il peut être plus facile de faire réviser une conclusion d'implausibilité qui résulte d'inférences que de faire réviser une conclusion d'incrédibilité qui résulte du comportement du témoin et de contradictions dans le témoignage. La Cour n'a pas, ce disant, exclu le domaine de la plausibilité d'un récit du champ d'expertise du tribunal, pas plus qu'elle n'a établi un critère d'intervention différent selon qu'il s'agit de « plausibilité » ou de « crédibilité ».

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. […].Note de bas de page 195 [soulignement ajouté]

Lorsque les déductions ayant permis de conclure à l'absence de crédibilité ne sont pas déraisonnables au point de justifier l'intervention d’un tribunal supérieure, la conclusion sera maintenue. En d'autres termes, la Cour fédérale ne substituera pas son évaluation à celle du tribunal si celui-ci pouvait légitimement conclure comme il l'a fait, même si la Cour aurait peut-être tiré d'autres déductions ou conclu à la vraisemblance de la preuveNote de bas de page 196.

2.2.6 Incohérences ou manque de précisions dans le témoignage

Une demande peut être rejetée en raison d’un manque de crédibilité si le témoignage du demandeur n’est pas cohérentNote de bas de page 197 ou ne comporte pas tous les renseignements ou détails qu’on peut raisonnablement s’attendre d’une personne qui est dans la situation du demandeur et a ses antécédents sociaux et culturelsNote de bas de page 198.

La Commission doit faire preuve de prudence et ne pas tirer de conclusion défavorable fondée sur la base d'une attente de détails plus fins ou d'un niveau de connaissance déraisonnablement élevé, en matière notamment de politique et de religion, car la réponse du demandeur peut varier selon son degré de pratique et d’instruction religieuse, son degré de participation politique et son allégeance.

Par exemple, dans YilmazNote de bas de page 199, la Cour a conclu que la SPR avait exigé un niveau de connaissances politiques normalement requis d’un membre actif plutôt que d’un simple membre de soutien du parti et a comparé à tort le demandeur à une personne bien informée dans un monde libre.

Toutefois, dans les décisions suivantesNote de bas de page 200, la Cour a conclu qu’il était raisonnable de conclure que le manque de connaissance politique du demandeur pouvait fonder une conclusion négative quant à la crédibilité du demandeur :

Mbuyamba : La Cour a jugé raisonnable l’inférence négative tirée par la SPR de l’incapacité du demandeur à donner plus que des exemples généraux des activités de l’organisation, alors qu’il se disait « militant » actif depuis 2016.

Lunda : Il n’était pas déraisonnable pour la SPR de tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité de M. Lunda de son manque de connaissance minimale du parti qu’il disait activement appuyer et représenter depuis plusieurs années. Les questions auxquelles M. Lunda s’est avéré incapable de répondre étaient des questions élémentaires de base.

Ahmed : Le demandeur n’avait pas le degré de connaissance attendu d’une personne revendiquant son profil, c’est-à-dire quelqu’un qui prétendait avoir été un membre actif du Broad National Movement [BNM] en Arabie saoudite pendant plusieurs années.

M.T.A. : La Cour a conclu qu’il était loisible à la SAR de mettre en doute l’engagement politique passé de la demandeure lorsque celle ci n’avait pas pu donner de détails quant à la première manifestation à laquelle elle avait participé, quant au nombre de manifestations auxquelles elle avait pris part ou quant à ce contre quoi elle protestait.

De la même manière que pour les connaissances politiques, la Commission peut tirer des conclusions défavorables en matière de crédibilité lorsque les connaissances religieuses d'un demandeur d'asile ne sont pas proportionnelles à son prétendu profil religieux. Toutefois, ces conclusions doivent être fondées sur des attentes raisonnables.

Dans l’affaire Ullah,Note de bas de page 201 par exemple, la Cour avait l’impression que le commissaire de la SSR s’attendait à tort à ce que les réponses du demandeur au sujet de la religion correspondent aux connaissances du commissaire au sujet de cette religion. Dans LinNote de bas de page 202, la Cour conclut que la SPR s’est livrée à une analyse trop rigoureuse et microscopique des connaissances que le demandeur avait du Falun Gong. La SPR a commis une erreur en évaluant le témoignage donné par le demandeur sur cette question à partir de sa propre conception erronée de ce qu’une personne se trouvant dans la même situation que le demandeur saurait ou comprendrait ou devrait savoir ou comprendre. La SPR a fondé sa conclusion sur des exigences déraisonnables et impossibles à respecter en ce qui concerne la connaissance du Falun Gong.

Toutefois, dans l’affaire BouarifNote de bas de page 203, le juge Roy explique que la Commission peut raisonnablement conclure que les croyances religieuses du demandeur ne sont pas sincères en raison d’un manque de connaissances:

Il est bien établi en droit qu’il est loisible à la SPR d’examiner ce qui motive une personne à pratiquer une religion, notamment la sincérité des croyances religieuses et de se fonder sur ce motif pour rejeter les demandes d’asile qui, comme en l’espèce, reposent essentiellement sur la prétention selon laquelle le fait de continuer à pratiquer, dans le pays d’origine, une religion nouvellement acquise pourrait exposer le demandeur d’asile à des risques (Su c Canada (Citoyenneté et Immigration)2013 CF 518, au para 18). Ce faisant, la SPR peut évaluer dans quelle mesure le demandeur d’asile connaît certains préceptes fondamentaux de la religion, mais il faut que l’examen soit mené avec prudence vu que les croyances religieuses sont hautement subjectives et personnelles (Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 288, au para 61).

La Cour a confirmé des décisions dans lesquelles la Commission a rejeté des demandes d’asile qu'elle jugeait non crédibles en raison du manque de connaissances religieuses d'un demandeur. À titre d'exemple :

HouNote de bas de page 204 : La Cour était d’avis que compte tenu du niveau d’étude allégué et des autres aspects des éléments soumis en preuve par le demandeur, il était approprié que la Commission interroge le demandeur au sujet de sa connaissance du Falun Gong. Elle a conclu que la Commission disposait de preuves à l’appui de sa conclusion à savoir que la connaissance qu’avait le demandeur était insuffisante pour prouver qu’il était un adepte sincère, compte tenu du caractère superficiel des réponses données par le demandeur aux questions qu’on lui posait et de son inaptitude à répondre à certaines autres questions, notamment celle qui portait sur les huit caractéristiques du Falun Gong.

GaoNote de bas de page 205 : De l'avis du juge Southcott, « il n’est pas inapproprié pour la Commission de poser des questions sur la religion lorsqu’elle tente d’évaluer l’authenticité des croyances d’un demandeur d’asile, mais ces questions et l’analyse qui en a résulté doivent de fait porter sur l’authenticité de ces croyances et non sur leur exactitude théologique. » La Commission a posé des questions relativement élémentaires et a conclu à l’absence de croyance sincère en se fondant, en bonne partie, non pas sur l’évaluation de la justesse des réponses du demandeur, mais plutôt sur le fait que le demandeur n’avait pas été en mesure de donner des réponses ou des détails.

BakareNote de bas de page 206 : La SAR aussi bien que la SPR ont conclu que le demandeur aurait dû avoir des connaissances de base des pratiques et des rituels du culte Ogboni s’il avait assisté aux réunions pendant 13 ans.

WangNote de bas de page 207 : Il est raisonnable de la part d’un décideur de s’attendre à ce qu’une personne possède une connaissance rudimentaire de ses croyances religieuses. La Cour conclut que la SPR et SAR ne demandaient que des connaissances minimales, compte tenu du critère peu exigeant de la jurisprudence et la situation personnelle du demandeur, et, même là, il était incapable de parler de façon rudimentaire de la nature et du but ou des principes du Falun Gong ou d’expliquer suffisamment pour quelle raison il ne les avait pas.

KaoNote de bas de page 208 : La Mentu Hui est une secte chrétienne interdite en Chine. Le demandeur aurait participé uniquement à quatre cérémonies de cette secte avant de s’en dissocier. La Cour était d’avis que les exigences de la SAR étaient modestes. M. Kao a expliqué que le concept des « trois périodes de Jésus » était au centre de la religion Mentu Hui et de ses croyances personnelles, mais, lorsqu’interrogé à ce sujet, il n’a pas été en mesure de fournir la moindre réponse convaincante.

ZhengNote de bas de page 209 : Le juge Bell déclare « [I]l serait erroné de laisser entendre que l’on ne peut démontrer la sincérité subjective à l’aide de la connaissance objective. […] Certes, je ne donne pas à penser que la connaissance objective représente un élément déterminant de la question des croyances sincères; c’est certainement un facteur de preuve dont la SPR doit tenir compte. »

BouarifNote de bas de page 210 : : La Cour était d’avis que « ne pas être en mesure de répondre à des questions aussi élémentaires que de nommer des fêtes religieuses, ou d’identifier Marie comme étant un des douze apôtres, ou d’offrir un témoignage moins que vague lorsqu’interrogé sur la connaissance de prières […] montre bien que la SAR avait devant elle de la preuve sur laquelle se fonder pour conclure que ce demandeur n’a pas fait la preuve de la sincérité de sa pratique religieuse. »

Bien entendu, les incohérences et l'absence de témoignage suffisamment détaillé ne se limitent pas aux cas fondés sur la religion ou les opinions politiques. Dans tous les cas où un témoignage incohérent ou vague soulève des questions de crédibilité, il est essentiel que les décideurs déterminent s'il y a notamment des obstacles culturels ou psychologiquesNote de bas de page 211 susceptibles d'expliquer la manière dont le témoignage est présenté.

Les Directives numéro 4 du présidentNote de bas de page 212 exposent un certain nombre de raisons pour lesquelles les femmes pourraient avoir des difficultés à témoigner avec le degré de détail auquel les décideurs s'attendent normalement.

Dans les Directives numéro 9 du présidentNote de bas de page 213 il y a une section qui traite de l'évaluation de la crédibilité et des preuves relatives à l’OSIGEG, y compris l'évaluation du témoignage vague et peu détaillé. Comme dans d'autres affaires, dans une affaire concernant une personne ayant diverses OSIGEG, lorsque le décideur conclut que le témoignage est vague, il doit établir s'il y a des obstacles culturels, psychologiques ou d'autre nature, susceptibles d'expliquer la manière dont le témoignage a été présenté.

Le niveau d’instruction d’un demandeurNote de bas de page 214, son âgeNote de bas de page 215 et son expérience sociale antérieure sont également des facteurs à considérer. Ce dernier facteur peut englober un large éventail d'expériences. Dans l'affaire LubanaNote de bas de page 216, par exemple, la Cour a pris en considération le fait que la demandeure était une femme originaire d'une région rurale de l'Inde et qu’elle n'était jamais allée dans un pays occidental auparavant, pour en conclure que l'incapacité de la demandeure de raconter son voyage au Canada d'une façon ordonnée et cohérente ne soulevait aucun problème grave. La Cour a également déclaré qu'elle était disposée à reconnaître qu'en raison des mauvais traitements que la demandeure a subis aux mains de la police en Inde, elle serait devenue méfiante et craintive à l'égard des fonctionnaires, ce qui aurait affecté ses communications avec les autorités canadiennes de l'Immigration. Par conséquent, il était « naturel que la demandeure ne se rappelle pas très clairement les faits entourant sa revendication du statut de réfugié. »

2.2.7 2.2.7. Comportement à l’audience

La Cour a reconnu à de nombreuses reprises qu'aux fins du contrôle judiciaire, la Commission est mieux placée que la Cour pour évaluer la crédibilité du demandeur, puisqu'elle peut le voir à l'audience, observer ses manières et entendre son témoignageNote de bas de page 217. Il est également bien reconnu en droit que la SPR peut évaluer la crédibilité de la preuve en appréciant le comportement général du témoin pendant sa déposition. Cependant, il est important de comprendre que le « comportement » qui sert à évaluer la crédibilité se réfère à la manière dont le demandeur d'asile témoigne.

Dans l’affaire Aguilar Zacarias, la juge Gleason a signalé, qu’à son avis :

… [L]a Commission a utilisé une interprétation inappropriée de la notion du comportement dans son analyse. La SPR a appuyé sa conclusion défavorable concernant la crédibilité en notant que durant l’audience le demandeur était calé dans son siège, « les bras croisés devant sa poitrine » et il semblait « maussade et arrogant », ce qui n’était « pas une attitude à laquelle il est raisonnable de s’attendre de la part d’une personne demandant à un pays étranger de lui sauver la vie » (décision de la SPR, au paragraphe 35). Bien que la Cour ait reconnu que la Commission est bien placée pour évaluer le comportement d’un demandeur d’asile lorsqu’elle tire des conclusions sur la crédibilité de ce dernier, le comportement a trait à la façon dont un demandeur d’asile répond aux questions, à savoir, par exemple, s’il semble incertain ou s’il hésite. Par exemple, dans la décision Gjergo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 303, 131 ACWS (3d) 508, au paragraphe 22, le juge Harrington a écrit : « notre Cour a déjà statué que le tribunal peut prendre en compte le comportement d’un demandeur pendant son témoignage. Lorsque le témoin a de la difficulté à fournir des réponses adéquates et directes, le tribunal peut en tirer des conclusions défavorables ». […] Par contre, des conclusions exagérément subjectives fondées sur la posture d’un témoin ou sur la perception de son attitude n’ont pas leur place dans l’évaluation de la crédibilitéNote de bas de page 218. [soulignement ajouté]

Toutefois, dans Amador Ordonez,Note de bas de page 219 la Cour n’a pas jugé que la référence de l’agent ERAR aux gestes et aux comportements du demandeur, notamment au fait qu’il se tordait les mains ou prenait des pauses pendant son témoignage, rendait sa décision déraisonnable. Tout en reconnaissant qu’il est périlleux pour un décideur de fonder sa décision en s’appuyant uniquement sur le comportement d’un témoin, ici, le comportement du demandeur était un facteur parmi un ensemble de facteurs sur lesquels l’agent s’est appuyé. La Cour a mentionné qu’il était impossible de conclure que les références au comportement du demandeur dans la décision indiquent que l’agent a accordé trop de poids à un aspect en particulier ou que son analyse était entachée de stéréotypes ou de préjugés. Le fait qu’il existait d’autres explications plausibles ne rendait pas les conclusions de l’agent déraisonnables pour autant.

Les Directives numéro 9Note de bas de page 220 mettent en garde contre l'utilisation de stéréotypes comportementaux comme indication de l'orientation sexuelle. Avant même la publication des Directives numéro 9, la Cour fédérale rendait des décisions dans le même sens. Dans l’affaire Herrera, le juge Teitelbaum écrit :

Il n'y a vraiment aucune raison pour la Commission de même mentionner le « caractère efféminé » du demandeur, ou son absence, dans sa décision, à moins qu'elle présume qu'un homosexuel doit être efféminé dans son apparence ou sa conduite .[…]. C'est un stéréotype complètement discrédité qui ne devrait avoir aucune incidence sur le jugement de la Commission en ce qui concerne la crédibilité du demandeur.

… Les homosexuels font l'objet de nombreux préjugés, desquels font partie les stéréotypes sur l'efféminement. Le manque d'efféminement du demandeur n'est pas un motif valable pour mettre en doute sa crédibilité lorsqu'il affirme être un homosexuel… [soulignement ajouté]Note de bas de page 221

Bien qu'il faille être très prudent avant de fonder une conclusion de manque de crédibilité d'un demandeur d'asile sur sa conduite, un tribunal peut tenir compte, à bon droit, de la manière dont le témoin répond aux questions, ses hésitations, le manque de précision de ses propos, le fait qu’il modifie ou étoffe sa version des faits, et sa mémoireNote de bas de page 222.

Quelques exemples de comportementsNote de bas de page 223 qui ont été jugés avoir miné la crédibilité peuvent être constatés dans les affaires suivantes:

Exantus : Le demandeur manquait souvent de spontanéité dans ses réponses et le commissaire devait souvent répéter ses questions plusieurs fois avant d’obtenir une réponse directe du demandeur.

Radics : Le demandeur principal s'était montré « très réticent » dans son témoignage au sujet des événements qu'il affirmait avoir vécus, au point qu’il avait fallu poser la même question trois fois avant que le demandeur principal ne donne une réponse, réponse que la SPR a finalement jugée non crédible.

Abbas : « L’examen de la transcription écrite du témoignage de M. Sheikh […] révèle le genre de témoignage, que la SPR a estimé être vague, évasif et indirect, et au cours duquel le demandeur ne répond pas aux questions directes, dont plusieurs ont dû être répétées et précisées. »

Kao : La SPR a conclu que le comportement de M. Kao, combiné à son incapacité à répondre spontanément aux autres questions, donnait à penser qu’il avait mémorisé le récit circonstancié figurant dans son formulaire FDA et qu’il en réitérait simplement son contenu. Le demandeur récitait l’exposé de son formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA], malgré que la SPR l’ait interrompu à un certain nombre de reprises, le pressant de répondre aux questions qui lui étaient posées.

Li : La demandeure a offert au sujet de la descente dans la maison-église, un événement important et déterminant, un témoignage vague et qui semblait avoir été mémorisé parce que, quand elle s’est vu demander des détails, elle a répété l’information générale et n’a pas pu fournir de détails simples sur ce qui s’est passé, et ce malgré que le commissaire de la SPR ait offert amplement l’occasion à Mme Li de décrire cet incident, lui ait donné l’occasion de se calmer et lui ait posé des questions claires et ouvertes.

Toutefois, le comportement d’un témoin n’est pas un indice infaillible permettant de déterminer s’il dit la vérité ou s’il est crédible. Il faut faire preuve de beaucoup de circonspection avant de fonder une conclusion d’absence de crédibilité d’un demandeur sur son comportement. Par exemple, les traits de personnalité d’un individu et les antécédents culturels peuvent laisser une impression erronée du témoin. Dans l’affaire Tkachuk où la Commission a tiré des inférences défavorables de l’élocution assurée du demandeur et du fait que ses réponses se révélaient parfois plus détaillées que ne l’exigeait la question, la Cour note:

…Même si le comportement du demandeur n’était pas le seul fondement des conclusions défavorables sur la crédibilité, il semble en avoir été un facteur important, ce qui soulève le point de savoir comment au juste on voudrait voir un demandeur d’asile répondre aux questions. Il semble en effet qu’on puisse tirer des inférences défavorables aussi bien de réponses hésitantes et vagues que de réponses explicites formulées avec assurance. Il est vrai que la Cour ne devrait pas reconsidérer les remarques ou conclusions de la Commission touchant le comportement, étant donné que cette dernière a observé le demandeur d’asile alors que la Cour ne l’a pas fait, mais, dans en l’espèce, les conclusions de la Commission ne découlent pas logiquement de son observation du comportement du demandeur ni du témoignage de celui ci consigné au dossier. En outre, la Commission ne paraît pas avoir pris en considération que le demandeur a occupé un grade élevé dans la police, et que son assurance pourrait être attribuable à son expérience et à sa professionNote de bas de page 224. [soulignement ajouté]

De nombreuses raisons pourraient expliquer qu’un demandeur ne soit pas aussi émotif que ce à quoi la Commission s’attend, dont les différences culturelles, les difficultés de traduction ou un caractère stoïqueNote de bas de page 225. L’état psychologique du demandeur, notamment découlant d’expériences traumatisantes antérieures peut influer sur sa capacité à témoignerNote de bas de page 226. Lorsque la SPR conclut que le demandeur n’est pas crédible, le fait de ne pas mentionner un tel facteur dans ses motifs peut constituer une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

Ce n'est que dans un cas exceptionnel que le comportement du demandeur suffirait à saper la crédibilité du témoignage fourni à l'appui d'une demande d'asile. Généralement, un comportement contestable est accompagné d’autres indices tendant à indiquer un manque de crédibilité. En règle générale, les tribunaux ont tenté d’amoindrir le rôle du comportement dans l’évaluation finale de la crédibilitéNote de bas de page 227.

Les évaluations de la crédibilité qui reposent sur le comportement peuvent faire l’objet d’un examen minutieux lors d’un contrôle judiciaire. En conséquence, les conclusions tirées à cet égard doivent être assorties de motifs clairsNote de bas de page 228.

2.2.8 Retard à demander l’asile et autres comportements incompatibles

Le retard à demander l’asile ne constitue pas un obstacle automatique à la présentation d’une demande d’asile. Les demandeurs d’asile ne sont pas tenus, suivant la Convention relative au statut des réfugiés, de demander l’asile dans le premier pays où ils se rendent après leur fuite ou dans le pays le plus proche de leur pays d’origineNote de bas de page 229.

Toutefois, la Cour d’appel fédérale a statué que le retard à demander le statut de réfugié constitue néanmoins un facteur pertinent et possiblement important dont la Commission peut tenir compte en examinant une revendication du statut de réfugiéNote de bas de page 230.

On s’attend généralement à ce qu’un demandeur d’asile ayant une crainte véritable de persécution ou d’un préjudice énoncé à l'article 97 de la LIPR s’empresserait de demander la protection à la première occasionNote de bas de page 231. Par conséquent, le retard à demander l’asile peut être incompatible avec une crainte subjective alléguée, un élément essentiel d’une demande d’asile fondée sur l’article 96. De même, dans les demandes présentées en vertu du paragraphe 97(1) où le risque est évalué sur une base objective sans tenir compte de l'élément subjectif de la crainte, la Cour fédérale a statué que le retard peut être l'un des facteurs pris en considération pour déterminer la crédibilité d’un demandeurNote de bas de page 232.

Or, la Cour d’appel a fait remarquer que la crédibilité de la crainte d’un demandeur ne peut être réfutée uniquement au motif qu’il a tardé à demander le statut de réfugiéNote de bas de page 233. Dans Huerta, le juge Létourneau a écrit ce qui suit : « Le retard à formuler une demande de statut de réfugié n’est pas un facteur déterminant en soi. Il demeure cependant un élément pertinent dont le tribunal peut tenir compte pour apprécier les dires ainsi que les faits et gestes d’un revendicateurNote de bas de page 234. »

Dans une série de jugements, certains juges de la Cour fédérale ont établi que la décision Huerta énonce un principe général et que, bien qu’un retard en soi ne justifie pas le rejet de la demande d’asile car le demandeur peut être en mesure de l’expliquer de façon satisfaisante, il peut néanmoins, compte tenu des circonstances, constituer un motif suffisant pour rejeter la demande d’asile. En dernière analyse, cette décision dépend des faits particuliers de l’affaireNote de bas de page 235.

La Cour fédérale a maintenu, notamment dans les décisions suivantes, le rejet, fondé sur les articles 96 et 97 de la LIPR, de demandes d’asile par la SPR en raison du retard excessif à demander l’asile ou du retour dans le pays de persécution alléguée qui, selon la SPR, dénotait l’absence de crainte subjective ou un manque de crédibilité:

DuarteNote de bas de page 236 Le retour de la demandeure à Cuba après son arrivée au Canada à la suite de sa première arrestation et son retard à demander le statut de réfugié au Canada ont été cités comme des actions incompatibles avec sa prétention à avoir une crainte subjective de persécution. La SPR n'a pas accepté son explication de devoir retourner à Cuba pour transférer sa maison à sa mère comme étant compatible avec une crainte subjective crédible de persécution.

EspinosaNote de bas de page 237 Étant donné la prétendue crainte du demandeur d'être emprisonné, torturé et tué au Mexique en raison de son orientation sexuelle, la SSR a jugé inexplicable le délai de 14 mois avant que le demandeur revendique le statut de réfugié. Bien que le demandeur ait été autorisé de séjour à titre de visiteur pendant les premiers six mois et ait pu ne pas ressentir alors le besoin urgent de revendiquer le statut de réfugié, il n'a pu fournir d'explications pour son retard par la suite. La Cour a donné raison à la SSR lorsque celle-ci a déclaré que l’importance à accorder au retard dépend des faits d’espèce, et que plus un retard est inexplicable, plus l’absence d’une crainte subjective est probable. La Cour a estimé qu’il n'était pas déraisonnable pour la SSR de conclure, sur le fondement de la preuve dont elle était saisie, que l'inaction du demandeur après son arrivée au Canada démontrait qu'il ne craignait pas de subir un préjudice grave au Mexique, et qu'ainsi sa demande n'avait « pas de fondement subjectif ».

Pina GaeteNote de bas de page 238 La demande d’asile était fondée sur le risque qu’un gang de trafiquants de drogue assassine la famille ou leur cause de graves préjudices. Selon la Cour, la Commission avait des motifs valables de conclure que le retard important (trois ans) du demandeur à faire une demande d’asile minait son allégation selon laquelle lui et sa famille seraient exposés au risque de subir de graves préjudices au Chili s’ils devaient y retourner. [soulignement ajouté]

LicaoNote de bas de page 239 La Commission n’a pas accepté qu’une famille qui avait quitté les Philippines parce que ses membres craignaient pour leur vie, comme ils l’ont prétendu, coure le risque de ne pas voir renouveler ses visas de visiteurs à quatre reprises avant de demander le statut de réfugié. La conduite des demandeurs n’était pas celle de personnes exposées à un risque et à la crainte dans laquelle ils disaient vivreaux Philippines. [soulignement ajouté]

PaulNote de bas de page 240 Le demandeur était au Canada depuis près de quatre ans avant qu’il n’y demande l’asile. Il avait un visa de travail valide pour la première année, pourtant, il n’a pas jugé bon de régulariser son statut avant l’expiration du visa. La SPR a tiré des conclusions négatives quant à la crédibilité du demandeur en se basant spécifiquement sur le comportement du demandeur. Le manquement d’un demandeur d’asile à régulariser rapidement son statut, sans être déterminant en soi, est un élément pertinent.

Dans une décision récenteNote de bas de page 241, la Cour fédérale énonce que, pour évaluer l’importance du retard à présenter une demande d’asile, il faut répondre à trois questions de fait essentielles. Premièrement, selon le demandeur d’asile, à quel moment sa crainte subjective de persécution s’est-elle cristallisée? Deuxièmement, à quel moment le demandeur d’asile a-t-il eu sa première occasion de présenter une demande d’asile? Et troisièmement, pourquoi, selon le demandeur d’asile, n’a-t-il pas saisi cette occasion? Seul un retard inexpliqué après que la crainte s’est cristallisée et après la première occasion de présenter une demande d’asile peut raisonnablement appuyer la conclusion selon laquelle la crainte subjective ne devrait pas être considérée comme fondée.

La durée du retard, doit être appréciée au regard du moment où la crainte du demandeur d’asile a pris naissance, selon son récit personnelNote de bas de page 242. Pour les demandes sur place, la date à laquelle l’intéressé apprend qu’il pourrait être persécuté ou exposé à un risque énuméré au paragraphe 97(1) à son retour dans son pays de nationalité est la date pertinente et non la date de son arrivée au CanadaNote de bas de page 243.

Dans les cas où une demande est fondée sur plusieurs actes de discrimination ou de harcèlement qui se terminent par un incident qui force la personne à quitter son pays, on ne peut pas considérer la question du retard comme un facteur important pour mettre en doute la crainte subjective de persécution. Les actes cumulatifs susceptibles de constituer de la persécution s'étalent sur une certaine période. Dans les cas où la demande d'une personne est en fait fondée sur plusieurs incidents qui se sont produits au cours d'une certaine période et qui sont susceptibles de constituer de la persécution du fait de leur nature cumulative, tenir compte du moment auquel la discrimination ou le harcèlement a commencé par rapport au moment où la personne en cause quitte le pays pour justifier le rejet de la demande en raison du retard revient à miner la notion même de persécution cumulativeNote de bas de page 244.

La SPR devra enquêter et se pencher sur les circonstances propres au demandeur d’asile qui ont donné lieu au retard dans chaque cas pour déterminer si celui-ci est l’indice d’une absence de crainte. Par exemple, les Directives sur l’OSIGEG font remarquer que les mêmes facteurs, tels les obstacles culturels ou psychologiques, qui peuvent expliquer raisonnablement les incohérences ou les omissions dans le récit d’un demandeur peuvent également avoir une incidence directe sur l’importance du retard à présenter une demande d’asileNote de bas de page 245. La SPR devrait garder à l’esprit les circonstances et les pressions particulières auxquelles peuvent faire face les réfugiés, comme l’état psychologique ou la vulnérabilité de femmes victimes de violenceNote de bas de page 246 ou l’âge du demandeurNote de bas de page 247.

Dans d’autres circonstances, le défaut de demander l'asile sans délai n'a pas été jugé raisonnablement expliqué. Par exemple, dans l'affaire DahalNote de bas de page 248, la Cour a estimé qu'il était raisonnable que la SAR souscrive à la décision de la SPR qui avait tiré une conclusion défavorable à l’égard de la crédibilité de M. Dahal, et avait conclu que le fait qu’il avait tardé de deux ans à présenter sa demande d’asile au Canada indiquait l’absence de crainte subjective de sa part. La SPR a conclu que son explication était qu’il connaissait très peu la procédure relative aux demandes d’asile n’était pas raisonnable étant donné le niveau d’éducation de M. Dahal, sa capacité démontrée à se procurer des permis de travail dans deux pays, et les discussions qu’il avait eues avec diverses personnes concernant les moyens à prendre pour pouvoir demeurer au Canada.

Les décideurs doivent exprimer clairement et motiver leurs conclusions quant à la crédibilité de l’explication avancée par le demandeur d’asile relativement à son comportementNote de bas de page 249.  

Les actes ou omissions suivants, pris isolément ou, comme c'est plus souvent le cas, considérés en combinaison avec d'autres comportements incompatibles, peuvent amener à conclure à une absence de crainte subjective et à un manque de crédibilité, mais uniquement si le demandeur ne fournit pas d'explications raisonnables :

  • Ne pas avoir fui son pays d’origine à la première occasion après les menaces sérieuses ou les incidents graves indiquant une volonté de porter atteinte au demandeurNote de bas de page 250.

    Enyinnayaeke : La Cour était d’avis qu’il était raisonnable pour la SAR de juger improbable qu’il ait fallu sept ans au demandeur après avoir été menacé pour trouver un moyen de quitter le Nigéria, s’il éprouvait véritablement une crainte subjective.

    Osinowo : La SPR et SAR avaient conclu qu’il était absurde qu’il se cache au Nigeria pendant deux mois en espérant qu’un visa canadien lui serait délivré peu de temps après qu’il s’en était vu refuser un, alors qu’il avait un visa valide pour entrées multiples au R.-U. et qu’il y avait déjà voyagé. La Cour a conclu qu’il était loisible à la SPR de tirer ces conclusions, même si d’autres décideurs auraient pu trancher différemment.

    Gebremichael : Les demandeurs d’asile sont restés cachés dans leur pays pendant un mois, même s’ils avaient obtenu des visas pour les États-Unis. La Commission a tiré une conclusion défavorable au sujet de leur crainte subjective, conclusion que la Cour a confirmée, soutenant qu’elle était raisonnable et bien motivée. Il est toutefois intéressant de signaler que la Cour a déclaré, à titre d’introduction de son analyse de la question, que, habituellement, il peut être justifié pour une personne de tarder à fuir un pays si elle vit cachée à ce moment-là. [soulignement ajouté]

  • Ne pas s’être caché immédiatement après avoir appris qu’il était en danger, pris des précautions ou modifié sa routine.Note de bas de page 251

    Dans les cas suivants, les préoccupations de la SPR ont été confirmées :

    Abolupe : La SAR a raisonnablement conclu qu’il était incohérent et invraisemblable que le demandeur, qui prétendait se cacher de la police qui le recherchait parce qu’il avait été identifié comme un membre de la communauté LGBTIQ, continue à se rendre, pendant 5 mois, au même travail à la banque où il avait travaillé au cours des 12 années précédentes jusqu’à son départ du Nigéria.

    Tang : Il était raisonnable de dire que si la demandeure croyait qu’elle avait besoin de la protection internationale, elle aurait au moins pris des mesures minimales, comme trouver un appartement différent ou quitter la ville avant de fuir au Canada.

    Noël : La demandeure a été kidnappée mais l'un de ses ravisseurs l'a libérée lorsqu'il a appris que les autres avaient décidé de la tuer. Elle est retournée directement chez elle, le premier endroit où son ex-conjoint, l'agent du préjudice, l’aurait cherchée, et elle y est restée du 8 juin au 22 juin 2016. Elle a essayé de justifier son comportement en disant qu’elle était certaine que son ex-conjoint la retrouverait partout en Haïti et que de toute façon, elle devait être chez elle à Port-au-Prince pour récupérer son passeport à l’ambassade canadienne, ce qu’elle a fait immédiatement le lendemain de son retour. La Cour était d’avis qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure que le comportement de la demandeure était incompatible avec une crainte réelle de mauvais traitement.

    Par contre :

    Fernando : La Cour a conclu que le délai de deux mois qui a précédé le départ du demandeur d’asile du Mexique n’était pas déraisonnable dans les circonstances, étant donné que le demandeur a expliqué qu’il était demeuré à couvert.

    Guarin Caicedo : La demandeure d’asile a retardé son départ du pays après avoir reçu la première menace, alors qu’elle était déjà en possession d’un visa valide pour les États-Unis. Le juge Near n’estimait pas que le délai avant de quitter la Colombie était déraisonnable au point de mener à la conclusion que la demandeure n’était pas crédible, surtout considérant tout ce qu’elle a fait pour demeurer à couvert:

    […] un délai de six semaines pour prendre des mesures permanentes afin de quitter votre famille, votre maison et votre pays tout en recevant des menaces d’une gravité croissante ne me semble pas abusif, étant donné, surtout, que la demanderesse principale a fait tout ce qu’elle pouvait raisonnablement faire pour demeurer à couvert : elle a cessé de faire du bénévolat et d’aller au bureau du parti, elle a changé son numéro de téléphone et elle est partie dès qu’elle a décidé que c’était là sa seule option.

  • Ne pas avoir demandé le statut de réfugié au sens de la Convention dans un pays signataire de la Convention relative au statut des réfugiés où l’on a résidé ou séjourné ou par lequel on a passé avant de venir au CanadaNote de bas de page 252.

    Rana : La SPR a conclu que le défaut du demandeur de demander l’asile pendant les 19 mois qu’il a vécu et travaillé illégalement aux États Unis ne correspond pas au comportement attendu d’une personne qui craint pour sa vie. La Cour était d’avis que la décision de la SPR était raisonnable.

    Gaprindashvili : La SPR a examiné le long séjour (15 mois) du demandeur en France avant sa venue au Canada et elle n’a pas retenu l’explication du demandeur selon laquelle il attendait qu’on lui délivre des documents avant de partir. Compte tenu de la durée du séjour temporaire et du fait que la France est signataire de la Convention de Genève, le tribunal a conclu qu’il n’était pas déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur ait cherché à obtenir l’asile en France. La Cour a conclu que la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle lors de son examen de cette question, qui, en outre n’était pas déterminante à l’égard du refus de la demande d’asile.

    Mirzaee : La Cour écrit, « …Mme Mirzaee n’a fourni aucune explication raisonnable quant à la raison pour laquelle elle n’a pas demandé l’asile aux États Unis. Au contraire, la preuve montre qu’il s’agissait d’un calcul bien dosé de sa part, puisqu’elle a en fait soupesé les avantages et les inconvénients des diverses options possibles avant de décider de demander l’asile au Canada. Son comportement recèle toutes les caractéristiques de celui d’une personne à la recherche du meilleur pays d’asile. Par conséquent, il était entièrement raisonnable que la SPR conclue que, dans les circonstances, son comportement ne concordait pas avec une crainte subjective de persécution. Il est bien reconnu que le défaut de demander l’asile à la première occasion et le retour dans le pays de persécution sont des facteurs qui minent la crédibilité de la crainte subjective des demandeurs d’asile »

  • Parmi les motifs les plus souvent soulevés pour le défaut de demander l’asile dans le ou les pays tiers sont :

    • Un statut légal dans le tiers pays Il y a de la jurisprudence qui suggère que lorsque le demandeur a un statut légal dans le tiers pays et n’est pas alors à risque d’être renvoyé, il n’est pas raisonnable de tirer une inférence négative quant au fait que ce dernier n’a pas demandé l’asile dans ce pays. Voir par exemple Salomon:Note de bas de page 253

      Pour ce qui est de la décision des demandeurs de se rendre des États-Unis au Canada avant de demander l’asile, la Section de la protection des réfugiés a conclu que l’explication des demandeurs selon laquelle ils n’ont pas de proches aux États-Unis (contrairement au Canada) n’était pas raisonnable. Étant donné que les demandeurs se trouvaient légalement aux États-Unis en application d’un visa valide (et qu’ils ne risquaient donc pas d’être déportés de façon imminente), je suis d’avis que l’attente de la Section de la protection des réfugiés, selon laquelle les personnes qui sont véritablement à risque demanderaient nécessairement l’asile à la première occasion, est déraisonnable puisqu’elle n’est pas dûment justifiée, transparente et intelligible. Je ne comprends pas pourquoi la Section de la protection des réfugiés n’était pas convaincue par le fait que des personnes dans la situation dans laquelle les demandeurs affirmaient se trouver, puissent souhaiter venir au Canada pour demander l’asile.

    • L’intention de venir au Canada (escale) Dans plusieurs décisions, la Cour a conclu qu’une courte escale était sans importance ou que le demandeur avait fourni des explications plausibles et non contredites pour ne pas avoir tenté de demeurer ou de demander le statut de réfugié dans les divers pays qu’il avait traversés avant d’arriver au Canada. Par exemple, dans Nel,Note de bas de page 254 où les demandeurs ont passé environ sept heures dans un aéroport du Royaume-Uni en attendant un vol à destination du Canada, la Cour a jugé que la SPR avait commis une erreur en concluant à l’absence de crainte subjective sur la base de leur brève escale. La Cour a noté qu’il n’est pas étonnant que ceux qui craignent réellement la persécution veuillent aller dans un pays où leur demande d’asile a le plus de chances d’être accueillie.
    • La présence de membres de leur famille au Canada : Le défaut de demander l’asile dans un pays de transit parce que le demandeur d’asile préfère demander l’asile au Canada du fait qu’il y a de la famille peut constituer un motif valide pour ne pas demander l’asile à la première occasionNote de bas de page 255.

      Toutefois, le fait d'avoir un parent au Canada ne constitue pas toujours une excuse raisonnable pour ne pas demander la protection ailleurs. Le fait de ne pas avoir demandé l'asile avant d'arriver au Canada est un facteur légitime que la Commission peut prendre en considération pour évaluer les aspects subjectifs d'une demande d'asile, mais ce facteur doit être évalué à la lumière des autres facteurs pertinents. Par exemple, dans NdambiNote de bas de page 256, la Cour était d’avis que la SPR avait amplement de preuve pour conclure que le demandeur n’avait pas de crainte subjective. Le fait que le demandeur d'asile ait choisi de ne pas quitter son pays que plus de deux semaines après la délivrance des visas pour les États-Unis et la Belgique, ainsi que le fait qu'il n'ait pas présenté de demande d'asile aux États-Unis constituaient, selon la Cour, une preuve solide pour conclure comme l'a fait la SPR. Son choix de venir au Canada parce que c'est là que se trouvait son neveu était davantage un choix conscient à des fins d'immigration qu'une décision de chercher refuge là où on le pouvait.

    • ​L’ignorance du processus La crédibilité de cette explication est remise en question dans les cas où le demandeur a fait preuve de débrouillardise dans le cadre d'autres procédures d'immigration ou lorsque d'autres membres de sa famille ont déjà demandé l'asile. Par exemple, dans l’affaire PerezNote de bas de page 257, la Cour a confirmé la décision de la Commission portant que le demandeur d'asile, qui a passé cinq ans aux États-Unis avant de demander l'asile au Canada, n'avait pas produit de preuve convaincante de sa crainte subjective. Son témoignage selon lequel il ignorait qu'il pouvait demander l'asile aux États-Unis a été déclaré invraisemblable à la lumière des nombreuses tentatives qu'il a faites pour rester dans ce pays dans le cadre d'un autre programme des États-Unis qui offrait une protection temporaire.

      Dans l'affaire IdahosaNote de bas de page 258, la crédibilité de l'ignorance professée par la demandeure principale à l'égard du droit et des politiques américaines en matière de réfugiés a été minée par l'explication qu'elle a donnée de sa décision de venir au Canada. Elle a témoigné qu'en tant que « personne intellectuelle » et « femme très instruite qui parle couramment l'anglais », elle était préoccupée par les changements à venir dans les politiques américaines relatives aux réfugiés.

      Dans l’affaire PenaNote de bas de page 259, la Cour a conclu que le défaut de demander l’asile aux États-Unis d’Amérique pendant 2 ans et demi alors que la demandeure faisait face à une menace de déportation dénotait une absence de crainte subjective, considérant que la demandeure était une voyageuse sophistiquée et les membres de sa famille possédaient de l’expérience dans l’obtention de conseils requis pour demander l’asile.

    • Des chances de réussite faiblesNote de bas de page 260 Dans Gurusamy, la SPR a conclu que le demandeur n'avait pas de crainte subjective car il n'avait pas fait de demande aux Etats-Unis. L'explication du demandeur était qu'il avait été informé par des amis précédemment employés à l'ambassade du Sri Lanka que, s'il le faisait, il serait expulsé vers le Sri Lanka. Il serait déraisonnable d'attendre de lui qu'il s'adresse à un gouvernement étranger alors qu'il estimait que cette démarche était futile. La SPR n'a pas reconnu ni évalué cette explication. La Cour a jugé déraisonnable l'utilisation par la SPR du transit du requérant par les États-Unis, considérant que « Aucune personne saine d'esprit ne chercherait à obtenir une protection dans un pays qui ne la protégera pas, ou dont elle croit qu'il ne la protégera pas ».

      Dans Pelaez, le demandeur a expliqué qu’il n’a pas demandé l’asile aux États-Unis parce qu’il n’avait cherché qu’à fuir temporairement son pays pour se faire oublier. Il a également soutenu qu’une demande d’asile aurait de toute façon été illusoire aux États-Unis, dans la mesure où la législation de ce pays ne reconnaît pas les risques découlant de la criminalité, comme c’était le cas au Canada avant l’introduction de l’article 97 dans la Loi. La Cour était d’avis que ces explications méritaient à tout le moins d’être considérées par le tribunal.

      Dans Nel, la SPR a jugé que le défaut de demander l’asile pendant une brève escale en transit au Canada constituait un motif suffisant pour conclure à l’absence de crainte subjective. Les demandeurs ont expliqué qu’ils avaient décidé de demander l’asile au Canada parce qu’ils ont appris qu’un autre Blanc d’Afrique du Sud y avait été accepté. La Cour admet que la recherche d’un tribunal favorable pourrait être pertinente du point de vue de la politique publique, mais estime que l’explication des demandeurs n’était pas incompatible avec une crainte subjective de persécution. Comme observe la Cour :

      Au contraire, il n’est pas étonnant que ceux qui craignent réellement la persécution veuillent aller dans un pays où leur demande d’asile a le plus de chances d’être accueillie, car s’ils sont déboutés, le prix à payer est le retour à la persécution redoutée.

      Le rejet non motivé de l’explication a rendu la conclusion de la SPR non transparente.

  • Ne pas avoir attendu l’issue d’une demande d’asile faite dans un pays avant de venir au CanadaNote de bas de page 261.

    Bains : Le demandeur d'asile de l'Inde avait demandé l'asile en Angleterre. Comme il était toujours sans nouvelles au bout de cinq ou six ans, il a quitté le pays parce qu'il avait entendu dire que les autorités britanniques renvoyaient les demandeurs d'asile en attente d'une décision. La Cour a constaté que les autorités britanniques avaient clairement indiqué que le demandeur d'asile ne serait pas expulsé avant qu'une décision soit rendue à son égard. La Cour a statué qu'il était raisonnable pour la SSR de conclure que sa décision de quitter l'Angleterre démontrait que le demandeur d'asile n’avait pas de crainte subjective.

    Murugathas : La Commission avait le droit d’examiner l’importance du fait que le demandeur n’avait pas poursuivi sa demande américaine, d’autant plus qu’il avait déjà passé l’entrevue préliminaire visant à déterminer la crédibilité de la crainte. Même si M. Murugathas peut avoir eu des raisons de préférer vivre au Canada, la conclusion de la Commission selon laquelle sa conduite démontrait un manque de crainte subjective de retourner au Sri Lanka n’était pas déraisonnable.

    El Atrash : Dans cette affaire, la Cour a estimé que l’approche de la SPR à l’égard du désistement du demandeur de sa demande d’asile aux États-Unis était déraisonnable. Le demandeur libyen avait présenté la demande en 2015, mais avant qu’une audience ne soit tenue, il s’est désisté de la demande et est venu au Canada en mars 2017. Selon la Cour :

    Même s’il est vrai que sa demande d’asile n’aurait pas été annulée du fait de l’adoption, par le gouvernement américain, d’une politique permettant de refuser l’entrée au pays aux ressortissants d’un certain nombre de pays, dont la Libye, il est raisonnable d’accepter l’explication du demandeur selon laquelle il croyait que sa demande ne ferait pas l’objet d’un examen juste dans un tel climat politique.

    Kassab: La SPR était d’avis que le demandeur n’avait pas établi de façon crédible l’élément subjectif de sa crainte parce qu’il avait renoncé à sa demande d’asile aux États-Unis. Dans sa décision, la SPR a noté que le demandeur avait fait état d’une crainte fondée sur le climat d’islamophobie et sur les politiques ciblées contre les musulmans aux États-Unis. Le demandeur a affirmé que c’est l’un des facteurs dont il a tenu en compte lorsqu’il a décidé de fuir les États-Unis, ne voulant pas attendre une issue qu’il croyait inévitable. La SPR n’a pas expliqué pourquoi elle n’a pas analysé ce motif de crainte. La Cour a jugé cette omission déraisonnable et a dit que le fait que le demandeur n’ait pas complété ses démarches d’asile aux États-Unis ne justifiait pas l’analyse incomplète du dossier.

  • Être rentré de son plein gré dans son pays d’origineNote de bas de page 262, avoir obtenu un passeport ou des documents de voyage ou les avoir fait renouvelerNote de bas de page 263, ou partir ou émigrer en suivant les voies légalesNote de bas de page 264. Cependant, bien que le fait de retourner dans son pays, de renouveler un passeport ou de quitter le pays par des voies légales puisse être un indice d'un manque de crédibilité concernant l'existence d'un risque ou d'une crainte subjective, aucun de ces comportements n'est déterminant. La Cour a annulé des décisions dans lesquelles la Commission n'a pas tenu compte de toutes les circonstances ou a ignoré les explications raisonnables d'un demandeur pour avoir agi d'une manière qui, à première vue, semblait incompatible avec une crainte subjective.

    Par exemple, la Cour a jugé qu’il était déraisonnable de conclure à l’absence de crainte subjective dans des cas où une personne retourne dans son pays temporairement mais y reste cachée ou très éloignée de ses agents de préjudiceNote de bas de page 265.

    La conclusion de la SAR dans l’affaire AsriNote de bas de page 266 offre un autre exemple de ce que la Cour considère une erreur déraisonnable. Le demandeur a témoigné qu’il avait fait un aller-retour en Azerbaïdjan pour fournir des renseignements biométriques au consulat canadien en vue de sa demande de visa. Pour la SAR, son retour en Iran contredisait sa crainte alléguée; affirmant que le demandeur aurait pu venir au Canada depuis l’Azerbaïdjan sans expliquer comment. Selon la Cour, il n’y avait aucun élément de preuve démontrant que le demandeur d’asile iranien ait pu continuer de se rendre jusqu’au Canada à partir de l’Azerbaïdjan sans retourner en Iran.

    La plupart des décisions concernant les demandeurs d'asile qui font la demande et obtiennent des documents officiels tels que des passeports d'un pays dans lequel ils prétendent risquer d'être persécutés ou de subir d'autres préjudices graves sont analysées en termes de crainte subjective et de crédibilitéNote de bas de page 267, en particulier si l'agent de persécution ou de préjudice qu’ils prétendent craindre est lié au gouvernement.

    Dans ChandrakumarNote de bas de page 268, la SSR a statué que le renouvellement par le requérant principal de son passeport sri lankais en Allemagne indiquait qu'il s'était réclamé à nouveau de la protection du Sri Lanka. À l’avis de la Cour, cette conclusion était déraisonnable. La SSR avait conclu à tort que le simple fait de renouveler son passeport à l’extérieur du pays de nationalité, sans plus, constituait un geste suffisant pour démontrer qu’on se réclame à nouveau de la protection de son pays. La SSR a omis d’analyser l'intentionNote de bas de page 269 du requérant principal lorsqu'il a renouvelé son passeport.

    L’affaire CamayoNote de bas de page 270, traite de l’utilisation, plutôt que de l’obtention, du passeport, mais elle sert de mise en garde en ce qui concerne l’évaluation de l’intention de se réclamer à nouveau de la protection de son pays. La Cour a conclu que le fait d’interpréter l’utilisation du passeport en soi comme remplissant les trois facteurs essentiels et conjonctifs relatifs au fait de se réclamer de la protection de son pays de nationalité (la volonté, l’intention et le succès de l’action) ne laissait aucune marge de manœuvre à Mme Camayo pour démontrer que, bien qu’elle ait acquis et utilisé son passeport, elle n’avait pas l’intention de se réclamer de la protection de son pays.

  • Avoir tardé à demander le statut de réfugié au Canada. La Cour d’appel fédérale a établi le principe de base dans l’affaire HuertaNote de bas de page 271, où elle dit :

    Le retard à formuler une demande de statut de réfugié n'est pas un facteur déterminant en soi. Il demeure cependant un élément pertinent dont le tribunal peut tenir compte pour apprécier les dires ainsi que les faits et gestes d'un revendicateur.

    Cependant, une demande peut être fondée même si elle n’a pas été faite à la première occasion possible. Le véritable réfugié peut fort bien attendre d’être en sécurité dans le pays avant de présenter sa demande et on ne peut s’attendre dans tous les cas à ce que la demande soit faite au point d’entrée.

    Par exemple, dans l’affaire AsriNote de bas de page 272, la SAR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité des allégations et de la crainte subjective de l’appelant qui avait attendu sept mois pour présenter sa demande d’asile. Il a expliqué que lorsqu’il s’est retrouvé au Canada en sécurité, muni d’un visa de visiteur, il a suivi les conseils du passeur qui l’avait aidé et lui avait indiqué qu’il le communiquerait avec lui pour l’informer des prochaines mesures à prendre pour légaliser son statut de manière permanente. Selon la Cour, cette explication n’avait rien d’intrinsèquement invraisemblable. Le demandeur venait d’arriver au Canada, il était nerveux et il ignorait comment présenter une demande d’asile. Pourquoi n’attendrait il pas d’avoir des nouvelles d’un passeur qui avait gagné sa confiance en le faisant sortir d’Iran et entrer au Canada en toute sécurité? Le visa de visiteur garantissait sa sécurité au Canada. Il a fini par communiquer avec un avocat parce que le passeur n’avait pas communiqué avec lui comme il avait promis de le faire pour lui donner des conseils sur les prochaines mesures à prendre pour légitimer son statut au Canada.

    La possession d'un statut légal au Canada est une raison souvent invoquée par les demandeurs pour expliquer pourquoi ils n'ont pas présenté de demande d'asile à leur arrivée au Canada.

    Par exemple, dans l’affaire GyawaliNote de bas de page 273, le demandeur avait fui le Népal par crainte de persécution, mais il est arrivé au Canada avec un permis d’étudiant en règle et il a fait une demande de résidence permanente. Ce n’est que lorsque sa famille n’était plus en mesure de financer ses études que la menace d’un renvoi est devenue plus concrète et qu’il a demandé l’asile. La SPR a conclu que le délai de 17 mois qui s'était écoulé entre son arrivée au Canada et le dépôt de sa revendication du statut de réfugié ne s'accordait pas avec une véritable crainte subjective de persécution et nuisait à sa crédibilité générale. Le demandeur d'asile a affirmé qu'il n'avait aucune obligation de présenter une demande d'asile antérieure puisque, entre la date de son arrivée au Canada et la date de présentation de sa demande, il avait un statut temporaire valide et n'était pas dans une situation où il serait forcé de retourner au Népal. La Cour lui a donné raison, statuant que dans ces circonstances, le fait qu'il ait tardé à demander le statut de réfugié à son arrivée ne pouvait pas, à lui seul, permettre à la SPR de douter de la crédibilité du demandeur d'asile. [soulignement ajouté]

    Le véritable réfugié pourrait ne pas être au courant de son droit de demander le statut de réfugié et pourrait être demeuré au pays pendant un certain temps avant de connaître l’existence de la procédure canadienne en matière de détermination du statut de réfugié, comme cela s'est produit dans le cas de Velasco Chavarro.Note de bas de page 274

    Le retard peut être attribuable au fait que l’intéressé ait tenté d’obtenir le droit de demeurer au pays par d’autres moyensNote de bas de page 275. Ainsi, le fait que le demandeur n’ait présenté sa demande qu’après l’expiration de son statut temporaire ou après avoir consulté un avocat n’est pas pertinent pour la crédibilitéNote de bas de page 276.   

2.2.9 Activités criminelles et frauduleuses au Canada

Dans FouladiNote de bas de page 277 et d’autres décisionsNote de bas de page 278, la Cour fédérale a statué qu’il est permis de tenir compte d’une infraction dolosive commise au Canada pour évaluer la crédibilité du demandeur.

Toutefois, dans une autre affaireNote de bas de page 279, la Cour fédérale a qualifié de « douteuse » la conclusion défavorable tirée par un tribunal quant à l’existence d’une crainte subjective de persécution en raison du comportement criminel du demandeur au Canada. La SSR a conclu que M. Tvauri ne craignait pas un retour en Géorgie s’il a pris le risque de contrevenir aux lois du Canada, en volant une bicyclette. Selon la Cour, cette déduction de la SSR indiquait qu'il est très dangereux de s'appuyer de façon inconsidérée sur une preuve préjudiciable qui ne devrait pas recevoir beaucoup de poids.

Selon la Cour fédérale, il peut être conclu à bon droit que la présentation de diverses demandes de statut de réfugié au sens de la Convention sous des identités différentes suffit à fonder une conclusion négative quant à la crédibilité générale des demandeursNote de bas de page 280.

2.3 Fonder une conclusion d’absence de crédibilité sur une preuve digne de foi

2.3.1 Preuve digne de foi sur laquelle appuyer les conclusions

La Cour fédérale a fait ressortir la nécessité d’appuyer la conclusion de non-crédibilité sur une preuve digne de foi. Les tribunaux ont accordé aux termes « crédible » et « digne de foi » le même sensNote de bas de page 281 pour la crédibilité d’un élément de preuveNote de bas de page 282. La crédibilité englobe à la fois la véracité (c.-à-d. l’honnêteté d’un témoin) et la fiabilité (c.-à-d. la question de savoir, en supposant que le témoin est honnête, si la preuve fournit un compte rendu exact des faits importants)Note de bas de page 283.

Si une partie du témoignage fait naître des doutes, le décideur doit soit disposer d’éléments de preuve contraires dignes de foiNote de bas de page 284, soit juger cette partie du témoignage incohérente ou intrinsèquement suspecte ou improbableNote de bas de page 285, s’il veut la rejeter.

Pour déterminer si la preuve qui contredit le témoignage du demandeur est digne de foi, le décideur doit notamment prendre en considération la source de l’information, le but de la personne qui la fournit et les méthodes employées pour la recueillir. De plus, le décideur doit aussi déterminer le poids ou la valeur probante qu’il faut accorder à cette preuve contradictoireNote de bas de page 286.

2.3.2 Présomption de vérité

Dans MaldonadoNote de bas de page 287, la Cour d’appel a établi un principe important, à savoir que lorsqu’un demandeur jure que certains faits sont véridiques, il y a présomption qu’ils le sont, à moins qu’il n’y ait des raisons valables de douter de leur véracité.

Ainsi, cette présomption de véracité n’est pas irréfragable et le manque de crédibilité d’un demandeur peut suffire à la réfuterNote de bas de page 288.

Même si elle ne conclut pas au manque de crédibilité du demandeur, la Commission n’est pas tenue d’accepter tout ce qu’un demandeur affirme comme un fait établi. La présomption de l’affaire Maldonado est simplement qu’un témoin assermenté dit la vérité. Il ne s’agit pas d’une présomption selon laquelle tout ce que le témoin croit être vrai, mais dont il n’a aucune connaissance directe, est en fait vraiNote de bas de page 289.

Comme souligné par la Cour fédérale dans Hernandez, cette présomption ne s’applique pas aux déductions que le demandeur peut tirer des faits au sujet desquels il a témoigné : « [...] la présomption de vérité qui s’applique aux faits relatés par [le demandeur] ne vaut pas quant aux déductions que l’on tire de ces faitsNote de bas de page 290. » [soulignement ajouté]

Par conséquent, la Commission peut refuser d’accepter des déductions tirées par le demandeur, surtout quand elles sont conjecturales. Par exemple, dans RahmanNote de bas de page 291, la SAR n’a pas mis en doute la crédibilité des demandeurs au sujet de la réalité de l’enlèvement, pas plus qu’au sujet des éléments de preuve présentés par ces derniers sur l’identité des ravisseurs. Cependant, la conclusion des demandeurs que leurs ravisseurs étaient membres de la police ou des forces de sécurité n’était qu’une simple conjecture de la part des demandeurs.

Dans la même décision, la Cour explique que la présomption de Maldonado a trait à la crédibilité (c. à d., la véracité), et non à la valeur probante. C’est pour cela que les tribunaux peuvent croire en la véracité des prétentions ou du témoignage d’un demandeur d’asile et décider quand même que ce dernier n’a pas fourni d’éléments suffisants à l’appui des inférences qu’il cherche à tirer de la preuveNote de bas de page 292.

Toujours au sujet des conjectures, si le tribunal pose au demandeur des questions auxquelles on ne peut pas s'attendre à ce qu'il connaisse les réponses (par exemple, pourquoi les autorités ont agi d'une certaine manière), le demandeur ne doit pas être pénalisé pour avoir spéculé ou fourni des informations par ouï-dire en réponseNote de bas de page 293.

2.3.3 Preuve corroborante

La Cour dans l’affaire Luo observe :

[I]l n’est pas contesté qu’il incombe toujours au demandeur d’asile de prouver le bien-fondé de sa demande d’asile.[…] Ce principe s’exprime d’ailleurs à l'article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés [règle 11], qui prévoit que le demandeur d’asile doit produire des documents acceptables permettant d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile, et que, s’il ne peut le faire, il doit en donner la raison et indiquer quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documentsNote de bas de page 294.

Cependant, il n’existe pas d’obligation générale pour les demandeurs d’asile de produire des documents corroborantsNote de bas de page 295. Cela s’explique par le fait que le réfugié peut avoir été obligé de s’enfuir de chez lui précipitamment, sans rien emporter ou presque, de sorte qu’il lui serait impossible de produire des éléments de preuve documentaire au soutien de sa demande d’asile, ou qu’il serait déraisonnable de s’attendre à ce qu’il produise de tels éléments de preuve.

Cette absence d’obligation générale de corroboration est aussi un corollaire de la présomption de véracité établie dans Maldonado. Exiger la corroboration en l’absence d’une « raison de douter » préexistante aurait pour effet d’invalider la présomptionNote de bas de page 296. Par conséquent, il a été conclu qu’il est erroné de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité en s’appuyant uniquement sur l’absence d’éléments de preuve à l’appuiNote de bas de page 297.

Dans l'affaire Khamdamov, la Cour explique comment le fait de considérer l'absence de corroboration comme la raison de douter de la crédibilité de la demande peut aboutir à une analyse circulaire :

En appliquant la décision dans Maldonado, pour que la SAR puisse exiger que le demandeur produise des éléments de preuve corroborant sa demande, elle devait tout d’abord trouver des raisons de douter de la véracité de son témoignage sous serment. J’estime que l’erreur cardinale dans la décision de la SAR réside dans le fait qu’elle n’a pas respecté ce simple point de droit. Plutôt que de déterminer clairement la raison en lien avec la preuve pour réfuter la présomption que le demandeur disait la vérité lorsqu’il a présenté son témoignage, la SAR a cherché une corroboration dans une analyse circulaire erronée. En d’autres termes, le fait que le demandeur n’ait pas déposé d’éléments de preuve documentaire corroborants à l’appui de sa demande a conduit la SAR à conclure qu’il s’agissait d’une raison de douter du témoignage sous serment du demandeur, et que de ce fait, le demandeur devait produire une preuve corroborante pour éviter que sa demande soit rejetée. Je conclus qu’à elle seule, cette erreur fait en sorte que la décision de la SAR n’est pas raisonnableNote de bas de page 298.

La juge Strickland dans l’affaire LuoNote de bas de page 299 a dégagé de la jurisprudence les principes suivants :

(1) la preuve sous serment d’un demandeur d’asile est présumée véridique à moins qu’il n’existe des raisons de douter de sa véracité;

(2) il est erroné de tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité en s’appuyant uniquement sur l’absence de preuve corroborante;

(3) cependant, lorsqu’il existe une raison valide de douter de la crédibilité du demandeur d’asile, l’absence de preuve corroborante qui n’est pas expliquée de manière raisonnable peut être validement prise en compte dans l’évaluation de la crédibilité;

(4) malgré le principe de véracité, une conclusion défavorable en matière de crédibilité peut être tirée si le demandeur d’asile ne produit pas la preuve que le décideur s’attend raisonnablement à voir disponible dans les circonstances du demandeur, et qu’aucune explication raisonnable pour ne pas la fournir n'est donnée.

Le troisième point résume un courant jurisprudentiel qui est cohérent avec la présomption Maldonado et qui a été suivi dans un nombre important de décisions. Selon ce courant, où il y a de bonnes raisons de douter de la crédibilité du demandeur ou lorsque la version des faits du demandeur n'est pas plausible, l'absence de preuves corroborantes peut être valablement prise en compte dans l'évaluation de la crédibilité du demandeur si ce dernier s'avère incapable de fournir une explication raisonnable pour son manquement à fournir ces preuves.

Dans AmarapalaNote de bas de page 300​, la Cour énonce :

Il est bien établi qu'un tribunal ne peut tirer de conclusions négatives du seul fait qu'un demandeur d'asile n'a pas transmis de documents extrinsèques pour corroborer sa demande. Cependant, lorsqu'un tribunal a des motifs valables de douter de la crédibilité d'un demandeur, le fait que celui-ci n'ait pas transmis de documents corroborants est un facteur dont il peut à bon droit tenir compte s'il n'accepte pas l'explication du demandeur quant à la raison pour laquelle il n'a pas transmis ces documents.

Dans l’affaire Ortega AyalaNote de bas de page 301, la Cour a trouvé « déroutante » la logique de la SPR qui n’a donné aucune raison autre que l’absence de documents visant à corroborer des faits au cœur du récit, pour ne pas croire le témoignage du demandeur. Le juge Near remarque :

Ce raisonnement ne concorde pas avec la jurisprudence de la Cour et il est déraisonnable, car il justifie l’absence de crédibilité par le manque de preuve documentaire, au lieu d’utiliser le manque de preuve documentaire pour renforcer une conclusion antérieure défavorable quant à la crédibilité.

La juge Kane dans l’affaire NdjaveraNote de bas de page 302​ cite Dundar pour la proposition générale que la demandeure n’était pas tenue de corroborer ses allégations et il serait erroné de tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité fondée uniquement sur l’absence de preuves corroborantes, mais la juge poursuit :

Si elle a une raison valable de douter de la crédibilité de la demanderesse, la Commission peut alors tirer une conclusion défavorable à l’égard du manquement à présenter des éléments de preuve corroborants auxquels elle pourrait raisonnablement s’attendre. La décision dépend en grande partie du type de preuve requise et de la mesure dans laquelle elle se rapporte à un élément central de la demande. La preuve corroborante est particulièrement utile lorsqu’elle provient d’une source neutre. Il pourrait être déraisonnable de s’attendre d’un demandeur d’asile de produire ou de rassembler des documents qui ne sont pas facilement accessibles avant de s’enfuir. De plus, lorsque c’est l’agresseur allégué qui détient les documents en question, comme en l’espèce, il serait déraisonnable de s’attendre que le demandeur puisse se les procurer.

Dans Ismaili,Note de bas de page 303, la SPR était saisie d’un dossier qui ne contenait aucun élément de preuve, hormis le FRP du demandeur et son témoignage quant à son orientation sexuelle. La Cour était d’avis que si la SPR avait une raison valable de douter de la crédibilité du demandeur, il n’aurait pas été déraisonnable qu’elle demande, pour prouver cet élément crucial de la demande, des preuves corroborantes telles que des preuves de son divorce, puisque selon son témoignage, son divorce était la conséquence de sa relation homosexuelle. Toutefois, la SPR n’a mentionné aucune raison pour laquelle elle mettait en doute la crédibilité du demandeur. La Cour a conclu que la SPR ne pouvait pas fonder sa conclusion relative à la crédibilité uniquement sur le manque de preuve corroborante, comme elle semblait avoir fait en l’espèce.

Par contre, dans l’affaire PazmandiNote de bas de page 304, la SAR a soulevé ses préoccupations liées à la crédibilité de Mme Pazmandi en raison de sa preuve décrivant des incidents de persécution. Elle a également expliqué pourquoi elle s’attendait à ce que des éléments de preuve corroborants puissent être obtenus et pourquoi elle n’a pas accepté l’explication par laquelle Mme Pazmandi a tenté de justifier le fait qu’elle ne s’en était pas procurés.

Le quatrième point de la juge Strickland dans l’affaire LuoNote de bas de page 305 semble décrire l’autre courant jurisprudentiel, plus aligné sur la règle 11 parce qu’il admet l’existence d’une exception ou d’une dérogation à la présomption de véracité formulée dans l’affaire Maldonado. Dans le cadre de ce courant, il est permis au décideur de tirer une conclusion défavorable concernant la crédibilité du témoignage du demandeur lorsque celui-ci ne produit pas de preuve que le décideur peut raisonnablement s'attendre à ce que le demandeur, dans sa situation, soit en mesure de fournir et que le demandeur ne motive pas ce défaut de production par des explications raisonnables.

Ce courant, à l’instar de celui décrit précédemment, n’exige donc pas l’existence d’un problème de crédibilité indépendant et préalable afin de considérer l’absence de preuve corroborante. L’absence, non raisonnablement expliquée d'une preuve accessible, constitue un problème de crédibilité en soiNote de bas de page 306.

Dans MurugesuNote de bas de page 307, où la SAR a partagé la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables pour corroborer l’orientation sexuelle alléguée de Mme Murugesu, il est évident que la Cour a suivi ce courant :

[30] […] la Cour a reconnu une exception au principe énoncé dans Maldonado. Le tribunal peut tirer une conclusion défavorable concernant le témoignage d’un demandeur si ce dernier omet de produire des éléments de preuve dont le tribunal s’attendrait raisonnablement à ce qu’ils soient disponibles dans la situation du demandeur et qu’il ne fournit pas d’explication raisonnable pour justifier cette omission (Radics c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 110, aux paragraphes 30 à 32 (Radics)).

[31] En l’espèce, il était loisible à la SAR de tirer une conclusion défavorable de l’incapacité de Mme Murugesu à fournir des documents justificatifs concernant un élément central de sa demande, comme l’exige l'article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256. Selon l'article 11, un demandeur qui ne fournit pas de documents acceptables doit expliquer pourquoi il ne peut pas le faire et indiquer quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents. La question de savoir si l’on peut raisonnablement exiger une preuve corroborante dépend des faits de chaque affaire (Dayebga c. Canada (Citoyenneté et immigration), 2013 CF 842, au paragraphe 30).

Dans RojasNote de bas de page 308, la Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire où la SPR a jugé que les demandeurs n’étaient pas crédibles en raison, notamment, de « l’absence totale d’éléments de preuve à l’appui » sans préciser quelle preuve corroborante manquait. Elle ne leur a pas non plus demandé d’expliquer pourquoi certains documents qu’elle aurait pu juger corroborants n’avaient pas été produits. La SPR devait préciser la nature des documents qu’elle s’attendait à recevoir et tirer une conclusion à cet effet.

Dans RadicsNote de bas de page 309, la Cour a conclu que la SPR n'a pas commis d'erreur dans les conclusions qu'elle a tirées au sujet de la crédibilité des demandeurs et qu'elle n'a pas commis d'erreur dans son appréciation de la preuve. Ses conclusions au sujet de la crédibilité ne reposaient pas « uniquement » sur le défaut des demandeurs de produire des documents, mais aussi sur leurs témoignages. La SPR a rejeté l'explication fournie par les demandeurs pour justifier leur défaut de produire des éléments de preuve sur un aspect crucial de leur demande dont on pouvait raisonnablement s'attendre à ce qu'ils soient disponibles.

Dans une décision récente de la CourNote de bas de page 310, le juge Grammond a reconnu l'existence de ces deux courants de jurisprudence, ainsi que l'importance de leurs objectifs respectifs d'assurer l'équité procédurale aux personnes fuyant la persécution et, en même temps, de maintenir l'intégrité du processus d'asile canadien. Le juge était d'avis que ces deux objectifs pouvaient être atteints en élargissant les catégories de cas dans lesquels une preuve corroborante pouvait être exigée, tout en mettant en place des mesures de protection adéquates. Selon cette façon de procéder, un décideur ne doit exiger des éléments corroborants que dans les cas suivants :

(1) Il établit clairement un motif indépendant pour exiger la corroboration, comme des doutes quant à la crédibilité du demandeur d’asile, l’invraisemblance du témoignage du demandeur d’asile ou le fait qu’une grande partie de la demande d’asile repose sur le ouï-dire; et

(2) On pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les éléments de preuve soient accessibles et, après avoir été invité à le faire, le demandeur d’asile a omis de donner une explication raisonnable pour ne pas avoir pu les obtenir.

Pour ce qui est de l'accessibilité des preuves corroborantes, il est intéressant à noter l’observation générale de la Cour dans l’affaire Ramos Aguilar,Note de bas de page 311 où elle dit qu’avec la technologie, la situation a évolué pour ce qui est de la disponibilité de l’information dans le pays d’origine et de l’accès à celle-ci : « La technologie facilite grandement l’accessibilité des éléments de preuve corroborants par rapport à ce qui prévalait en 1980, lorsqu’a été rendue la décision dans l’affaire Maldonado. »

La réponse à la question de savoir s’il est raisonnable d’exiger des éléments de preuve corroborants dépend des faits de chaque espèceNote de bas de page 312. Sans être exhaustifs, les facteurs ou circonstances qui suivent peuvent influer sur la capacité du demandeur à fournir de la preuve corroborante : l’état psychologique du demandeur, les questions reliées au sexeNote de bas de page 313, les questions liées à l’orientation sexuelleNote de bas de page 314, le jeune âge du demandeur, des facteurs culturels et en raison de difficultés inhérentes à l’administration de son pays de nationalité. Par exemple, de ce dernier facteur, la difficulté d'obtenir des documents officiels de Somalie a été reconnue par la Cour dans plusieurs affaires. Dans l’affaire Ali, la Cour écrit :

Concernant la question des documents d’identité pour le pays en cause, il est bien établi qu’il est presque impossible d’obtenir des documents gouvernementaux en Somalie, de sorte que ses demandeurs d’asile doivent établir leur identité au moyen de sources secondairesNote de bas de page 315.

Le même principe s’applique à d’autres sortes de documents et à d’autres pays. La charge de fournir des preuves documentaires ne peut pas dépasser ce que l'on peut raisonnablement attendre du demandeur, à la lumière des conditions dans le pays d'où le demandeur devrait obtenir les documents. Par exemple, dans ElaminNote de bas de page 316, la SPR et la SAR ont estimé que l'authenticité du document établissant la peine d'emprisonnement de M. Elamin était douteuse. Quand on lui a demandé pourquoi il n'avait pas le document original, M. Elamin a répondu qu'un ami avait pris une photo du document et la lui avait envoyée, ajoutant qu'il était très difficile et dangereux d'avoir accès à ce document. Ceci a été confirmé par le Cartable de documentation nationale [CDN] qui révèle que le Soudan est en proie à de graves problèmes concernant le comportement arbitraire de la police et des forces de sécurité, la corruption et l'absence d'un système judiciaire indépendant. La SPR n’a accordé aucun poids au document parce que M. Elamin n’avait pas réussi à obtenir une copie certifiée. La SAR a reconnu qu’il pouvait être risqué de tenter d’obtenir une copie certifiée mais elle était d’avis que le défaut d’obtenir un affidavit de l’ami a affecté l’authenticité du document. La Cour a estimé qu’il était déraisonnable d’attendre de l’ami qu’il signe un affidavit dans lequel il avouerait essentiellement avoir dérobé le document aux autorités soudanaises.

La preuve corroborante n’est pas toujours documentaire. Les témoignages peuvent également corroborer les allégations ou étayer les preuves corroborantes telles que les affidavits. Selon un courant jurisprudentiel, il n’est pas loisible à la SPR de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité, parce que le demandeur n’a pas fait comparaitre un témoinNote de bas de page 317. Or, d’autres décisions sont à l’effet que la SPR peut à bon droit tirer une conclusion défavorable envers un demandeur et n’accorder aucun poids à une lettre écrite, si le témoin est présent à l’audience ou aurait pu l’être, qu’il aurait pu témoigner sur le contenu de sa lettre, mais refuse ou fait défaut simplement de le faireNote de bas de page 318.

En ce qui concerne les témoins qui proposent de fournir un témoignage corroborant, il est risqué de refuser d'entendre ce témoignage. Dans KaurNote de bas de page 319, la Cour fédérale a dit que, si le tribunal a jugé qu’il n’était pas nécessaire de faire comparaître un témoin pour corroborer le témoignage du demandeur, il ne peut pas ensuite conclure à l’absence de crédibilité de ce dernier parce qu’il n’y a pas eu corroboration de son témoignage.

2.3.4 Silence de la preuve documentaire

La Cour d’appel a statué ce qui suit dans AduNote de bas de page 320 :

La « présomption » selon laquelle le témoignage sous serment d’un requérant est véridique peut toujours être réfutée et, dans les circonstances appropriées, peut l’être par l’absence de preuves documentaires mentionnant un fait qu’on pourrait normalement s’attendre à y retrouver.

Par conséquent, le fait que la preuve documentaire ne confirme pas le témoignage du demandeur ou ne fait pas mention d’un événement rapporté par ce dernier peut constituer un motif de rejeter ce témoignageNote de bas de page 321.

Il faut toutefois faire preuve de circonspection en particulier lorsque la preuve documentaire dont le tribunal a été saisi est muette sur une question particulièreNote de bas de page 322 ou loin d’être exhaustiveNote de bas de page 323. Un document qui contient des renseignements généraux n’est pas toujours suffisant pour réfuter un témoignage relatif à un événement précis et particulier.

Il est douteux que des documents comme des lettres qui ne corroborent pas le récit du demandeur puissent servir de fondement à une conclusion d’absence de crédibilité. En général, de tels documents ne peuvent servir à contredire le récit d’un demandeur uniquement parce qu’ils ne le confirment pasNote de bas de page 324.

Les documents qui corroborent certains aspects de son récit ne peuvent être écartés simplement parce qu’ils ne corroborent pas certains autres aspects du même récit ou ne donnent pas suffisamment de détailsNote de bas de page 325.

Dans l’affaire Ayedele, la Cour fait remarquer que le silence ne constitue pas une contradiction; au mieux, c’est un manque de corroboration.

L’interdiction de faire abstraction d’éléments de preuve en raison de ce qu’ils omettent se pose dans le contexte de l’appréciation de la crédibilité. Il est interdit de ne pas croire la preuve présentée par un témoin tout simplement parce qu’un autre témoin n’a corroboré qu’une partie de cette preuve et a gardé le silence au sujet de l’autre partie […]. Dans un tel cas, il n’y a pas de contradiction ayant un effet sur la crédibilité. Il s’agit tout au plus d’une absence de corroboration. [renvoi à Magonza omis]Note de bas de page 326

Un élément de preuve ne devrait être rejeté du simple fait qu’il s’agit d’un élément unique de l’ensemble de la preuve fournieNote de bas de page 327. Il n’est pas approprié d’examiner un élément de preuve isolément; il faut plutôt examiner l’ensemble des éléments de preuve en fonction de leur objet et de leur contexte.

2.3.5 Absence de papiers d’identité et d’autres documents personnels

La Cour fédérale a établi les principes suivants relativement à la question d’absence de pièces d’identité et autres documents personnels.

  • Le demandeur a l’obligation fondamentale d’établir son identité selon la prépondérance des probabilitésNote de bas de page 328 et l’omission de prouver l’identité entraîne d’emblée le rejet de la demande. Il n’y a pas lieu de poursuivre l’examen des éléments de preuve ou de la demandeNote de bas de page 329.

  • Ainsi, il doit se présenter à l’audience muni de tous les éléments de preuve qu’il a en main et qu’il estime nécessaire à l’établissement de sa demandeNote de bas de page 330.

  • L’« identité » se réfère à l’identité personnelle d’un demandeur d’asile (son nom, sa date de naissance) ainsi qu’à son identité nationale. La Cour a jugé que bien que les termes « identité » et « identité nationale » soient souvent employés de manière interchangeable, l’établissement de l’identité national sans avoir établi l’identité personnelle ne suffit pas dans les procédures de détermination du statut de réfugiéNote de bas de page 331. Certains documents, tel que le passeport, permettent d’établir autant l’identité nationale que personnelle d’un demandeur d’asile.

  • S’il y a lieu, le demandeur devrait être informé du fait que l’identité est en cause et de la nécessité de présenter des documents précis et autres preuves corroborantes à l’appuiNote de bas de page 332.

  • Dans sa décision, le tribunal devrait tenir compte de toute raison donnée par le demandeur pour expliquer le fait qu’il n’a pas fourni de preuves corroborantes et les efforts qu’il a faits pour obtenir de telles preuves. Le tribunal devrait aussi motiver sa décision de ne pas juger raisonnables les explications données par le demandeurNote de bas de page 333.

    Les circonstances de l’affaire serviront à déterminer ce qui est « raisonnable » (« explication raisonnable » ou « mesures raisonnables »). Par exemple, il peut être déraisonnable de s’attendre à ce qu’un demandeur obtienne des documents de l’étranger alors qu’il n’a aucun contrôle sur ce processusNote de bas de page 334 ou en raison de difficultés inhérentes à l’administration de son pays de nationalitéNote de bas de page 335. Il pourrait être déraisonnable, voire même invraisemblable, qu’un demandeur n’ait pas apporté certains documents avec lui ou n’ait pas fait des efforts pour obtenir les documents demandés par la SPRNote de bas de page 336. Le tribunal peut tirer une conclusion défavorable lorsque le demandeur ne fournit pas les documents que le demandeur s’est engagé à fournir à l’audienceNote de bas de page 337.

  • La SPR ou la SAR peut, une fois qu’elle a fait part des connaissances qui sont du ressort de sa spécialisation et a donné au demandeur d’asile la possibilité de répondre, se fonder sur ses connaissances spécialisées de la documentation provenant d’un pays ou le fait que les demandeurs d’asile venant d’un pays en particulier présentent habituellement certains documentsNote de bas de page 338.

  • Selon les circonstances particulières à chaque cas, la Section peut ou non raisonnablement conclure qu’un demandeur d’asile aurait dû obtenir des pièces d’identité auprès des autorités diplomatiques de son pays au CanadaNote de bas de page 339.

  • La Cour d’appel fédérale a statué que le fait que le demandeur ait détruit de faux documents de voyage ou s’en ait départi pendant son voyage vers le Canada ne constitue pas un fondement satisfaisant à une contestation de la crédibilité du demandeur, puisqu’il s’agit d’une question accessoire d’importance limitée pour ce qui est de la détermination de la crédibilité en généralNote de bas de page 340 Toutefois, la Section de première instance a conclu dans d’autres décisions que la Commission avait eu raison d’accorder de l’importance à cette questionNote de bas de page 341. La destruction de documents authentiques semble constituer un élément importantNote de bas de page 342.

  •  Même si les documents requis ne sont pas fournis et que le demandeur n’explique pas de manière satisfaisante pourquoi il ne les a pas fournis ou n’a pas fait des efforts raisonnables pour les obtenir, le tribunal devrait quand même évaluer les autres preuves, notamment si elles peuvent corroborer le récit du demandeurNote de bas de page 343.

  • L’absence de documents pertinents pourrait permettre de conclure que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau d’établir son identité ou d’autres éléments de sa demande. Une telle conclusion est généralement tirée après examen d’autres facteurs se rapportant à la crédibilitéNote de bas de page 344. Dans les cas où le tribunal juge que le récit du demandeur est invraisemblable ou manque de crédibilité par ailleurs, il peut se fonder sur l’absence de preuves documentaires corroborantes ou l’absence d’efforts faits en vue d’obtenir la documentation aux fins de l’évaluation de la crédibilité. Les circonstances dans lesquelles le document est fourniNote de bas de page 345 ou le dépôt par le demandeur de documents choisis peuvent servir de fondement à une conclusion défavorable en matière de crédibilitéNote de bas de page 346.

2.3.6 Témoignage intéressé

La juge Tremblay Lamer a fait remarquer dans AhmedNote de bas de page 347 qu'il est probable que tout élément de preuve présenté par un revendicateur sera utile pour son cas et pourrait par conséquent être qualifié d'« intéressé ».

Ainsi, la Cour a statué à maintes reprises que le rejet de la preuve produite par des membres de la famille d’un demandeur ou d’autres connaissances pour l’unique raison du caractère intéressé de cette preuve, est une erreur susceptible de contrôleNote de bas de page 348.

Toutefois, le juge Annis semble avoir opinion différente dans les décisions Fadiga et PathmarajNote de bas de page 349. Dans Fadiga, , il conclu que l’agent n’a pas commis d’erreur en accordant peu de poids à l’affidavit déposé par la sœur de la demandeure. En termes plus généraux (au para 15), il exprime son avis selon lequel « la question de la partialité se trouve généralement au cœur de l’appréciation de la fiabilité des éléments de preuve provenant de membres de la famille. » Il est d’accord avec ce que le juge Zinn a écrit au paragraphe 27 de FergusonNote de bas de page 350 que « ce genre de preuve requiert une corroboration pour avoir une valeur probante ».

L’affaire RahmanNote de bas de page 351 souligne que même si la question de l’intérêt personnel a une incidence sur l’appréciation de la crédibilité et le poids à accorder à la preuve, il y a d’autres facteurs à considérer :

L’intérêt personnel n’est pas une notion binaire. L’importance de l’intérêt personnel ou du biais potentiel d’un auteur pour ce qui est de la crédibilité et du poids accordé à la preuve variera en fonction de considérations comme le rôle joué par l’auteur dans les incidents mentionnés (l’auteur était-il un témoin ou le demandeur a-t-il simplement raconté ce qui s’est passé à l’auteur), la relation de l’auteur et du demandeur (si l’auteur est proche parent, est-il tout de même en mesure de relater les incidents de manière indépendante), le contenu de la déclaration du témoin (s’agit-il simplement d’une reproduction de la preuve du demandeur ou s’agit-il du point de vue de l’auteur et quel est ce point de vue) et toute incohérence entre leurs déclarations et les autres preuves objectives liées à l’affaire.

La Cour fédéraleNote de bas de page 352 a rappelé que dans la vaste majorité des cas, les membres de la famille et les amis du demandeur sont les principaux, voire les seuls, témoins directs d’incidents passés de persécution. Ainsi, si leur preuve est présumée peu fiable dès le départ, de nombreux cas réels de persécution seront difficiles, sinon impossibles, à prouver.

Le fait que le demandeur ait demandé des preuves à l'appui de sa demande de statut de réfugié ne diminue pas leur valeur corroborativeNote de bas de page 353.

2.3.7 Préférence à la preuve documentaire plutôt qu’au témoignage du demandeur

La Commission peut préférer la preuve documentaire au témoignage donné par le demandeurNote de bas de page 354, même si elle conclut que le demandeur est digne de foi et crédibleNote de bas de page 355. Toutefois, les commissaires de la SPR doivent fournir des motifs suffisants clairs indiquant pourquoi ils admettent la preuve documentaire plutôt que le témoignage non contredit du demandeurNote de bas de page 356.

La Cour fédérale a approuvé, dans de nombreuses décisions, la préférence que la Commission a accordée à la preuve documentaire provenant de diverses sources indépendantes dont on ne pouvait pas dire qu’elles avaient un intérêt dans la décision rendue sur la demande en cause (et, dans cette mesure, étaient donc impartiales) plutôt qu’au témoignage du demandeurNote de bas de page 357.

Cela ne s’applique pas nécessairement aux renseignements obtenus d’un individu en réponse à une question précise, puisqu’une telle preuve ne comporte pas la même « garantie circonstancielle concernant la crédibilité » que la preuve documentaire préparée par des organismes indépendants qui est publiée et diffuséeNote de bas de page 358.

2.3.8 Évaluation des documents

La Commission est considérée comme ayant la compétence nécessaire pour évaluer l’authenticité des documentsNote de bas de page 359.

La Cour fédérale a jugé que les documents délivrés par des gouvernements étrangers sont présumés authentiques, sauf si une preuve (externe au document) démontre le contraire ou que la Commission peut rendre une décision fondée sur la preuve contradictoire qui met en doute l’authenticité du documentNote de bas de page 360.

Lorsque la Section est convaincue qu’une ou plusieurs des pièces d’identité d’un demandeur d’asile ont été obtenues frauduleusement ou sont par ailleurs non authentiques, la présomption selon laquelle les autres pièces d’identité du demandeur d’asile sont valides ne peut plus être maintenue. Néanmoins, la Section est tout de même tenue d’examiner ou d’apprécier à tout le moins l’authenticité et la valeur probante de chacune de ces pièces, de même que tout autre document justificatif présenté par le demandeur d’asileNote de bas de page 361.

La Cour a fourni dans LiuNote de bas de page 362 une liste non exhaustive de raisons pouvant permettre, en l’absence d’une explication satisfaisante, de réfuter la présomption d’authenticité de documents :

  1. Des anomalies à la face même du document que l’on ne s’attendrait raisonnablement pas à trouver sur un document public valablement délivré (ex. erreurs typographiques, de grammaire ou d’orthographe)Note de bas de page 363;
  2. Altérations ou modifications apparaissant à la face même du documentNote de bas de page 364;
  3. Incohérences avec les modèles standard pour le type de documentNote de bas de page 365;
  4. Toute autre preuve crédible ou digne de foi incompatible avec le contenu du document (exemple : incohérence entre le témoignage du demandeur et la preuve documentaire sur la façon dont il a obtenu le document)Note de bas de page 366;
  5. Doutes sur la crédibilité ou la fiabilité d’autres éléments de preuve qui disent la même chose que le document dont l’authenticité est mise en cause (exemple: le témoignage du demandeur, conclusion de non-authenticité de documents produits au soutien dudit document)Note de bas de page 367;

Une conclusion de non-authenticité peut se fonder sur une ou plusieurs considérations.

Lorsque la preuve permet de douter de l’authenticité d’un document, parce que le document contient une irrégularité manifeste ou a été obtenu ou fourni dans des circonstances douteuses, il est possible d’accorder peu (ou pas) de poids à ce document, même en l’absence d’une preuve d’expert ou en l’absence d’une expertise judiciaire concluanteNote de bas de page 368. Ceci découle du principe général selon lequel la SPR n’est pas tenue de soumettre les pièces d’identité et autres documents à des expertises judiciairesNote de bas de page 369. Ceci dit, elle peut le faire et peut avoir à le faire dans certains circonstancesNote de bas de page 370.

La Cour a souligné qu’en l’absence d’éléments de preuve exigeant la présence de caractéristiques de sécurité particulières, l’absence de caractéristiques de sécurité vérifiables n’est pas un motif raisonnable pour réfuter la présomption selon laquelle un document délivré à l’étranger est valide Note de bas de page 371. À noter également que la Cour a déjà soutenu que l’existence de timbres officiels constitue une caractéristique de sécurité aux fins de l’évaluation de l’authenticitéNote de bas de page 372.

La preuve d’une pratique répandue de fabrication de faux documents dans un pays n’est pas en soi suffisante pour justifier le rejet de documents étrangers au motif qu’il s’agit de fauxNote de bas de page 373, mais peut être pertinente s’il existe d’autres raisons de douter de l’authenticité des documents ou de la crédibilité d’un demandeurNote de bas de page 374.

Enfin, si un tribunal n’est pas convaincu de l’authenticité d’un document, il doit le dire explicitement, le motiver et n’accorder aucune importance au document. Les tribunaux ne devraient pas critiquer l’authenticité d’un document et ensuite tenter de couvrir leurs arguments en accordant « peu de poids » au documentNote de bas de page 375.

En présence de preuves contradictoires, la SPR peut choisir la preuve documentaire qu’elle préfère, pourvu qu’elle analyse les documents contradictoires et explique sa préférence pour la preuve sur laquelle elle fonde sa décisionNote de bas de page 376.

L’absence générale de crédibilité d’un demandeur peut influer sur le poids qui sera donné aux éléments de preuve documentaire déposés (y compris les rapports médicaux) et, dans certaines circonstances, permettra à la Commission de ne pas en tenir compte, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur Note de bas de page 377. En revanche, le dépôt en preuve de documents faux ou irréguliers pourrait influer sur le poids accordé aux autres documents présentés par le demandeur (notamment s’ils sont reliés) et sur la crédibilité générale du demandeurNote de bas de page 378 ou le caractère suffisant de la preuve prise dans son ensemble. Les divergences dans un document ne seront pas toutes nécessairement importantes à l’acceptation de la demandeNote de bas de page 379.

Il est déraisonnable de tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité relativement à l’utilisation de documents faux ou obtenus irrégulièrement, alors que leur utilisation était nécessaire pour fuir la persécutionNote de bas de page 380.

2.3.9 Rapports médicaux et psychologiques

De par sa nature même, le témoignage ou rapport d'un expert est un témoignage d'opinion basé sur des faits relatés à l'expert par le demandeurNote de bas de page 381. Les experts ne sont généralement pas, voire jamais, des témoins oculaires des expériences qui ont amené une personne à demander l'asile. Des rapports médicaux ou psychologiques sont parfois présentés comme corroboration des allégations du demandeurNote de bas de page 282, mais les rapports psychologiques sont surtout soumis pour expliquer comment les conditions de santé du demandeur pourrait influer son comportement ou sa capacité de témoignerNote de bas de page 383. Ces facteurs doivent être pris en compte.

Un expert ne doit pas nécessairement être un médecin, psychiatre ou psychologue pour donner son avis sur l’état du demandeurNote de bas de page 384. Cependant, la SPR doit s’assurer que le soi-disant expert qui soumet la preuve soit qualifié pour le faire et que son « témoignage d'opinion » porte sur un sujet qui relève de son ou ses domaines d'expertise particuliers. Si une « preuve d’opinion » va au-delà de la portée de l’expertise d’un témoin, on peut lui accorder peu de poids, voir aucunNote de bas de page 385.

Ce n’est pas à un expert médical d’évaluer et de déterminer la crédibilité d’un demandeur, ceci est la fonction de la SPRNote de bas de page 386. Par conséquent, la SPR n’est pas tenue de s’en remettre à l’avis de l’auteur du rapport, notamment en ce qui concerne la crédibilité du demandeur que le tribunal doit évaluer en toute indépendance.

L’auteur doit se limiter à donner son avis d’expert et ne doit pas franchir la limite de la défense des intérêts du demandeurNote de bas de page 387. La question à savoir si la SAR avait commis une erreur en attribuant peu de poids au rapport du psychologue a été analysée par le juge Brown dans l’affaire AsifNote de bas de page 388. Il a examiné les raisons pour lesquelles la SAR a accordé peu de poids au rapport, suivi de ses commentaires à l’égard de chacune:

  1. Il a franchi la ligne qui sépare l’opinion d’experts du plaidoyer. À mon avis, bien que l’on s’attende à ce que les rapports d’experts soient favorables à l’allégation faite par la personne qui les dépose, il existe une limite entre donner un diagnostic et un pronostic avec le soutien approprié et le plaidoyer : Egbesola [renvoi omis]. La détermination du côté de la ligne où un rapport d’experts se situe revient à pondérer les éléments de preuve et à évaluer leur portée sur les faits de l’espèce. C’est une question qui relève de la SAR dans le cadre de son obligation d’apprécier la preuve. […]
  2. Il tirait des conclusions sur la crédibilité qui auraient dû être réservées au tribunal. À mon avis, il est bien connu que les conclusions relatives à la crédibilité sont au cœur du travail de tribunaux comme la SPR et la SAR. Bien que je ne connaisse pas la pratique de l’expert visé en l’espèce, il est rare que de tels rapports traitent de la crédibilité d’un demandeur, et encore moins qu’ils entrent dans le niveau de détails comme on l’a fait en l’espèce. Le rapport en question non seulement évalue la crédibilité du demandeur, il va plus loin et peut sembler donner des conseils au juge des faits sur la façon d’évaluer la crédibilité du demandeur lorsqu’il comparaît devant lui. […]
  3. Il n’avait fait l’objet d’aucune validation. À mon avis, il ne s’agit pas d’un motif qui permet à lui seul d’attribuer peu de poids au rapport. Si tel était le cas, la plupart, voire la totalité, de ces rapports n’auraient pas beaucoup de poids. Par conséquent, je conclus que ce motif n’est pas raisonnable.
  4. Il parvenait à des conclusions très graves concernant la santé psychologique du demandeur après une seule entrevue. Nous savons que le demandeur n’a rencontré le psychologue qu’une seule fois; nous ne savons pas pendant combien de temps. On a dit à la Cour que ce psychologue rencontre habituellement ses clients pendant deux ou trois heures. Respectueusement, il faut une fois de plus évaluer le poids à accorder au rapport, ce que la SAR doit trancher de façon raisonnable. […]
  5. Il traitait de l’absence de ressources disponibles au Pakistan sans donner d’éléments de preuve de connaissances concernant les options en matière de traitement dans ce pays. D’une part, le psychologue a dit qu’il n’y avait [TRADUCTION] « aucune option de traitement psychologique ou psychiatrique au Pakistan en ce qui concerne le TSPT, le TDM au Pakistan »; cependant, rien ne laisse croire qu’il avait cette expertise à cet égard. D’autre part, le demandeur soutient que cette observation visait à indiquer que le demandeur ne pourrait pas être traité s’il retournait au Pakistan, sans parler de l’état des traitements en santé mentale dans ce pays. Tout bien pesé, cette conclusion est raisonnable à mon avis.

Le tribunal peut conclure que le témoignage d’opinion n’est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais. Le récit des événements qui est fait à un psychologue ne rend pas ces événements plus crédiblesNote de bas de page 389. Par conséquent, si le tribunal ne croit pas les faits sous-jacents, il lui est tout à fait loisible de rejeter un rapport médical ou d’y accorder peu de poids en se fondant sur cette conclusionNote de bas de page 390.

La Commission peut décider du poids à accorder, le cas échéant, à un rapport psychologique, mais comme elle n’est pas un tribunal spécialisé en matière d’évaluation psychologique, elle ne peut pas rejeter le diagnostic du psychologueNote de bas de page 391.

Lorsque des rapports sont basés sur des observations cliniques qui peuvent être tirées indépendamment de la crédibilité du demandeurNote de bas de page 392, ces rapports peuvent servir de preuve corroborante pour déterminer la crédibilité d’un demandeur et la SPR devrait traiter cette preuve dans son évaluation de la crédibilité du demandeurNote de bas de page 393.

La Cour fédérale a aussi statué que, lorsqu’une opinion professionnelle est soumise concernant l’état psychologique d’un demandeur, notamment pour savoir s’il souffre effectivement de névrose post-traumatique, cette opinion ne peut pas être rejetée pour le motif que le médecin ne pouvait pas spécifiquement corroborer les incidents rapportés par le demandeurNote de bas de page 394.

La valeur des rapports rédigés par les professionnels de la santé réside surtout dans le fait qu’ils contiennent des éléments de preuve liés à la santé; ils ne devraient pas être rejetés du fait qu’ils ne nomment pas le ou les agresseurs d’un demandeur d’asileNote de bas de page 395.

Un rapport médical ne peut pas être rejeté pour le seul motif qu’il n’indique pas que la seule cause possible des blessures en question est celle indiquée par le demandeur. Il suffit que le rapport conclue que les blessures en question peuvent avoir découlé de la cause indiquée par le demandeurNote de bas de page 396.

Le rapport psychologique doit être suffisamment étayé pour expliquer l’incidence d’un trouble médical sur la capacité du demandeur d’asile à témoigner (par exemple, le lien entre les erreurs cognitives mentionnées dans le rapport et les contradictions ou les omissions)Note de bas de page 397.

Le commissaire doit expliquer de quelle façon le diagnostic indiqué dans le rapport psychologique a influé sur son évaluation du témoignage du demandeur d’asile (c’est-à-dire considérer si le rapport rend compte adéquatement de la mémoire défaillante ou du manque de cohérence)Note de bas de page 398.

Même si la Commission estime qu’un demandeur n’est pas digne de foi, elle doit quand même examiner la preuve documentaire. Si le rapport médical est pertinent en ce qui concerne les conclusions d’absence de crédibilité tirées par le tribunal et que la crédibilité est un élément essentiel de la demande, la SPR doit expliquer quel poids elle a accordé au rapport lorsqu’elle a conclu à l’absence de crédibilitéNote de bas de page 399.

La SPR doit utiliser le rapport psychologique pour évaluer la crédibilité du demandeur. La SPR effectue son analyse à l'envers lorsqu'elle tire des conclusions sur crédibilité, puis utilise ces conclusions pour rejeter les rapports; ce qui est déraisonnableNote de bas de page 400.

2.4 Permettre au demandeur d’asile d’expliquer les contradictions ou les incohérences dans la preuve

2.4.1 Principe général

L’équité procédurale est [traduction] « une des assises du droit administratifNote de bas de page 401 ». L'un des principes fondamentaux de la justice naturelle est le droit d'être entendu (audi alteram partem), qui comprend le droit d'une partie de connaître la preuve à réfuter. Dans l’arrêt BakerNote de bas de page 402, la Cour suprême du Canada a souligné que les exigences en matière d'équité procédurale soient souples, variables et dépendantes du contexte. Dans le contexte de la détermination du statut de réfugié, le troisième facteur de l'arrêt Baker, à savoir l'importance de la décision pour les personnes concernées, suggère un niveau élevé de droits de participation en vertu duquel les demandeurs d’asile auraient l'occasion de faire valoir pleinement leurs points de vue et leurs preuves et de les faire examiner par le décideur.

De manière générale, lorsqu’un décideur a des doutes concernant la crédibilité de la preuve présentée par une partie, le droit de se faire entendre exige que la partie ait l’occasion de répondre à ces doutesNote de bas de page 403. Comme il en sera question ci-après, la Cour fédérale a fourni des indications sur la façon de respecter cette obligation dans le cadre des procédures d’octroi de l’asile.

2.4.2 Contradictions ou incohérences dans le témoignage du demandeur d’asile

La Cour fédérale soutient depuis longtemps que, en règle générale, la Commission doit accorder à un demandeur d’asile la possibilité d’expliquer toute contradiction, incohérence ou omission apparente dans son témoignage de vive voix, son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA) ou les notes prises aux points d’entrée qui est centrale dans la décision de la Commission relative à la demande d’asileNote de bas de page 404 Plus le tribunal s’appuie sur une divergence pour mettre en doute la crédibilité du demandeur d’asile, plus s’accroît son obligation de lui accorder cette possibilitéNote de bas de page 405.

Dans certains cas, la Cour fédérale s’est écartée de cette règle générale, ayant jugé qu’il n’était pas nécessaire pour la Commission de porter la divergence à l’attention du demandeur d’asile dans les circonstances. Par exemple, dans l’affaire NgongoNote de bas de page 406, le tribunal s’était appuyé sur une contradiction importante et flagrante dans la réponse du demandeur d’asile à une question directe du tribunal. De plus, le demandeur d’asile était représenté par un conseil, qui aurait pu poser des questions à son client à ce sujet. La Cour a conclu que le tribunal n’avait pas commis d’erreur en ne portant pas la contradiction reprochée à l’attention du demandeur d’asile.

En revanche, lorsque la Commission envisage de s’appuyer sur une divergence qui est moins évidente, le tribunal peut avoir l’obligation accrue d’accorder au demandeur d’asile la possibilité de présenter des explications, en gardant à l’esprit qu’il doit éviter de faire preuve d’excès de zèle ou d’examiner à la loupe les divergences minimes ou secondaires dans la preuveNote de bas de page 407.

La Cour fédérale a conclu que la Commission enfreint les règles de l’équité procédurale quand elle laisse entendre au demandeur d’asile que les incohérences, contradictions ou omissions ne sont pas préoccupantes, mais s’appuie ensuite sur celles-ci pour tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilitéNote de bas de page 408. Cela peut assurément porter atteinte au droit du demandeur d’asile de se faire entendre, tout comme le fait d'indiquer que le demandeur aura la possibilité de présenter des observations sur un point litigieux, puis de rendre une décision sans avoir donné au demandeur la possibilité promiseNote de bas de page 409.

La Commission doit se pencher sur les explications données par le demandeur d’asile concernant les divergences apparentes dans son témoignage. Comme l’a souligné le Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Owusu-Ansah,Note de bas de page 410 la Commission ne peut pas ignorer l’explication avancée pour dissiper une divergence apparente et tirer ensuite une conclusion défavorable quant à la crédibilité. La Commission n’est pas tenue d’accepter l’explication donnée par le demandeur d’asile, mais cette explication devrait être exposée dans les motifs de décision, et le tribunal devrait préciser pourquoi il la rejette, si tel est le casNote de bas de page 411. Pour que le témoignage du demandeur d’asile soit rejeté pour des motifs de crédibilité, il faut que les explications fournies soient déraisonnables ou insatisfaisantesNote de bas de page 412.

2.4.3 Manque de précision dans le témoignage

En ce qui concerne le manque de détails dans l’exposé des faits du demandeur, la Cour fédérale a déclaré dans Danquah :

Je ne suis pas persuadé non plus que le tribunal a été injuste dans sa procédure en n’avisant pas la [demanderesse d’asile] au moment de l’audience qu’il se préoccupait du peu de détails qu’elle fournissait dans son témoignage à propos de ces questions. Il n’y avait aucun exemple d’incohérence dans le témoignage de la [demandeur d’asile] sur lequel le tribunal s’est fondé et qu’il aurait dû en toute justice porter à son attention. Un tribunal n’est aucunement tenu de mentionner les aspects du témoignage de la [demanderesse d’asile] qu’il considère peu convaincants lorsqu’il incombe à celle-ci d’établir qu’elle craint avec raison d’être persécutée pour des raisons entrant dans la définition de réfugié au sens de la ConventionNote de bas de page 413 .

De même, dans la décision Kutuk,Note de bas de page 414, la Cour fédérale a affirmé que la Commission n’est pas tenue d’aviser le demandeur d’asile que son témoignage manquait de précision.

Cependant, dans l’affaire Jurado BarillasNote de bas de page 415, la Cour fédérale a conclu qu’il y avait eu manquement à l’équité procédurale lorsque la Commission avait reproché au demandeur d’asile principal le manque de précisions dans son témoignage. La Cour a conclu que le demandeur d’asile principal avait présenté un témoignage détaillé, qui concordait en grande partie avec les autres éléments de preuve au dossier. La Cour a jugé que, si la Commission voulait obtenir encore plus de précisions que celles qui avaient été fournies, elle aurait dû en faire part aux demandeurs d’asile et leur donner la possibilité de répondre à ses préoccupations.

2.4.4 Preuve documentaire

Généralement, la Commission n’est pas tenue d’accorder aux demandeurs d’asile la possibilité d’expliquer les divergences relevées dans les documents dont ils connaissent le contenu et qu’ils ont eux-mêmes présentésNote de bas de page 416. La Cour fédérale a établi une distinction entre de tels documents et les éléments de preuve extrinsèques sur lesquels se fonde la Commission. Les demandeurs d’asile devraient avoir l’occasion de présenter des explications concernant les divergences dans les éléments de preuve extrinsèquesNote de bas de page 417.

Dans la décision KonareNote de bas de page 418, le demandeur avait soumis en preuve une plainte déposée devant un tribunal malien selon laquelle il avait rejoint sa famille deux jours après leur déménagement, alors que, dans son témoignage, il a affirmé qu’il avait attendu plus de quatre mois avant de rejoindre sa famille. La Cour fédérale a conclu qu’il n’était pas nécessaire de donner l’occasion au demandeur d’expliquer cette contradiction. La plainte présentée au tribunal ne constituait pas une preuve extrinsèque; il s’agissait plutôt d’une preuve présentée par le demandeur et il était au courant de son contenu.

De même, dans l’affaire GuNote de bas de page 419, la Cour fédérale a conclu qu’il incombait à la demandeure de s’assurer que la traduction d’une assignation à comparaître déposée en preuve était exacte, et que « les principes d’équité procédurale n’exigent pas que la Commission confronte les demandeurs quant à de l’information qu’ils ont eux-mêmes fournie […] ».

Dans la décision MoïseNote de bas de page 420, le témoignage de la demandeure et le certificat médical divergeaient quant à la date d’une agression. La Cour fédérale a conclu qu’elle ne pouvait pas «reprocher à la SPR de ne pas l’avoir confrontée à l’écart de dates ».

Cependant, dans l’affaire SarkerNote de bas de page 421, la Cour fédérale a reproché à la SPR de ne pas avoir donné l’occasion au demandeur d’expliquer les contradictions relevées entre le contenu des articles de journaux et son témoignage. Les divergences étaient d’importance secondaire et ne provenaient pas entièrement du demandeur lui-même.

2.4.5 Éléments de preuve qui semblent invraisemblables

La Cour fédérale a confirmé que la Commission n’a pas l’obligation d’aviser le demandeur d’asile de ses préoccupations concernant les lacunes du témoignage qui donnent lieu à des conclusions d’invraisemblanceNote de bas de page 422, sauf s’il s’agit d’une incohérence qui est au cœur de la demande d’asileNote de bas de page 423.

Cependant, la Cour fédérale a déclaré dans la décision Nkrumah :

[L]orsque les inférences du tribunal reposent sur ce qui semble être le « bon sens » ou des idées rationnelles sur la façon dont on peut s’attendre que le régime gouvernemental d’un autre pays agisse ou réagisse dans un contexte donné, le tribunal se trouve dans l’obligation, par souci d’équité, de fournir au requérant la possibilité de répliquer aux inférences en questionNote de bas de page 424.

D’autres décisions de la Cour fédérale confirment également que le demandeur d’asile devrait avoir la possibilité d’expliquer pourquoi lui ou d’autres se sont comportés d’une façon donnéeNote de bas de page 425.

Dans la décision Arumugam, la Cour fédérale a tenté de concilier ces courants divergents lorsqu’elle a affirmé :

La Commission ne peut pas simplement « inventer » des invraisemblances. Ces dernières doivent être fondées sur la preuve. Si elles sont clairement fort conjecturales et si l’intéressé n’a pas eu la possibilité de répondre, la cour de révision accordera peu d’importance à la conclusion. Si elles sont fermement fondées sur la preuve et étayées par celle-ci, elles se verront, bien sûr, accorder plus d’importanceNote de bas de page 426. [soulignement ajouté]

2.5 Tenir compte de la situation du demandeur d’asile

2.5.1 Circonstances personnelles qui peuvent avoir une incidence sur la preuve

Le processus d’octroi de l’asile se démarque de la plupart des autres processus judiciaires dans notre système juridique. Il est de nature non contradictoire et il est conçu pour se dérouler sans formalisme et avec célérité, sous forme d’enquête. Les règles « normales » de la preuve ne s’appliquent pasNote de bas de page 427 à ce processus et les commissaires peuvent s’appuyer sur des « renseignements qui sont du ressort de [leur] spécialisationNote de bas de page 428 ». En général, les demandeurs d’asile sont dans une situation de vulnérabilité, et il s’agit d’un processus nouveau et unique pour eux. Une bonne partie des témoignages passent par les filtres que sont l’interprétation et les communications interculturelles. Par conséquent, des malentendus peuvent survenir, même chez les personnes de bonne foiNote de bas de page 429.

Lorsque les commissaires évaluent la crédibilité d’un témoignage, ils devraient tenir compte de la situation unique du demandeur d’asile et de tout autre témoin. Voici certains des facteurs qui peuvent influer sur la capacité d’une personne d’observer certains événements, de se les rappeler et de les décrire à l’audience :

Les décideurs doivent s’assurer de ne pas tirer de conclusions quant à la crédibilité qui reposent sur des mythes ou des stéréotypesNote de bas de page 439. Ils doivent également garder à l’esprit que la situation personnelle d’un demandeur d’asile ou d’un témoin peut être marquée par plus d’un des facteurs susmentionnés ou par d’autres facteurs importantsNote de bas de page 440.

2.5.2 Évaluation de la crédibilité tenant compte des traumatismes

Les décideurs doivent adopter une approche qui tient compte des traumatismes lorsqu’ils évaluent la crédibilité des demandeurs d’asile et des autres témoins dans les procédures d’octroi de l’asile. En particulier, il faut prévoir la possibilité que des traumatismes passés influent sur la mémoire d’une personne ou son aptitude à témoigner, et reconnaître qu’il peut être intimidant de raconter une expérience traumatisante au cours d’une procédure officielle devant un étranger en position d’autorité. Chaque personne réagit à sa façon en racontant des expériences traumatisantes, de sorte que les décideurs ne doivent pas s’attendre à ce qu’un demandeur d’asile ou un témoin se comporte d’une certaine manière lorsqu’il témoigne au sujet de telles expériences.

Par exemple, dans l’affaire JonesNote de bas de page 441, la Cour fédérale a déclaré que la Commission est tenue de prendre en considération la possibilité que les victimes de violence familiale souffrent de symptômes consécutifs au traumatisme, qui peuvent troubler leur mémoire ou compromettre leur capacité de décrire leur traumatisme. Dans cette affaire, la Cour a annulé la décision parce que la SPR avait été « très critique » des différences qui existaient entre le témoignage de la demandeure d’asile et son Formulaire de renseignements personnels (FRP), sans se demander si les écarts qu’elle avait constatés découlaient de problèmes psychologiques et non pas de la volonté de fabriquer des preuves.

La décision Jones a été citée dans l’affaire ZamasekaNote de bas de page 442, dans laquelle la demandeure d’asile avait affirmé avoir été violée et éprouver par conséquent « un état aigu de symptômes de détresse ». La Cour a confirmé que la SPR avait commis une erreur en concluant que le viol n’avait pas eu lieu en raison de l’omission de détails dans le FRP concernant la présence de soldats pendant le viol. La Cour a conclu que la SPR aurait dû se demander si les écarts constatés entre le FRP et le témoignage découlaient de troubles psychologiques liés à l’agression.

Dans l’affaire IsakovaNote de bas de page 443, la SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du fait que la demandeure d’asile n’avait pas consulté de médecin après avoir été violée. La Cour a conclu que la rigidité de cette hypothèse contredisait clairement l’approche contextuelle qui tient compte de l’expérience traumatisante de l’agression sexuelle.

Une allégation de traumatisme passé n’empêche pas le tribunal de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité s’il y a des lacunes importantes dans la preuve qui ne sont pas raisonnablement expliquées. Par exemple, dans l’affaire ZararsizNote de bas de page 444, la Cour a jugé que la SAR avait eu raison de conclure que les problèmes de santé mentale de l’appelant, qui étaient prétendument attribuables à sa longue période d’incarcération et à la violence qu’il avait subie aux mains de ses ravisseurs, ne justifiait pas les divergences relevées dans son témoignage. Le problème n’était pas son incapacité à se souvenir de détails, mais plutôt les graves incohérences entre les déclarations qu’il avait faites au point d’entrée et les différentes versions de l’exposé circonstancié du formulaire FDA.

La jurisprudence qui reconnaît l’importance de prendre en compte les traumatismes dans l’évaluation de la crédibilité est recensée et détaillée dans les Directives du président. Par exemple, suivant les Directives numéro 3 du président : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié, les commissaires doivent tenir compte des effets possibles des traumatismes lorsqu’ils évaluent les témoignages des enfantsNote de bas de page 445. Les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe préconisent une approche tenant compte des traumatismes pour la tenue des audiences et l’appréciation de la preuve dans les demandes d’asile fondées sur le sexeNote de bas de page 446. Enfin, les Directives numéro 9 du président : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre reconnaissent le principe que les personnes de diverses OSIGEG peuvent souffrir de traumatismes susceptibles de nuire à leur aptitude à témoignerNote de bas de page 447.

3. Conclusion « d’absence de minimum de fondement »

3.1 Aperçu de la législation

Le paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) est ainsi libellé :

107(2) Si [la Section de la protection des réfugiés] estime, en cas de rejet, qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, la section doit faire état dans sa décision de l’absence de minimum de fondement de la demandeNote de bas de page 448.

Cette disposition de la LIPR concernant « l’absence de minimum de fondement » est essentiellement la même que l’ancienne disposition de la Loi sur l’immigration, qui prévoyait ce qui suit à l’article 69.1(9.1) :

69.1(9.1) La décision doit faire état de l’absence de minimum de fondement, lorsque chacun des membres de la section du statut ayant entendu la revendication conclut que l’intéressé n’est pas un réfugié au sens de la Convention et estime qu’il n’a été présenté à l’audience aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel il aurait pu se fonder pour reconnaître à l’intéressé ce statut.

Avant 1993, date à laquelle les modifications apportées à la Loi sur l’immigration sont entrées en vigueur, le système d’octroi de l’asile comportait deux étapes. Les demandes d’asile ne pouvaient faire l’objet d’une analyse complète de la part de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) à moins qu’un tribunal à l’étape préliminaire n’ait estimé qu’elles avaient un minimum de fondement suivant le paragraphe 46.01(6) de la Loi sur l’immigration.

Dans l’affaire RahamanNote de bas de page 449, la Cour d’appel fédérale (CAF) a fait remarquer que, lorsque la Loi sur l’immigration a été modifiée pour éliminer le processus à deux étapes et ajouter l’article 69.1(9.1), le critère du minimum de fondement a changé de fonction; au lieu d’exclure les demandes d’asile à l’étape préliminaire, il servait désormais à restreindre les droits postérieurs à la décision des demandeurs d’asile déboutés dont il avait été jugé que les demandes d’asile n’étaient pas étayées d’une preuve crédible.

La possibilité d’éliminer les demandeurs d’asile déboutés dont les demandes d’asile avaient peu de chance de succès avant que ceux ci se lancent dans des révisions et des appels vains devait être ce que la Cour fédérale avait en tête lorsqu’elle a reconnu que « l’utilisation efficace des ressources limitées exige l’élimination au plus tôt​ des demandes d’asile qui n’ont manifestement aucune chance de succès, et que le paragraphe 107(2) de la LIPR repose sur des solides considérations de politique généraleNote de bas de page 450. » [soulignement ajouté]

3.2 L’analyse au titre du paragraphe 107(2) est obligatoire

Lorsque la Section de la protection des réfugiés (SPR) rejette une demande d’asile, elle « doit faire état » dans ses motifs de décision de l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile lorsque les conditions préliminaires nécessaires sont remplies, à la lumière des faits.

Le paragraphe 107(2) n’accorde aucun pouvoir discrétionnaire aux décideurs. Ainsi, lorsque la SPR conclut qu’il n’existe aucun élément de preuve crédible ou digne de foi pour étayer une demande d’asile, elle doit conclure qu’il y a absence de minimum de fondement.

Il peut arriver qu’un décideur juge que la même demande d’asile est dénuée d’un minimum de fondement et qu’elle est manifestement non fondée. Le libellé du paragraphe 107(2) et de l’article 107.1 est obligatoire, et rien ne laisse entendre qu’un décideur puisse choisir une disposition plutôt que l’autre. Ainsi, lorsque les conditions nécessaires sont réunies, le décideur doit tirer des conclusions relativement aux deux dispositions. Les affaires dans lesquelles la SPR a procédé ainsi ont été confirmées par la CourNote de bas de page 451. Par exemple, dans l’affaire Belay, la SPR a rejeté la demande d’asile et a jugé que celle-ci était manifestement non fondée au titre de l'article 170.1 de la LIPR et qu’il y avait absence de minimum de fondement au sens du paragraphe 107(2). La juge Elliott a clairement traité de cette question dans les motifs suivants :

[16] […] le libellé du paragraphe 107(2) et de l'article 107.1 de la LIPR a force obligatoire : si la Section de la protection des réfugiés estime qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, elle doit faire état de l’absence de minimum de fondement de la demande. En outre, si la Section de la protection des réfugiés est d’avis qu’une demande est clairement frauduleuse, elle doit indiquer que la demande est manifestement infondée. Par conséquent, il va de soi que, si la Section de la protection des réfugiés est d’avis qu’on ne lui a présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une opinion favorable et que la demande est clairement frauduleuse, elle doit indiquer que la demande est dépourvue d’un minimum de fondement et qu’elle est manifestement infondée. Il semble que c’est ce que la Section de la protection des réfugiés a fait en l’espèceNote de bas de page 452.

3.3 Exclusion d’un demandeur d’asile

Bien qu’une demande d’asile puisse être à la fois manifestement infondée et dénuée d’un minimum de fondement, aucune de ces décisions ne peut être rendue s’il a été établi que le demandeur d’asile est exclu. Dans l’arrêt Singh, la CAF a déclaré que la SPR ne peut conclure à l’absence d’un minimum de fondement une fois qu’elle a établi que le demandeur d’asile est visé par la disposition d’exclusion de la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés. Le juge Stratas a reformulé la question certifiée de la façon suivante et il y a répondu par l’affirmative :

Compte tenu du pouvoir conféré à la Section de la protection des réfugiés aux termes du paragraphe 107(2) et de l’article 107.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de déterminer qu’une demande d’asile n’a pas de fondement crédible ou qu’elle est manifestement infondée, est-il interdit à la Section de la protection des réfugiés de rendre une telle conclusion après avoir conclu que le demandeur d’asile est exclu en vertu de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiésNote de bas de page 453?

3.4 Exigence en matière d’avis

Dans l’affaire Mathiyabaranam, la CAF a statué que la Commission n’est pas tenue de donner un avis spécial au demandeur d’asile avant de conclure à l’absence d’un minimum de fondement en ce qui a trait à la demande d’asile.

[9] La question qu’il faut donc trancher est celle de savoir s’il faut donner un avis précis au revendicateur avant que la Commission puisse conclure à l’absence de minimum de fondement à l’issue de l’audience visant à se prononcer sur le statut de réfugié au sens de la Convention. Il n’est pas expressément prescrit dans la loi qu’un avis supplémentaire de cette question doit être donné. Toute exigence de cette nature doit donc être fondée sur le droit de justice naturelle selon lequel une personne doit savoir ce contre quoi il doit se défendre dans une procédure administrative qui touche ses intérêts. À mon avis, comme je l’expliquerai plus loin, il n’existe aucun droit de recevoir un avis supplémentaire au sujet de la possibilité que l’on conclue à l’absence d’un minimum de fondement. C’est donc dire que, dans la présente situation, il n’y a pas eu de manquement à la justice naturelle.

[10] N’importe quel revendicateur est « ou devrait être » conscient du risque que l’on conclue à une absence de minimum de fondement, même s’il n’y a pas d’autre avis donné sur cette issue éventuelle. Le revendicateur du statut de réfugié doit être conscient qu’il lui faut établir, dans le cadre de sa revendication, un minimum de fondement pour cette dernière. On ne peut établir une revendication du statut de réfugié sans établir d’abord, pour cette dernière, un minimum de fondement; l’une est tout à fait subordonnée à l’autre, et incluse en elle. Je ne puis imaginer ce qu’un revendicateur, à qui l’on a donné un avis spécial, pourrait bien ajouter à sa cause. Tous les éléments de preuve disponibles devraient déjà avoir été soumis à la Commission dans le cadre de la revendication du statut de réfugiéNote de bas de page 454.

Toutefois, comme l’affirme la CAF au paragraphe 9, la justice naturelle exige qu’un demandeur d’asile sache ce contre quoi il doit se défendre. Ainsi, les préoccupations particulières liées à la preuve qui tendent vers une décision dans le sens du paragraphe 107(2) devraient être portées à l’attention du demandeur d’asile le plus tôt possible. Le demandeur d’asile doit avoir la possibilité raisonnable de dissiper tous les doutes du décideur avant qu’une conclusion d’absence de minimum de fondement soit tirée.

3.5 Conséquences graves pour le demandeur d’asile

L’absence de minimum de fondement entraîne deux conséquences juridiques gravesNote de bas de page 455.

Premièrement, si la SPR conclut qu’il a absence de minimum de fondement, le demandeur d’asile est privé de la possibilité d’interjeter appel à la Section d’appel des réfugiés (SAR), au titre de l’alinéa 110(2)c) de la LIPRNote de bas de page 456. Par conséquent, un demandeur d’asile qui conteste la conclusion d’absence de minimum de fondement devrait demander l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR à la Cour fédérale suivant l’article 72(1) de la LIPR.

Deuxièmement, un demandeur d’asile débouté par la SPR est généralement autorisé à obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du Canada jusqu’à ce que la Cour fédérale ait terminé le contrôle de cette décision. Toutefois, si la SPR conclut qu’il y a absence de minimum de fondement, le demandeur d’asile n’a pas droit à un sursis automatique à la mesure de renvoi pendant qu’une demande d’autorisation de contrôle judiciaire est en instanceNote de bas de page 457. Par conséquent, en plus de demander une autorisation de contrôle judiciaire, le demandeur d’asile doit aussi demander à la Cour fédérale de surseoir à la mesure de renvoi. Il est à noter que les sursis sont accordés de façon discrétionnaireNote de bas de page 458.

3.6 Seuil élevé pour conclure à l’absence d’un minimum de fondement

La Cour fédérale a souligné à de multiples reprises que le seuil permettant de conclure à l’absence d’un minimum de fondement est élevé parce que cette conclusion a une incidence très importante sur les droits des demandeurs d’asileNote de bas de page 459.

La Cour fédérale est susceptible d’examiner en détail l’analyse au titre du paragraphe 107(2) qu’effectue la SPR en raison des conséquences graves qu’entraîne une conclusion d’absence de minimum de fondement. Le juge Phelan s’exprime ainsi dans l’affaire Sterling : « La SPR ne peut pas s’isoler du contrôle en appel simplement en tirant une [conclusion d’absence de minimum de fondement]. Un tribunal doit examiner attentivement une telle conclusion parce qu’elle a d’importantes conséquences juridiques et pourrait être tirée trop facilement ou trop aisémentNote de bas de page 460. »

Bien qu’il y ait un seuil élevé pour conclure à l’absence d’un minimum de fondement en ce qui a trait à une demande d’asile, dans l’affaire Rahaman la CAF a répondu à l’argument selon lequel, pour se conformer aux normes internationales, la conclusion d’absence de minimum de fondement ne devrait être tirée à l’égard d’une demande d’asile que si celle ci peut être qualifiée de « manifestement non fondée » – le critère utilisé dans les instruments internationaux. La Cour a analysé le droit international pertinent avant de déclarer qu’il n’était pas nécessaire d’examiner cet argument puisque la Cour a conclu qu’il n’y avait pas de consensus international sur la signification de l’expression « manifestement non fondéeNote de bas de page 461 ».

3.7 Signification d’un élément de preuve crédible ou digne de foi

Le paragraphe 107(2) de la LIPR, comme l’ancienne disposition de la Loi sur l’immigration, l’article 69.1(9.1) prévoit que l’élément de preuve d’un demandeur d’asile doit satisfaire à la norme de ce qui est « crédible ou digne de foi ».

Dans l’affaire Rahaman, la CAF a décrit la preuve en question comme étant « indépendante et crédible » et susceptible d’étayer une reconnaissance du statut de réfugiéNote de bas de page 462. Dans l’affaire Wright, l’accent était mis sur la nature objective de l’élément de preuveNote de bas de page 463  

Des exemples tirés de la jurisprudence fournissent des orientations quant aux types d’éléments de preuve qui constituent ou non des éléments de preuve crédibles ou dignes de foi sur lesquels une décision favorable pourrait être fondée.

Dans l’affaire PaniaguaNote de bas de page 464, une lettre de l’école de la fille faisait état de la déclaration faite par la demandeure au directeur de l’école, selon laquelle le comportement de sa fille était attribuable à des problèmes avec le père de celle-ci. La lettre n’a pas satisfait au critère de la preuve documentaire indépendante et crédible parce qu’un exposé des renseignements fournis par la demandeure ne peut être considéré comme une preuve indépendante susceptible d’étayer la demande d’asile.

De même, dans l’affaire WrightNote de bas de page 465, la demandeure a soumis trois lettres qui étaient rédigées par son frère et deux de ses amis à elle. La SPR a constaté qu’il ne s’agissait pas de rapports directs des événements qui étaient survenus. Plus précisément, la Cour fédérale a déclaré, en ce qui concerne le témoignage de la demandeure, que ces lettres ne constituaient pas une « preuve documentaire objective » avant de conclure que les « fondements objectifs » qui militeraient contre une conclusion d’absence de minimum de fondement n’existaient pas.

La décision Boztas met en lumière le fait qu’un document auquel un décideur accorde « peu de poids » ne peut étayer une conclusion d’absence de minimum de fondement. Par conséquent, si la SPR rejette la preuve en raison de préoccupations en matière de crédibilité, elle devrait préciser que le document en question n’a aucun poidsNote de bas de page 466. Dans l’affaire Boztas, la SPR a accepté des éléments de preuve qui étaient susceptibles d’étayer une décision favorable et leur a accordé un certain poids, quoique minime. En plus des éléments de preuve étayant la persécution et la discrimination à l’encontre de personnes de la même origine ethnique et religion que le demandeur, il y avait des lettres de son médecin, qui attestait avoir traité les blessures du demandeur, et de son avocat, qui avait tenté, sans succès, d’aider le demandeur à être remis en liberté après sa détention par la police. La Cour a conclu que la SPR avait commis une erreur dans son application du critère d’absence de minimum de fondement : « La SPR a accordé peu de valeur probante à ces lettres, mais elle n’a pas indiqué qu’elles n’avaient “aucune valeur probante”, ce qui serait nécessaire pour justifier une décision s’appuyant sur l’“absence d’un minimum de fondement” [emphasis added].”Note de bas de page 467. » [soulignement ajouté]

L’appartenance incontestée d’un demandeur d’asile à un groupe social peut constituer un élément de preuve crédible ou digne de foiNote de bas de page 468. De même, la preuve établissant une connaissance de la langue, de la géographie, de l’histoire, du paysage politique et des affaires publiques d’un pays pourrait suffire à faire échouer une conclusion d’absence de minimum de fondementNote de bas de page 469.

La preuve selon laquelle une mère a obtenu le statut de réfugié peut constituer une preuve crédible ou digne de foi en ce qui concerne la demande d’asile présentée par son propre enfant, qui avait été témoin des actes de violence subis par sa mère. Par exemple, dans l’affaire A.B.Note de bas de page 470, il y avait un agent de persécution commun pour les demandes d’asile de la mère et de la fille.

Les rapports médicaux fondés uniquement sur le récit non crédible d’un demandeur d’asile ne peuvent être considérés comme un élément de preuve crédible ou digne de foi. Toutefois, lorsque les rapports reposent sur des observations cliniques qui peuvent être formulées indépendamment de la crédibilité d’un demandeur d’asile, de tels rapports d’experts peuvent servir d’éléments de preuve corroborantsNote de bas de page 471.

La CAF a déclaré que les rapports sur le pays ne traitent pas de la situation d’un demandeur d’asile en particulierNote de bas de page 472. Par conséquent, un demandeur d’asile doit démontrer en quoi les éléments de preuve sur les conditions dans le pays s’appliquent dans des circonstances particulièresNote de bas de page 473.

Par exemple, dans l’affaire JosephNote de bas de page 474, la demandeure a fait remarquer que la SPR ne pouvait pas tirer une conclusion d’absence de minimum de fondement dans un contexte où elle avait admis que la preuve documentaire démontrait que les femmes en Haïti étaient exposées à une violence endémique. La juge Roussel a fait observer que la SPR avait admis qu’Haïti est un pays où la violence envers les femmes est endémique, en particulier pour les femmes seules. Toutefois, le tribunal n’a pas conclu que la situation s’appliquait à la demandeure. La SPR a conclu que la demandeure n’avait pas démontré qu’elle ne pourrait pas bénéficier de la protection de son époux ou du reste de sa famille. En d’autres termes, la SPR a statué que la demandeure ne faisait pas partie du groupe pris pour cible. De plus, elle a également reconnu que, outre l’incident ayant donné lieu à la demande d’asile, elle n’avait jamais subi de violence contre sa personne. Devant la Cour, la demandeure n’a pas contesté l’interprétation de la preuve documentaire par la SPR ni fourni de preuve contraire. Par conséquent, la conclusion d’absence de minimum de fondement tirée par la SPR a été confirmée.

De même, dans l’affaire PaniaguaNote de bas de page 475, la preuve documentaire établissait que la violence envers les femmes était largement répandue en République dominicaine et qu’il y avait des préoccupations quant à l’efficacité des efforts mis en œuvre par l’État pour corriger ce problème. Toutefois, la Cour fédérale a conclu que l’expérience vécue par la demandeure était différente puisqu’elle avait obtenu la protection de l’État.

Dans l’affaire MohamedNote de bas de page 476, la Cour fédérale a statué que « [l]a SPR disposait d’éléments de preuve documentaire, notamment des rapports du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, mentionnés dans le cartable national de documentation (30 avril 2018), qui pouvaient appuyer la demande de M. Mohamed ». Par conséquent, la SPR a commis une erreur en concluant qu’il y avait absence de minimum de fondement en ce qui a trait à sa demande d’asile, sans évaluer les éléments de preuve documentaire indépendants et crédibles susceptibles d’étayer la demande d’asile.

L’expression « élément de preuve crédible et digne de foi » est qualifiée par l’expression « sur lequel [la SPR] aurait pu fonder une décision favorable ». Par conséquent, la SPR peut conclure à l’absence d’un minimum de fondement même s’il existe un élément de preuve crédible ou digne de foiNote de bas de page 477. La loi exige du décideur qu’il évalue si les éléments de preuve à sa disposition sont « […] suffisants en droit pour que le statut de réfugié soit reconnu au revendicateurNote de bas de page 478 ».[soulignements ajoutés]

Par exemple, dans l’affaire MarquezNote de bas de page 479, les renseignements médicaux n’avaient pas la valeur probante nécessaire pour renverser la conclusion d’absence de minimum de fondement, car ils ne fournissaient aucun renseignement, outre la nature des blessures qui auraient pu être causées de bien d’autres manières.

Un autre exemple d’élément de preuve crédible ou digne de foi qui n’avait pas la valeur probante requise pour faire obstacle à une conclusion d’absence de minimum de fondement peut être constaté dans l’affaire MoïseNote de bas de page 480, où la Cour fédérale a statué que le certificat de décès qui établissait uniquement la date du décès de la mère du demandeur ne pouvait être considéré comme un élément de preuve crédible et digne de foi sur lequel une décision favorable à la demande d’asile du demandeur aurait pu être fondée.

Dans l’affaire PaniaguaNote de bas de page 481, la demandeure a soutenu qu’elle avait été maltraitée physiquement par son conjoint. La Cour fédérale était d’accord avec la SPR qu’il n’y avait aucun élément de preuve crédible ou digne de foi pour étayer sa demande d’asile. Plus précisément, le certificat de naissance de la fille établissait simplement la paternité. Une lettre de l’école de la fille réitérait la déclaration de la demandeure au directeur selon laquelle les problèmes de comportement de la fille étaient attribuables à des problèmes avec le père de celle-ci, y compris des agressions. Même si un rapport médical constituait une preuve indépendante confirmant la présence d’une blessure, il ne contenait aucun élément de preuve quant à la cause de la blessure. Enfin, l’ordonnance de protection n’était pas centrale en ce qui a trait à la demande d’asile, car elle faisait état d’événements survenus plusieurs années avant les faits mentionnés dans la demande d’asile.

Dans l’affaire DimoNote de bas de page 482, la Cour fédérale a statué que la SPR avait conclu de façon raisonnable que la preuve dont elle était saisie n’était pas crédible ou que les parties crédibles n’étayaient pas la demande d’asile des demandeurs. Ainsi, la Cour était d’accord qu’il y avait absence de minimum de fondement.

Dans l’affaire LiNote de bas de page 483, le demandeur a affirmé qu’il était persécuté parce qu’il protestait contre la vente forcée de sa terre au gouvernement. La SPR avait des préoccupations concernant l’identité et la crédibilité du demandeur. Elle a rejeté la demande d’asile et a conclu à l’absence d’un minimum de fondement. Les seuls éléments de preuve objectifs déposés par le demandeur étaient des documents d’identité établissant son statut d’ouvrier agricole (et non de propriétaire foncier), un reçu pour de l’engrais et une série de photographies qui montraient une terre, mais ne confirmaient aucunement qu’il s’agissait là de la terre du demandeur faisant l’objet d’une expropriation. Selon la Cour, cette preuve ne pouvait servir à établir le bien-fondé de sa demande d’asile. Par conséquent, la conclusion d’absence de minimum de fondement était raisonnable.

3.8 Crédibilité et conclusions d’absence de minimum de fondement

Les sections qui suivent traitent des liens entre les conclusions défavorables en matière de crédibilité et le paragraphe 107(2).

3.8.1 Une conclusion d'absence de minimum de fondement exige plus qu'un simple manque de crédibilité

La CAF a déclaré que la Commission ne devrait pas systématiquement statuer qu’il y a absence de minimum de fondement lorsqu’elle conclut que le demandeur d’asile n’est pas un témoin crédibleNote de bas de page 484.

Dans l’affaire A.B.Note de bas de page 485, le juge Pamel a expliqué que la conclusion « d’absence de minimum de fondement » n’est pas liée à la conclusion raisonnable portant que le demandeur d’asile n’est « pas crédible ». La SPR ne devrait pas confondre le critère permettant d’établir si la preuve est crédible et sa conclusion selon laquelle il y a absence de minimum de fondement. Une conclusion selon laquelle un demandeur d’asile manque de crédibilité n’équivaut pas à une conclusion d’absence de minimum de fondementNote de bas de page 486.

Si un demandeur d’asile produit une preuve indépendante et crédible qui est susceptible d’étayer une décision favorable, sa demande d’asile aura un « minimum de fondement », même si le témoignage du demandeur d’asile est jugé non crédibleNote de bas de page 487.

Dans chacune des affaires décrites ci-après, la Cour a convenu que le demandeur d’asile manquait de crédibilité, mais elle a conclu que la SPR avait commis une erreur en concluant également à l’absence d’un minimum de fondement.

Dans l’affaire PournamnivasNote de bas de page 488, la Cour fédérale a statué que les conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité étaient raisonnables. Toutefois, elle a annulé la conclusion d’absence de minimum de fondement. La SPR n’a pas tiré de conclusions explicites quant à la crédibilité de deux témoins. De plus, le deuxième témoin était le partenaire de même sexe du demandeur. L’absence de conclusions défavorables quant à la crédibilité du deuxième témoin était particulièrement préoccupante pour la Cour fédérale puisque l’homosexualité du demandeur avait clairement été mise en doute devant la SPR. Aussi, la SPR disposait d’une importante preuve documentaire sur la persécution des homosexuels en Inde. La SPR n’a pas évalué cette preuve avant de conclure à l’absence d’un minimum de fondement. À la lumière des documents sur les conditions dans le pays concernant le traitement des homosexuels en Inde et du fait que le commissaire n’a pas formulé de conclusions défavorables explicites quant à la crédibilité des deux témoins, il était déraisonnable de conclure à l’absence d’un minimum de fondement.

Dans l’affaire EzeNote de bas de page 489, la Cour fédérale était disposée à accepter les conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité malgré la présence de multiples erreurs dans l’analyse de la Commission. Elle a toutefois jugé que les conclusions de la SPR au titre du paragraphe 107(2) étaient déraisonnables. Plus précisément, la SPR n’a pas mentionné les courriels et a seulement mentionné au passage les affidavits des membres de la famille. La SPR a également tiré une conclusion générale selon laquelle aucun poids n’était accordé aux documents à l’appui des demandeurs en raison de ses préoccupations importantes au sujet de la crédibilité de ces derniers. La Cour fédérale a conclu que la Commission avait rejeté des documents sans les évaluer en raison de son analyse erronée de la crédibilité. La décision a donc été annulée.

Dans l’affaire OmarNote de bas de page 490, la Cour fédérale était d’accord avec la SPR que le demandeur d’asile n’était pas crédible, mais elle a renversé la conclusion d’absence de minimum de fondement. La SPR a accordé peu de poids aux lettres d’appui et aux déclarations du témoin chargé d’établir l’identité, mais elle n’a pas rejeté ces éléments de preuve en totalité. Selon la Cour, l’évaluation générale qu’a faite la SPR de la crédibilité de M. Omar a fortement influé sur l’analyse de la preuve. Toutefois, étant donné qu’il existait certains éléments de preuve susceptibles d’étayer une décision favorable, il était déraisonnable de conclure à l’absence d’un minimum de fondement.

3.8.2 Conclusions erronées en matière de crédibilité

La Cour fédérale est susceptible d’infirmer une décision d’absence de minimum de fondement si la SPR tire des conclusions défavorables erronées en matière de crédibilité, particulièrement en ce qui concerne la preuve cruciale produite par le demandeur d’asile. Lorsque les conclusions défavorables en matière de crédibilité sont raisonnables, la Cour est moins susceptible d’intervenir.

Par exemple, dans l’affaire AboubeckNote de bas de page 491, le juge LeBlanc a conclu que l’une des principales conclusions en matière de crédibilité avait été tirée par erreur. Par conséquent, la conclusion d’absence de minimum de fondement était déraisonnable.

Dans l’affaire TsikaradzeiNote de bas de page 492, la Cour fédérale a jugé que les conclusions de la SPR concernant la crédibilité du demandeur ne pouvaient être justifiées. La SPR ne croyait pas que le demandeur était membre d’une organisation politique et qu’il avait été agressé. Ces conclusions étaient déraisonnables compte tenu des rapports de police, des rapports médicaux et de la lettre du parti politique. Puisque la preuve contredisait ses conclusions, la SPR était tenue d’évaluer les documents présentés par le demandeur. Sa décision était « dépourvue de toute analyse de la raison pour laquelle ces documents n’étaient pas crédibles ». Par conséquent, la conclusion d’absence de minimum de fondement était déraisonnable.

Dans l’affaire A.B.Note de bas de page 493, le juge Pamel a examiné les conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité et il a conclu que bon nombre d’entre elles découlaient d’une mauvaise interprétation par la SPR d’éléments du témoignage de la demandeure. La SPR a confondu le critère permettant d’établir si la preuve est crédible et la conclusion d’absence de minimum de fondement et elle a omis d’examiner de façon appropriée la preuve documentaire avant de tirer une conclusion au titre du paragraphe 107(2) de la LIPR. Par conséquent, la conclusion d’absence de minimum de fondement a été renversée.

Les demandes d’asile qui manquent de crédibilité n’ont pas toutes une absence de minimum de fondement, mais, lorsque les conclusions défavorables en matière de crédibilité sont raisonnables, la conclusion d’absence de minimum de fondement est moins susceptible d’être renversée.

Dans l’affaire DrammehNote de bas de page 494, la Cour fédérale a confirmé les conclusions de la SPR au titre du paragraphe 107(2), car l’évaluation sous-jacente de la crédibilité était raisonnable. Dans cette affaire, le demandeur mineur a soutenu qu’il craignait d’être persécuté en raison du poste de niveau intermédiaire de son père à la National Intelligence Agency (NIA) sous l’ancien gouvernement de la Gambie. Toutefois, le seul élément de preuve pour étayer l’essence de la demande d’asile du demandeur était l’affidavit de son père, qui déclarait qu’il occupait le poste de chauffeur pour la NIA et qu’il avait été témoin d’atrocités commises par l’ancien régime. La SPR a tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité concernant l’affidavit, compte tenu de l’absence de preuve documentaire confirmant que le père avait bel et bien travaillé pour la NIA. La SPR a également tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité concernant l’allégation du demandeur selon laquelle des menaces directes avaient été proférées contre sa famille, car, dans son témoignage, le père n’avait pas fait allusion à de telles menaces. De plus, la SPR a remis en doute le fait que le père avait envoyé son fils au Canada pour le mettre à l’abri de tout préjudice, concluant que, si quelqu’un intéressait les autorités en Gambie, c’était le père du demandeur lui même. La preuve ne permettait pas de conclure que quiconque en Gambie démontrait un intérêt à l’égard du demandeur. La Cour fédérale a conclu que la SPR avait examiné les éléments de preuve du demandeur et avait raisonnablement établi qu’ils n’étaient pas crédibles ni dignes de foi.

De même, dans l’affaire FleuryNote de bas de page 495, la SPR a considéré que les contradictions et incohérences entre la preuve documentaire et le témoignage de la demandeure concernant la preuve rendaient son témoignage dénué de toute crédibilité. La Cour fédérale a confirmé les conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité et était d’accord que les contradictions dans la preuve documentaire avaient amené la SPR à conclure raisonnablement à l’absence de minimum de fondement. Elle a catégoriquement rejeté la suggestion selon laquelle la SPR aurait confondu sa conclusion concernant le manque de crédibilité de la demandeure avec sa conclusion sur l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile.

3.8.3 Lorsque le témoignage d’un demandeur d’asile est le seul élément de preuve

Dans les faits, le témoignage oral du demandeur d’asile est souvent le seul élément de preuve liant ce dernier à la persécution dont il soutient faire l’objet. Dans de tels cas, si le demandeur d’asile n’est pas jugé crédible, il n’y aura aucun élément de preuve crédible ou digne de foi pour étayer la demande d’asileNote de bas de page 496. En d’autres termes, lorsqu’il n’existe aucune autre preuve que le témoignage contesté du demandeur d’asile, une conclusion générale défavorable en matière de crédibilité peut entraîner automatiquement une conclusion d’absence de minimum de fondement.

Toutefois, s’il y a des erreurs dans l’évaluation du témoignage oral du demandeur d’asile, la Cour fédérale est susceptible de renverser la conclusion d’absence de minimum de fondement. C’est ce qui s’est produit dans l’affaire FranciscoNote de bas de page 497, où la Cour fédérale a annulé la décision de la SPR, qui comprenait sa conclusion d’absence de minimum de fondement au sens du paragraphe 107(2). Le témoignage oral du demandeur était le seul élément de preuve présenté à l’audience de la SPR, et celle ci a conclu, d’après ses conclusions défavorables cumulatives en matière de crédibilité, que le demandeur n’était pas crédible en général. De plus, elle a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve crédible ou digne de foi à l’appui de la demande d’asile du demandeur. Le juge Russell était d’accord avec le demandeur que certaines des conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité étaient déraisonnables. Comme ces conclusions faisaient partie des motifs sur lesquels s’appuyait la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’était, en général, pas crédible, la décision a été renvoyée.

3.9 Défaut d’établir l’identité et conclusion d’absence de minimum de fondement

Dans de nombreux cas, la Cour fédérale a jugé qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur d’asile n’avait pas établi son identité et de conclure également qu’il y avait absence de minimum de fondement.

Par exemple, dans l’affaire AhmedNote de bas de page 498, la SPR a conclu que la demandeure n’avait pas établi son identité et qu’il y avait absence de minimum de fondement. Elle a rejeté la preuve présentée par la demandeure et aussi le témoignage de deux personnes qui ont témoigné en son nom. La Cour fédérale a maintenu la décision sans examiner les conclusions relatives au paragraphe 107(2).

Dans l’affaire BeharyNote de bas de page 499, la SPR a conclu que le demandeur d’asile n’avait pas établi son identité. Elle a également conclu qu’il y avait absence de minimum de fondement en ce qui a trait à la demande d’asile. Après avoir entendu le témoignage du demandeur d’asile et examiné toute la preuve documentaire, la SPR a conclu qu’il n’y avait pas de preuve convaincante établissant la nationalité du demandeur d’asile. La Cour fédérale a confirmé que, le demandeur d’asile n’ayant pas établi qu’il était de nationalité iranienne, la preuve documentaire portant sur les personnes exposées à un risque en Iran n’avait aucun lien avec lui. La conclusion d’absence de minimum de fondement était donc raisonnable.

La Cour fédérale a également confirmé les conclusions de la SPR au sens du paragraphe 107(2) dans l’affaire Olaya YauceNote de bas de page 500. Le demandeur a soutenu que la SPR avait commis une erreur dans son évaluation du poids à accorder à la carte d'identité nationale, aux déclarations sous serment et aux documents corroborants qu'il avait présentés. Selon le demandeur, il y avait des éléments de preuve crédibles qui auraient été susceptibles de justifier que soit accueillie sa demande d'asile. La Cour a toutefois jugé que la SPR avait raisonnablement conclu que la personne sur la photo de la carte d'identité nationale n'était pas le demandeur. Bien que le demandeur ait omis de fournir une traduction anglaise du document d'identité nationale, contrevenant ainsi aux Règles de la Section de la protection des réfugiés (Règles de la SPR), il était évident d'après la décision que la SPR avait tenu compte de la carte parce qu'elle expliquait pourquoi le document n'était pas fiable. De plus, le demandeur n'avait pas produit le document d'identité original ni son passeport. Le demandeur avait produit une copie numérisée de son certificat de naissance après le début de l'audience, mais il n'avait pas présenté de document original ni de traduction anglaise comme l'exigent les Règles de la SPR; et il avait omis de fournir l'imprimé du courriel indiquant l'adresse de courriel et l'envoi auquel la copie avait été jointe. La SPR a refusé d'entendre un témoin, encore une fois en raison du défaut du demandeur de se conformer aux Règles de la SPR. Selon la Cour fédérale, la SPR a raisonnablement conclu qu'il n'existait aucun élément de preuve crédible et digne de foi sur lequel elle pouvait se fonder.

Dans l’affaire Obamoe,Note de bas de page 501 la SPR a jugé le demandeur non crédible et a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve crédible ou digne de foi attestant son identité et sa nationalité. La SPR a conclu que le demandeur avait sciemment fourni de faux renseignements sur tous les aspects de son voyage au Canada, ce qui a miné sa crédibilité générale. Il a été conclu que les documents d’identité qu’il a présentés, y compris une photocopie d’un certificat de naissance, ont été obtenus de manière frauduleuse ou de façon irrégulière, et aucun poids ne leur a été accordé. Le commissaire a expressément jugé qu’il n’y avait aucun élément de preuve crédible ou digne de foi prouvant que le demandeur était celui qu’il prétendait être. Le demandeur n’a contesté que la conclusion d’absence de minimum de fondement. Comme le commissaire a rejeté tous les éléments de preuve à sa disposition concernant l’identité et la nationalité, la Cour fédérale a confirmé la conclusion d’absence de minimum de fondement.

Dans d’autres cas, la Cour fédérale a jugé que la SPR avait raisonnablement conclu que l’identité du demandeur d’asile n’avait pas été établie, mais qu’elle avait commis une erreur en concluant à l’absence de minimum de fondement au motif qu’elle n’avait pas pris en considération ou qu’elle avait évalué de façon déraisonnable les éléments de preuve pouvant établir l’identité du demandeur d’asile.

Dans l’affaire MohamedNote de bas de page 502, même si la Cour fédérale a jugé que la conclusion de la SPR quant à l’identité était raisonnable, elle ne permettait pas pour autant que soit confirmée la conclusion d’absence de minimum de fondement, car la SPR avait commis une erreur susceptible de révision, décrite ainsi par la Cour au paragraphe 34 :

[…] la SPR n’a accordé en l’espèce aucun poids aux lettres et aux déclarations des organisations somaliennes et elle ne les a pas non plus écartées mais, compte tenu de leur absence de valeur probante, elle leur a accordé peu de poids, concluant qu’elles n’étaient pas suffisantes pour établir l’identité du demandeur. De la même façon, la SPR n’a pas conclu que la mère ou la cousine du demandeur n’étaient pas crédibles, mais a accordé peu de poids à leurs témoignages en raison de ses réserves quant à la crédibilité du propre témoignage du demandeur. Tous ces éléments de preuve appuyaient le récit du demandeur . [soulignement ajouté]

Dans l’affaire HadiNote de bas de page 503, la Cour fédérale a convenu que la demandeure n’avait pas établi son identité. Toutefois, la Cour a tenu compte du fait que la SPR disposait de certains éléments de preuve susceptibles d’établir le bien-fondé de la demande d’asile de la demandeure. Pour cette raison, la conclusion de la SPR selon laquelle il y avait absence de minimum de fondement était déraisonnable. Plus précisément, la demandeure avait présenté une lettre d’une organisation sans but lucratif qui aidait les personnes originaires d’Afrique à établir leur citoyenneté. Deux versions de la lettre avaient été fournies, mais, dans les deux, il était conclu que la demandeure était née à Afgoye, en Somalie. La première version indiquait que la demandeure avait rempli une demande et avait répondu à un questionnaire. Toutefois, la demandeure était analphabète. La deuxième version indiquait que la demandeure avait participé à une entrevue orale au cours de laquelle elle avait été interrogée dans la langue somalienne sur l’histoire, le patrimoine, la géographie, la lignée des clans et la culture de la Somalie. La divergence est survenue parce qu’un paragraphe standard n’avait pas été supprimé de la première lettre. Cette erreur a été corrigée avant l’audience, et la conclusion concernant la nationalité de la demandeure dans la première lettre est demeurée inchangée dans la deuxième version. La SPR a déclaré qu’elle comprenait l’explication. De plus, elle n’a soulevé aucune préoccupation concernant l’expertise de l’organisation ou le contenu de la lettre. Néanmoins, compte tenu de l’existence des deux versions de la lettre, la SPR ne lui a accordé aucun poids. La Cour a conclu que la Commission avait commis une erreur dans son examen de la lettre, ce qui a influé sur son évaluation de la nationalité de la demandeure et de son appartenance à un clan. Par conséquent, la conclusion d’absence de minimum de fondement était déraisonnable.

Dans l’affaire KebedomNote de bas de page 504, la décision de la SPR a été infirmée parce que son évaluation du certificat de naissance du demandeur était déraisonnable. Le demandeur a affirmé qu’il craignait d’être persécuté en raison de la conscription obligatoire en Érythrée. La SPR n’a toutefois accordé aucun poids aux documents du demandeur, notamment au certificat de naissance de l’Érythrée, bien qu’elle ait conclu qu’il ne semblait contenir aucune lacune à première vue. La SPR a conclu que le certificat de naissance n’était pas crédible ni digne de foi en raison de la possibilité d’obtenir facilement de faux documents et du fait qu’elle avait conclu que le demandeur n’était pas crédible. La Cour fédérale a toutefois déclaré que l’accès à de faux documents d’identité en Érythrée et dans la communauté expatriée d’Érythrée au Canada ne constituait pas un motif suffisant pour rejeter le certificat de naissance du demandeur.

Dans l’affaire LiuNote de bas de page 505, la SPR n’a trouvé aucune preuve crédible permettant d’établir l’identité du demandeur. Puisque l’identité du demandeur était essentielle pour établir les autres éléments de sa demande d’asile, la SPR a conclu qu’aucune preuve n’était susceptible de justifier une conclusion favorable. Plus précisément, la SPR a conclu que le témoignage du demandeur au sujet de sa carte d’identité de résident, que la SPR considérait comme le document le plus important pour prouver l’identité des ressortissants chinois, manquait de crédibilité. En ce qui concerne les autres documents qui auraient pu prouver l’identité du demandeur, la SPR n’a tiré aucune conclusion défavorable quant à leur crédibilité. Elle a plutôt établi que, compte tenu du peu de poids pouvant être accordé à des documents non sécurisés pour confirmer l’identité, ils n’étaient pas suffisants pour répondre à la norme de preuve requise afin de prouver l’identité du demandeur selon la prépondérance des probabilités. Au paragraphe 32, la Cour a souligné qu’il s’agissait de la mauvaise approche pour conclure à l’absence d’un minimum de fondement :

Cette approche est acceptable pour tirer une conclusion quant à la question de savoir si un demandeur n’a pas réussi à établir son identité. Cependant, cela ne vient pas nécessairement étayer la conclusion selon laquelle il y avait absence minimum de fondement pour la revendication de ce demandeur. Une conclusion d’absence minimum de fondement exige que la Section de la protection des réfugiés analyse si, dans l’hypothèse où les autres documents d’identité auraient été crédibles, le poids attribué à ces documents aurait pu établir l’identité du demandeur : Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [citation omise]. En ne procédant pas à cette analyse, la conclusion d’absence minimum de fondement de la Section de la protection des réfugiés est déraisonnable

3.10 Obligation d’évaluer tous les éléments de preuve pertinents

Étant donné que le seuil pour conclure à l’absence d’un minimum de fondement est élevé, la Commission doit « examiner tous les éléments de preuve qui lui sont présentés et conclure à l’absence de minimum de fondement seulement s’il n’y a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateurNote de bas de page 506 ». [soulignement ajouté] Dans l’affaire Mohamed, la Cour a confirmé qu’« [a]vant d’arriver à une conclusion d’absence de minimum de fondement, la SPR doit examiner s’il existe quelque élément que ce soit de preuve crédible ou digne de foi susceptible d’étayer les allégations du demandeurNote de bas de page 507 ». [soulignement ajouté]

Dans l’affaire WuNote de bas de page 508, la Cour fédérale a renversé la conclusion d’absence de minimum de fondement parce qu’un élément important de la preuve, soit une lettre de congédiement de l’employeur, n’a pas été pris en considération ni rejeté. La lettre établissait que la demandeure était une adepte du Falun Gong et qu’elle avait été licenciée pour cette raison. Selon la Cour, la lettre pouvait fournir des éléments de preuve crédibles susceptibles de justifier une décision favorable, surtout à la lumière de la preuve documentaire laissant entendre que l’État poursuit et surveille les adeptes du Falun Gong.

Dans l’affaire Pournaminivas, la Cour fédérale a jugé que, en ne prenant pas en considération les déclarations de deux témoins, la SPR n’avait pas évalué de façon appropriée s’il existait un élément de preuve crédible quelconque qui étayait la demande d’asileNote de bas de page 509.

Dans une affaire récenteNote de bas de page 510, le juge LeBlanc a fait remarquer qu’il aurait été préférable, sinon souhaitable, que la SPR traite de chaque élément de la preuve soumise par le demandeur pour établir si la demande avait un minimum de fondement, mais que la SPR n’est pas tenue de le faire, à moins que l’élément de preuve soit susceptible d’étayer la demande d’asile du demandeur. La SPR a toutefois l’obligation de mentionner les éléments de preuve qui, à première vue, contredisent ses conclusions et d’expliquer en quoi ces éléments de preuve n’ont pas eu pour effet de modifier lesdites conclusions. En d’autres termes, la conclusion d’absence de minimum de fondement peut être confirmée même si la SPR n’a pas explicitement fait référence à l’élément de preuve présenté, dans la mesure où ce dernier n’était pas susceptible d’étayer la demande d’asile. Selon le juge LeBlanc, dans l’affaire Wu, supra, l’obligation d’examiner l’élément de preuve découlait précisément du fait qu’il existait des éléments de preuve susceptibles de contredire les conclusions que la SPR avait tirées au titre du paragraphe 107(2).

Une approche semblable a été adoptée dans l’affaire PaniaguaNote de bas de page 511. La demandeure a soutenu que la SPR n’avait pas adéquatement évalué un rapport médical et trois autres documents. La Cour fédérale a jugé que la SPR n’a pas eu l’intention de faire référence aux quatre documents. Bien que la SPR n’ait pas expressément évalué les documents, elle n’a pas commis d’erreur parce que les documents étaient insuffisants pour justifier une décision favorable concernant la demande d’asile.

Dans l’affaire DjamaNote de bas de page 512, la demandeure d’asile a fait remarquer que la SPR n’avait pas expressément examiné une lettre écrite par son amie. La Cour fédérale a jugé que la lettre visait à confirmer l’existence d’au moins un fait que la SPR avait explicitement rejeté pendant l’audience. La crédibilité générale de la lettre a donc été sérieusement minée. En outre, la Cour a fait une distinction entre les affaires Djama et Wu, supra, parce que la lettre dans l’affaire Wu était plus objective et son but n’était pas de confirmer un ou plusieurs des faits ayant été jugés faux par le tribunal. Il convient de préciser que la Cour fédérale a déclaré que la SPR n’était pas tenue d’examiner la lettre, même si celle-ci aurait pu confirmer d’autres faits qui n’ont pas été jugés faux. Selon le juge Crampton, lorsqu’il a été conclu qu’une personne n’est pas digne de foi, la crédibilité des autres propos de cette personne est sérieusement compromise, de sorte que la SPR n’était pas tenue de le mentionner explicitement dans sa décision. Par conséquent, il était raisonnablement loisible à la SPR de conclure, implicitement, que la lettre ne fournissait pas un fondement crédible à la demande d’asile de la demandeure.

En résumé, dans les situations où la preuve du demandeur d’asile n’a pas été expressément évaluée par la SPR au regard du paragraphe 107(2), la Cour fédérale s’est penchée sur la question de savoir si la preuve aurait pu étayer une décision favorable en ce qui a trait à la demande d’asile. Dans les cas où la preuve aurait raisonnablement pu étayer une décision favorable, les conclusions tirées au titre du paragraphe 107(2) ont été annulées par la Cour fédérale.

3.11 Obligation de fournir des motifs suffisants

Dans plusieurs décisions, la Cour fédérale a reproché à la SPR de ne pas avoir bien détaillé l’analyse qui a mené à ses conclusions au titre du paragraphe 107(2).

Par exemple, dans l’affaire BoztasNote de bas de page 513, la SPR a admis que le demandeur était un Kurde de confession alévie. Elle a également admis que les Kurdes et les adeptes de la religion alévie sont victimes de discrimination, de harcèlement et, dans certains cas, de persécution. Elle a reconnu qu’un certain nombre de documents déposés en preuve décrivaient les difficultés auxquelles sont exposés les Kurdes. Toutefois, selon le tribunal, les Kurdes n’étaient pas tous persécutés en raison de leur origine ethnique. Sans autre examen de la question, la SPR a conclu à l’absence d’un minimum de fondement. Le juge Brown a conclu que la SPR avait agi de façon déraisonnable et erronée étant donné qu’il y avait effectivement des éléments de preuve crédibles ou dignes de foi susceptibles d’étayer une décision favorable et que la SPR avait accepté ces éléments et leur avait accordé un certain poids. Il a infirmé la décision en soulignant que l’intégralité de la conclusion de la SPR se trouvait dans un seul et même paragraphe : « Le tribunal établit, en vertu du paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qu’il n’y avait aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu se fonder pour rendre une décision favorable. »

Dans l’affaire HadiNote de bas de page 514, la Cour fédérale a déclaré que « […] la SPR n’a présenté ni argumentation ni analyse de sa conclusion selon laquelle il n’y avait pas de fondement crédible à la revendication de la demandeure. Afin de tirer une conclusion appropriée qui limitait les droits procéduraux subséquents de la demandeure, la SPR, par souci d’équité, était tenue de le faire. »

3.12 Mesures de réparation ordonnées par la Cour

Une incertitude subsiste quant aux réparations appropriées dans les cas où la Cour fédérale renverse une conclusion d’absence de minimum de fondement. L’examen de la jurisprudence montre un certain nombre d'approches différentes :

  • La Cour fédérale a annulé la conclusion d’absence de minimum de fondement tout en confirmant la décision de la SPR, qui était fondée sur des conclusions défavorables raisonnables en matière de crédibilitéNote de bas de page 515.
  • La Cour fédérale a renvoyé uniquement la question de l’absence de minimum de fondement à un tribunal différemment constitué de la SPRNote de bas de page 516.
  • Dans l’affaire MahdiNote de bas de page 517, la Cour fédérale a ordonné la suspension de l’exécution de la décision de la SPR afin de permettre au demandeur d’interjeter appel à la SAR.
  • La Cour fédérale a également renvoyé l’affaire à la SPR en lui ordonnant de retirer la partie de la décision portant sur la conclusion d’absence de minimum de fondement et de modifier la décision en ce sens, en date où la décision est rendueNote de bas de page 518.
  • Dans la plupart des cas, la Cour fédérale a choisi de renvoyer l’intégralité de la décision à un tribunal différemment constitué de la SPRNote de bas de page 519.

4. Demandes d’asile manifestement infondées

4.1 Disposition législative

Selon l’article 107.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiésNote de bas de page 520 (LIPR), une demande d’asile est considérée comme étant manifestement infondée dans certaines circonstances.

107.1 La Section de la protection des réfugiés fait état dans sa décision du fait que la demande est manifestement infondée si elle estime que celle ci est clairement frauduleuse.

L’application de l’article 107.1 est limité aux cas où la demande d’asile est « clairement frauduleuse ». Il ne faut pas confondre une décision selon laquelle une demande d’asile est manifestement infondée et une conclusion au titre du paragraphe 107(2) concernant l’absence de minimum de fondement.

4.2 L’analyse au titre de l’article 107.1 est obligatoire

L’article 107.1 ne confère pas de pouvoir discrétionnaire à la Section de la protection des réfugiés (SPR). Si un tribunal rejette une demande d’asile et conclut qu’elle est clairement frauduleuse, il « fait état » dans sa décision du fait que la demande d’asile est manifestement infondée.

Il peut y avoir des situations où le commissaire arrive à la conclusion qu’une demande d’asile est à la fois manifestement infondée et dépourvue de minimum de fondement. Le libellé du paragraphe 107(2) a également force obligatoire, et rien ne porte à croire qu’un commissaire peut choisir une disposition plutôt que l’autre lorsque les conditions énoncées dans les deux dispositions sont réunies.

Dans la décision Yared Belay, la SPR avait rejeté la demande d’asile et avait conclu qu’elle était manifestement infondée et dépourvue de minimum de fondement. La juge Elliott a clairement abordé cette question dans ses motifs :

[L]e libellé du paragraphe 107(2) et de l’article 107.1 de la LIPR a force obligatoire : si la Section de la protection des réfugiés estime qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable, elle doit faire état de l’absence de minimum de fondement de la demande. En outre, si la Section de la protection des réfugiés est d’avis qu’une demande est clairement frauduleuse, elle doit indiquer que la demande est manifestement infondée. Par conséquent, il va de soi que, si la Section de la protection des réfugiés est d’avis qu’on ne lui a présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une opinion favorable et que la demande est clairement frauduleuse, elle doit indiquer que la demande est dépourvue d’un minimum de fondement et qu’elle est manifestement infondéeNote de bas de page 521.

4.3 Exclusion d’un demandeur d’asile

Dans l’affaire Singh, la Cour d’appel fédérale a déclaré que la SPR ne peut conclure qu’une demande d’asile est manifestement infondée si elle a établi que le demandeur d’asile est visé par la disposition d’exclusion énoncée à la section F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés. Le juge Stratas a reformulé la question certifiée comme suit et y a répondu par l’affirmative :

Compte tenu du pouvoir conféré à la Section de la protection des réfugiés aux termes du paragraphe 107(2) et de l’article 107.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de déterminer qu’une demande d’asile n’a pas de fondement crédible ou qu’elle est manifestement infondée, est-il interdit à la Section de la protection des réfugiés de rendre une telle décision après avoir conclu que le demandeur d’asile est exclu en vertu de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiésNote de bas de page 522?

4.4 Exigences en matière d’avis

La SPR n’est pas tenue d’aviser un demandeur d’asile qu’elle envisage de rendre une décision selon laquelle sa demande d’asile est manifestement infondée. Toutefois, l’équité procédurale exige souvent que le demandeur d’asile ait la possibilité de répondre aux préoccupations quant à la crédibilité qui servent de fondement à une telle décision, tout comme elle l’exige quand il existe des préoccupations quant à la crédibilité de manière générale.

4.5 Conséquences graves pour le demandeur d’asile

Deux conséquences juridiques sérieuses découlent de la conclusion selon laquelle une demande d’asile est manifestement infondée.

Premièrement, le demandeur d’asile n’a pas le droit d’interjeter appel à la Section d’appel des réfugiés (SAR), en application de l’alinéa 110(2)c) de la LIPR. Par conséquent, un demandeur d’asile qui conteste la décision selon laquelle sa demande d’asile est manifestement infondée doit présenter à la Cour fédérale une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision de la SPR.

Deuxièmement, le demandeur d’asile n’a pas droit à un sursis automatique de la mesure de renvoi lorsqu’il présente une demande d’autorisation et de contrôle judiciaireNote de bas de page 523. Par conséquent, le demandeur d’asile doit aussi présenter à la Cour fédérale une demande de sursis de la mesure de renvoi, qui est une mesure de redressement discrétionnaireNote de bas de page 524.

4.6 Application de l’article 107.1 par la section d’appel des réfugiés

À plusieurs occasions, la SAR a fait observer que la SPR aurait pu ou aurait dû conclure que les demandes d’asile étaient manifestement infondéesNote de bas de page 525. Dans certaines décisions moins récentes, la SAR a substitué à la décision attaquée sa propre décision selon laquelle la demande d’asile était manifestement infondéeNote de bas de page 526. Toutefois, plus récemment, la SAR a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour agir ainsi, car l’article 107.1 confère seulement à la SPR le pouvoir de conclure qu’une demande d’asile est manifestement infondéeNote de bas de page 527

4.7 Le mot « clairement » n’impose pas une norme de preuve plus élevée

La Cour fédérale a déclaré à de multiples occasions que le seuil requis pour conclure qu’une demande d’asile est manifestement infondée est élevéNote de bas de page 528 et qu’une telle décision doit être fondée sur la preuveNote de bas de page 529.

Dans la décision Warsame, la Cour fédérale a expliqué que l’expression « clairement frauduleuse » renvoie à la fermeté de la conclusion, ce qui veut dire que le décideur a la « ferme conviction que l’intéressé cherche à obtenir l’asile par des moyens frauduleuxNote de bas de page 530 ».

La norme de la prépondérance des probabilités s’applique à l’article 107.1 de la LIPR, et il ne faut pas interpréter le mot « clairement » comme exigeant une norme de preuve plus élevéeNote de bas de page 531.

Dans la décision WarsameNote de bas de page 532, la Cour a rejeté l’argument selon lequel une demande d’asile ne peut être jugée clairement frauduleuse que dans « les cas les plus évidents ». De même, dans la décision BalyokwabweNote de bas de page 533, la Cour fédérale a rejeté l’argument selon lequel l’article 107.1 devrait être réservé aux « cas les plus flagrants ».

4.8 Sens du mot « frauduleux »

4.8.1 Interprétation large

La Cour fédérale a donné une interprétation large du terme « fraude » pour l’application de l’article 107.1. Dans la décision Warsame,Note de bas de page 534 la Cour a affirmé que la supercherie n’est pas un élément essentiel de la fraude. L’élément essentiel de la fraude est plutôt la malhonnêteté, qui peut se manifester par la supercherie ou le mensonge. La SPR doit établir si le demandeur d’asile a effectivement déclaré qu’une situation était d’une certaine nature, alors qu’en réalité elle ne l’était pas. Autrement dit, le commissaire doit décider si le demandeur d’asile a été malhonnête.

Dans la décision He, la Cour fédérale a déclaré que la fraude visée à l’article 107.1 doit être délibérée. Le juge Norris a écrit que, pour que l’article 107.1 puisse s’appliquer, « [l]e décideur doit conclure que le demandeur a délibérément décrit de manière fausse des questions qui se situent au cœur de sa demande d’asileNote de bas de page 535. » [soulignement ajouté]

4.8.2   Le terme « frauduleux » s’applique à la demande d’asile

Dans la décision WarsameNote de bas de page 536, la Cour a souligné que le terme « frauduleux » s’applique à la demande d’asile et non, par exemple, au fait que le demandeur d’asile aurait utilisé de faux documents pour sortir du pays d’origine ou entrer au Canada. Cependant, une fois qu’un demandeur d’asile présente une demande d’asile, on s’attend à ce qu’il se conduise de manière irréprochable. Sinon, les mensonges par lesquels il essaierait d’obtenir l’asile pourraient rendre sa demande d’asile frauduleuse.

4.8.3   La malhonnêteté doit avoir un effet substantiel

La Cour fédérale a écrit dans la décision Warsame :

Mais ce n’est pas n’importe quel mensonge ou rapport inexact qui revêt la demande d’asile d’un caractère frauduleux. Il faut pour cela que les déclarations malhonnêtes, les supercheries, les mensonges touchent à un aspect important de cette demande, de sorte à influer substantiellement sur la décision dont elle fera l’objet. À mon sens, une demande d’asile ne peut être dite frauduleuse si la malhonnêteté n’a pas d’effet substantiel sur la décision à laquelle elle donne lieuNote de bas de page 537.

Autrement dit, les mensonges d’importance secondaire ou antérieurs à la demande d’asile ne semblent pas remplir cette condition. De même, une demande d’asile ne serait pas raisonnablement qualifiée de clairement frauduleuse du simple fait que le récit n’est pas jugé crédibleNote de bas de page 538.

Les affaires présentées ci-après contiennent des exemples de graves actes de malhonnêteté qui ont amené les commissaires à conclure que la demande d’asile était clairement frauduleuse. Les commissaires ont souvent déterminé que ces comportements malhonnêtes touchaient au « cœur de la demande d’asile ».

Dans la décision Wang,Note de bas de page 539, un citoyen de la Chine avait affirmé qu’il s’était joint à l’église clandestine Eastern Lightening parce que les traitements conventionnels n’avaient pas amélioré ses problèmes de santé. Au nombre des documents que l’Agence des services frontaliers du Canada avait saisis se trouvait un dossier médical vierge qui avait été envoyé à l’adresse du demandeur d’asile. La SPR a conclu que la demande d’asile était manifestement infondée. En confirmant la décision de la SPR, la Cour fédérale était d’accord que le dossier médical vierge était lié au pilier central de la demande d’asile et que le demandeur d’asile ne pouvait pas échapper à « la conclusion évidente qu’on lui avait envoyé un formulaire vierge pour qu’il puisse le remplir lui-même d’une manière qui confirmerait les problèmes médicaux qui ont constitué la base de son adhésion à l’Église ».

In Balyokwabwe,Note de bas de page 540, la Cour fédérale a rejeté l’argument selon lequel la SPR avait confondu un manque de crédibilité avec une demande clairement frauduleuse. Selon la Cour, la SPR a fondé ses conclusions sur des tromperies et des mensonges qui étaient au cœur même de la demande d’asile, y compris l’affirmation selon laquelle le demandeur d’asile était clinicien et soignait des personnes de la communauté lesbienne, gaie, bisexuelle, transgenre et queer (LGBTQ).

Dans la décision AhmadNote de bas de page 541, le demandeur avait prétendu qu’il était chef de la direction d’une entreprise qui travaillait avec l’armée américaine en Afghanistan. La SPR n’a pas pu vérifier son identité, et ses documents d’emploi se sont révélés frauduleux. La Cour fédérale a confirmé la décision de la SPR selon laquelle la demande d’asile était manifestement infondée. Selon le juge Gleeson, les éléments de preuve relatifs à l’entreprise, en particulier le certificat d’enregistrement d’entreprise, touchaient au cœur de la demande d’asile, et les conclusions défavorables quant à la crédibilité sur ces points permettaient à la SPR d’aboutir raisonnablement à sa décision.

Dans la décision OmoijiadeNote de bas de page 542, le demandeur avait déposé en preuve un article de presse pour démontrer qu’il figurait sur une liste de personnes hautement recherchées par la police au Nigéria en raison de son orientation sexuelle, ce qui l’avait amené à fuir le pays. La SPR a conclu que l’article était frauduleux et que le demandeur l’avait présenté dans le but d’induire la SPR en erreur pour obtenir l’asile. La Cour fédérale a confirmé la décision de la SPR selon laquelle la demande d’asile était manifestement infondée.

Dans l’affaire VarbanovaNote de bas de page 543, un des aspects centraux de la demande d’asile était que la demandeure affirmait avoir été illégalement détenue et agressée par des policiers bulgares, qui voulaient la forcer à se prostituer. La SPR a conclu que les rapports médicaux et les sommations de la police présentés par la demandeure étaient des faux. La Cour fédérale a conclu que la SPR « avait des motifs raisonnables de rejeter la preuve de Mme Varbanova et de conclure que la demande était manifestement infondée en raison de sa malhonnêteté », soulignant que les documents étaient importants dans l’histoire de Mme Varbanova concernant son agression par des policiers.

Dans la décision FatoyeNote de bas de page 544, la demandeure prétendait avoir été persécutée en raison de son travail d’avocate spécialisée en droits de la personne au Nigéria. La SPR a conclu que la demande d’asile était manifestement infondée parce que les documents centraux étaient frauduleux, à savoir les lettres de menaces et le rapport de police. La Cour fédérale a confirmé la décision parce que les conclusions défavorables quant à la crédibilité ne découlaient pas d’incohérences mineures qui étaient secondaires dans la demande d’asile, mais plutôt de problèmes qui touchaient au cœur du récit.

Dans certains cas, la Cour fédérale n’a pas souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle la conduite malhonnête touchait à un élément central de la demande d’asile et a annulé les conclusions de la SPR se rapportant à l’article 107.1. Dans l’affaire HoholNote de bas de page 545, la SPR avait conclu que la demande d’asile était manifestement infondée parce que le demandeur avait présenté des documents frauduleux, notamment un rapport de police lié à des agressions qu’il aurait subies et une lettre de sa grand-mère affirmant que les agresseurs étaient revenus chez lui à sa recherche. En concluant que ces deux documents sont frauduleux, la SPR n’a accordé aucun poids aux autres documents présentés par le demandeur. La Cour a annulé la décision, car elle a conclu que les documents n’avaient rien à voir avec une malhonnêteté qui a un effet substantiel sur la décision qui reposait sur l’orientation sexuelle du demandeur.

4.9 Défaut d’établir l’identité

La décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire NtsongoNote de bas de page 546 met en évidence la façon dont la conduite malhonnête liée à l’identité d’un demandeur d’asile peut amener la SPR à conclure raisonnablement que la demande d’asile est manifestement infondée. Dans cette affaire, la SPR avait formulé de nombreuses préoccupations quant à la crédibilité, notamment en ce qui concerne les passeports du demandeur, le nombre d’enfants qu’il avait, son état matrimonial, sa religion et ses antécédents professionnels, et le fait qu’il possédait des pièces d’identité délivrées sous deux identités différentes. La Cour fédérale a confirmé que la SPR avait eu raison de conclure que la demande d’asile était manifestement infondée. Selon la Cour, un demandeur d’asile a l’obligation fondamentale d’établir son identité et, selon la preuve présentée dans cette affaire, il était impossible d’établir l’identité du demandeur.

De même, dans l’affaire DialloNote de bas de page 547, la SPR avait conclu que le demandeur n’avait pas établi son identité et que la demande d’asile était manifestement infondée. La SPR avait relevé des anomalies dans les pièces d’identité du demandeur et avait mis en doute la façon dont il les avait prétendument obtenues. La Cour fédérale a confirmé la décision sans commenter la conclusion tirée par la SPR au titre de l’article 107.1.

4.10 Conclusions déraisonnables quant à la crédibilité

La Cour fédérale peut infirmer la décision de la SPR selon laquelle une demande d’asile est manifestement infondée si les conclusions défavorables quant à la crédibilité sur lesquelles le tribunal s’est fondé pour son analyse relative à l’article 107.1 sont déraisonnables. Dans la décision Ali, le demandeur prétendait que son fils avait été enlevé et assassiné par un groupe criminel. La SPR n’a pas cru le récit du demandeur au sujet de la mort de son fils et elle a conclu que la plupart des documents déposés en preuve étaient frauduleux, y compris le certificat de décès et le rapport de police. Par conséquent, la SPR a conclu que la demande d’asile était manifestement infondée. La Cour fédérale a infirmé la décision, car elle a conclu que le tribunal avait disséqué la preuve à la loupe en présumant qu’elle était frauduleuse. Plus précisément, le tribunal avait tiré plusieurs conclusions d’invraisemblance déraisonnables et il s’était attardé à des erreurs grammaticales insignifiantes relevées dans les documents sans tenir compte des documents objectifs sur les conditions au Pakistan.Note de bas de page 548.

Dans l’affaire RahiRahiNote de bas de page 549, le demandeur s’était désisté d’une demande d’asile aux États Unis. La SPR avait conclu que la demande d’asile était manifestement infondée en s’appuyant en partie sur une note écrite par son ancien conseil dans des observations présentées avec la demande d’asile aux États-Unis. Ni l’un ni l’autre des conseils des parties au contrôle judiciaire devant la Cour fédérale n’était au courant de cette note. La Cour a conclu que la décision de la SPR était déraisonnable en raison des « erreurs commises dans l’appréciation des faits ».

Dans la décision ZhouNote de bas de page 550, la SPR était préoccupée par le fait que l’encre des cachets des documents du demandeur était humide, avait bavé sur les pages et s’était transférée sur les documents voisins. Le tribunal a conclu que les documents étaient frauduleux et que la demande d’asile était manifestement infondée. La Cour fédérale a conclu que la décision de la SPR exagérait considérablement le problème de l’encre et l’a annulée.

Dans l’affaire YeganehNote de bas de page 551, la demandeure était une sage-femme iranienne qui affirmait avoir été persécutée parce qu’elle avait procédé à une hyménoplastie et s’était convertie au christianisme. La SPR ne croyait pas que la demandeure avait procédé à l’intervention parce qu’elle était incapable de nommer l’organe ou le tissu corporel qu’elle affirmait avoir cousu (c’est-à-dire l’hymen), en dépit du fait que l’interprète a laissé entendre que le mot « hymen » n’existe pas en persan, et malgré la description de l’intervention faite par la demandeure, et l’absence de contradictions dans le témoignage. La SPR a rejeté la demande d’asile et elle a conclu qu’elle était manifestement infondée. Au contrôle judiciaire, la Cour fédérale a infirmé la décision de la SPR.

Dans la décision HeNote de bas de page 552, la SPR a conclu que l’avis de recherche et les certificats de mise en liberté déposés en preuve par le demandeur étaient frauduleux. Le tribunal a écrit « qu’en Chine le droit de la procédure pénale ne prévoit pas expressément l’utilisation de ce genre de documents », et il a conclu que la demande d’asile était manifestement infondée. Toutefois, rien dans le droit pénal chinois n’interdit l’utilisation de ce genre de documents dans la situation du demandeur. Vu l’importance fondamentale des éléments de preuve contestés pour la demande d’asile du demandeur, la Cour fédérale a conclu que la décision était déraisonnable.

Dans la décision BalyokwabweNote de bas de page 553, la Cour fédérale a conclu que la SPR avait étendu de façon déraisonnable ses conclusions défavorables quant à la crédibilité à d’autres témoignages et documents qui n’étaient pas autrement contestés, et qu’elle n’avait pas examiné de manière indépendante d’autres éléments de preuve pertinents. Par conséquent, les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité, même cumulativement, ne justifiaient pas raisonnablement sa décision selon laquelle la demande d’asile du demandeur était clairement frauduleuse.

4.11 Conclusions générales et cumulatives quant à la crédibilité

La Cour fédérale a confirmé des décisions sur le caractère manifestement infondé d’une demande d’asile qui reposaient sur l’effet cumulatif de multiples conclusions défavorables quant à la crédibilité ou sur des conclusions de manque général de crédibilité des demandeurs d’asile.

Dans la décision WarsameNote de bas de page 554, la SPR a conclu que le demandeur n’était pas un témoin digne de foi en raison d’un certain nombre de problèmes de crédibilité relevés dans son exposé circonstancié. De plus, la SPR a conclu que le demandeur avait produit de faux certificats de mariage et de naissance et qu’il n’avait pas établi son identité. Le tribunal a conclu que la demande d’asile était manifestement infondée, et la Cour fédérale a confirmé la décision.

Dans la décision MbuyambaNote de bas de page 556, le juge Pentney a cité la décision Warsame et il a souligné qu’il est possible de juger une demande d’asile manifestement infondée en s’appuyant sur un seul élément frauduleux ou par cumul. De même, dans la décision YuanNote de bas de page 556, la juge Strickland a écrit que la décision Warsame pourrait être interprétée comme laissant entendre que la SPR peut fonder sa conclusion selon laquelle la demande d’asile était manifestement infondée sur le cumul de ses conclusions quant à la crédibilité.

Dans l’affaire MoriomNote de bas de page 557, la demandeure a considérablement miné sa crédibilité et ses allégations en faisant délibérément de fausses déclarations à propos de son nom, de sa date de naissance et de son passeport, et en omettant de fournir des éléments de preuve sur ses séjours au Royaume-Uni. La SPR a insisté sur l’intention frauduleuse de la demandeure et sur la « nature importante » de ses fausses déclarations. Après avoir conclu que la demandeure d’asile manquait généralement de crédibilité et que le dossier ne comportait pas de preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable, la SPR a rejeté la demande d’asile au motif qu’elle était manifestement infondée. Au contrôle judiciaire, la Cour fédérale a confirmé la décision de la SPR.

Dans l’affaire BushatiNote de bas de page 558, la SPR a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles de manière générale, qu’ils s’étaient appuyés sur des documents frauduleux et qu’ils n’avaient pas présenté d’éléments de preuve indépendants et crédibles étayant une conclusion favorable quant à la crédibilité. La SPR a conclu que la demande d’asile était manifestement infondée. En confirmant la décision, la Cour fédérale a écrit que les « éléments de preuve des demandeurs abondent d’incohérences, de divergences et d’omissions ». La Cour a conclu que la SPR avait eu raison de conclure que le certificat de vendetta du demandeur était frauduleux, entre autres conclusions raisonnables qui minaient les demandes d’asile.

Dans la décision NanyongoNote de bas de page 559, la demandeure a affirmé avoir été arrêtée deux fois en raison de ses opinions politiques avant de fuir au Canada. La SPR a conclu que divers documents présentés par la demandeure étaient frauduleux, dont l’engagement de la caution, les ordonnances de mise en liberté, les mandats d’arrestation et un rapport médical. La décision était inusitée parce que l’analyse de la SPR au titre de l’article 107.1 comportait par erreur un paragraphe non pertinent qui semblait avoir été copié d’une décision qui n’avait pas de lien avec cette affaire. La Cour fédérale a reproché à la SPR cette erreur commise par inadvertance, mais elle a confirmé que la conclusion selon laquelle la demande d’asile était manifestement infondée était raisonnable en raison de la multitude de conclusions défavorables quant à la crédibilité qui étayaient la décision.

4.12 Caractère suffisant des motifs

L’obligation générale qu’a la SPR de justifier ses conclusions en exposant des motifs suffisants s’applique à la conclusion selon laquelle une demande d’asile est manifestement infondée. Comme il a été expliqué précédemment, ce ne sont pas toutes les déclarations malhonnêtes qui amènent à conclure que la demande d’asile est clairement frauduleuse, et la SPR doit donc expliquer pourquoi les problèmes de crédibilité font en sorte que la demande d’asile est clairement frauduleuse.

Dans la décision Yuan, la SPR n’a pas exposé de motifs suffisants pour justifier sa conclusion selon laquelle la demande d’asile était manifestement infondée, ce qui a entraîné l’annulation de la décision au contrôle judiciaire. Dans ses motifs, la juge Strickland a écrit ceci :

En l’espèce, les motifs de la SPR n’ont consacré qu’une seule phrase à sa conclusion selon laquelle la demande était manifestement infondée […] je ne suis pas convaincue que cela démontrait que la SPR a fait la distinction entre une demande clairement frauduleuse et une demande qui est fondée sur des conclusions défavorables quant à la crédibilité, ou encore qu’elle a adéquatement expliqué le fondement de cette conclusion. En conséquence, la conclusion de la SPR n’est pas justifiée, transparente et intelligible, et ne respecte pas la norme de raisonnabilité […]Note de bas de page 560.

Dans la décision LiuNote de bas de page 561, la Cour fédérale a conclu que la SPR n’avait pas justifié sa conclusion selon laquelle la citation à comparaître de la demandeure était frauduleuse. La juge McDonald a écrit que la « SPR accroît ensuite l’incidence de cette conclusion lorsqu’elle lie la [traduction] “fausse sommation” à la conclusion ultime que la demande de Mme Liu est manifestement infondée ». La SPR n’a pas défini les déclarations malhonnêtes, les supercheries et les mensonges qui l’ont amenée à conclure que la demande d’asile était manifestement infondée. La décision était donc déraisonnable.

4.13 Mesures de réparation ordonnées par la Cour

Dans l'affaire Nagornyak, la juge Strickland a fait remarquer qu'il n'y avait pas eu beaucoup de décisions concernant la réparation appropriée dans les cas où la Cour a jugé déraisonnable la conclusion de la SPR selon laquelle la demande était manifestement non fondée. Toutefois, elle a écrit que « les considérations et les questions entourant la réparation appropriée concernant le paragraphe 107(2) s’appliquent tout autant aux conclusions de la Section de la protection des réfugiés selon lesquelles une affaire est manifestement infondée en vertu de l’article 107.1Note de bas de page 562. » Voir le chapitre 3, section 3.12 pour les mesures de réparation dans les cas du paragraphe 107(2).

Dans l'affaire Nagornyak, la Cour a considéré l'ordonnance de la cour dans l'affaire OmarNote de bas de page 563, où la Cour a jugé que le rejet par la SPR de la demande de statut de réfugié de M. Omar était raisonnable, mais que la conclusion d'absence de minimum de fondement ne l'était pas. La seule question renvoyée à la SPR pour réexamen concernait la conclusion d'absence de minimum de fondement. La Cour dans Nagornyak a décidé de ne pas ordonner une réparation similaire, bien qu'elle ait reconnu qu’« il était possible de ne renvoyer que la question de savoir si la demande présentée par le demandeur est manifestement infondée à la Section de la protection des réfugiés ». La Cour a conclu qu’il n’était pas indiqué de le faire dans les circonstances, car des problèmes liés à de multiples conclusions quant à la crédibilité et d’autres erreurs de fait minaient le caractère raisonnable de la décision globale. Ainsi, la Cour a annulé la décision dans son ensemble et a renvoyé l'affaire à un tribunal de la SPR différemment constitué pour un nouvel examen. La juge Strickland a expliqué qu’il est préférable d’éviter les situations où la Cour confirme la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger et ne renvoie à la SPR que la question liée à l’article 107.1. Dans une telle situation, si le tribunal différemment constitué de la SPR conclut que la demande d’asile n’était pas manifestement infondée, la SAR pourrait devoir ensuite décider d’accorder ou non l’asile tout en sachant que la Cour fédérale a déjà statué sur la questionNote de bas de page 564.

Dans la récente décision BalyokwabweNote de bas de page 565, le ministre a suggéré que, si la Cour fédérale ne souscrivait pas à la conclusion de la SPR selon laquelle la demande d’asile était manifestement infondée, mais jugeait que les conclusions quant à la crédibilité étaient raisonnables, il lui serait possible de ne renvoyer à la SPR que la question de savoir si la demande d’asile est manifestement infondée. La Cour a convenu qu’elle pouvait annuler un aspect d’une décision dans un cas où cet aspect pouvait clairement être retranché du reste de la décision. Toutefois, en l'espèce, les conclusions déraisonnables quant à la crédibilité qui sous tendaient la décision voulant que la demande d’asile soit manifestement infondée sous-tendaient également le rejet de la demande d’asile du demandeur, de sorte que la Cour a renvoyé l’affaire à la SPR pour qu’un tribunal différemment constitué la réexamine dans son intégralité.

Comme dans les cas de l'article 107(2), la plupart des cas dans lesquels les conclusions de l'article 107.1 ont été jugées déraisonnables ont été renvoyés à la SPR pour être complètement redéterminésNote de bas de page 566.